From 1ae0306a3cf2ea27f60b2d205789994d260c2cce Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: Christian Grothoff Date: Sun, 11 Oct 2020 13:29:45 +0200 Subject: add i18n FSFS --- .../blog/articles/fr/rms-on-radio-nz.html | 1063 ++++++++++++++++++++ 1 file changed, 1063 insertions(+) create mode 100644 talermerchantdemos/blog/articles/fr/rms-on-radio-nz.html (limited to 'talermerchantdemos/blog/articles/fr/rms-on-radio-nz.html') diff --git a/talermerchantdemos/blog/articles/fr/rms-on-radio-nz.html b/talermerchantdemos/blog/articles/fr/rms-on-radio-nz.html new file mode 100644 index 0000000..a740dcd --- /dev/null +++ b/talermerchantdemos/blog/articles/fr/rms-on-radio-nz.html @@ -0,0 +1,1063 @@ + + + + + + +RMS sur Radio New Zealand - Projet GNU - Free Software Foundation + + + +

RMS sur Radio NZ – octobre 2009

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Entretien de Richard M. Stallman avec Kim Hill

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Parties intéressantes

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[00:00]
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Nous avions déjà discuté avec Richard Stallman l'année dernière au sujet de +sa campagne pour le logiciel libre. Il est, on le sait, l'homme fort de ce +mouvement ; il a lancé la Free Software Foundation, mené les +combats contre les brevets logiciels et les extensions des lois sur le +copyright. Comme il nous l'expliquait l'année dernière, il combat ce qu'il +appelle le « capitalisme extrême ». Son système d'exploitation GNU/Linux a +été le premier système d'exploitation libre capable de faire fonctionner un +PC. Richard Stallman explique que « c'est une question de liberté », une +cause qui dépasse le logiciel ; et nous pourrions parler des autres causes +qu'il a identifiées, la surveillance et la censure, parce qu'il vient de +nous rejoindre. Bonjour !
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[00:40]
+RMS
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Bonjour !
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KH
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Parlons un peu de surveillance et de censure. Je suis allé regarder sur +votre site personnel et vous semblez particulièrement remonté contre le +relevé des empreintes digitales des passagers aériens.
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RMS
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Oui, j'invite les gens à refuser de se rendre aux Etats-Unis, où ils +s'exposeraient à ce genre de mauvais traitement.
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KH
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En quoi s'agit-il d'un mauvais traitement, selon vous ?
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RMS
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Cela recueille beaucoup trop d'informations sur des gens qui ne sont pas des +criminels. Soit dit en passant, c'est pour cette même raison que je ne +retournerai pas au Japon tant qu'ils n'auront pas changé leur politique ; ça +m'attriste, mais…
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[01:19]
+KH
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Le fait de s'assurer que des terroristes ne montent pas dans l'avion n'est +pas une justification suffisante ?
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RMS
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Ce n'est pas nécessaire. D'ailleurs nous ne savons pas réellement qui se +cache derrière les attaques du 11 septembre aux États-Unis. Nous ne savons +pas s'il s'agissait d'une bande de musulmans fanatiques, ou d'une bande de +chrétiens fanatiques et de la Maison-Blanche. Nous savons juste que Bush a +falsifié et saboté l'enquête, quand il n'a pu empêcher ça.
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KH
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Donc vous êtes un défenseur de la théorie du complot autour du +11 septembre ?
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RMS
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Je ne peux pas dire… D'abord, je pense que la question est de +parti-pris. Nous savons que l'attaque était une conspiration. Toutes les +théories sont des théories du complot.
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KH
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Très bien, donc par exemple, celle qui suggère que c'est l'administration +Bush qui a mis en scène l'attaque du 11 septembre pour justifier…
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RMS
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Je n'en sais rien. Pour que nous en ayons un jour la preuve, il faudrait une +véritable enquête. Mais quand vous avez un gouvernement qui bloque toute +véritable enquête sur un crime horrible, vous pouvez légitimement penser +qu'il cache quelque chose. Je ne peux pas savoir exactement ce qu'ils +cachent, mais je veux qu'une véritable enquête soit menée, avec la +possibilité d'enjoindre à n'importe quelle personne éventuellement concernée +de témoigner sous serment, y compris Bush, sans lui montrer plus d'égards +qu'à n'importe qui d'autre.
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KH
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Laissons le 11 septembre de côté, parce que nous n'avons pas le temps de +détailler toutes les théories à ce sujet. Il existe quand même bien quelque +chose qu'on appelle le terrorisme, non ?
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RMS
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Oui, mais c'est un problème mineur. En septembre 2001, il y a eu plus de +morts aux États-Unis dans les accidents de la route que par suite d'une +attaque terroriste, et ça continue, mois après mois. Nous n'avons pas lancé +une « guerre totale contre les accidents »1 pour autant. Au fond, les hommes +politiques ont utilisé un danger réel, mais relativement mineur, comme +excuse pour faire ce qu'ils avaient envie de faire… N'oubliez pas que +ces gouvernements sont beaucoup plus dangereux que le terrorisme. Il est +très clair que l'invasion de Bush en Irak a été bien plus destructrice que +n'importe quelle action terroriste non gouvernementale – à supposer que les +terroristes du 11 septembre 2001 n'aient pas été commandités par l'État, ce +dont nous ne sommes pas sûrs. L'essentiel reste que ce qu'a fait Bush, en +utilisant ces attaques comme excuse pour envahir l'Irak, est infiniment +pire, et il faut prendre garde au fait qu'un gouvernement qui perd les +pédales peut faire beaucoup plus de dégâts que n'importe quel groupe +indépendant. + +Après tout, les États ont beaucoup plus d'hommes armés à leur disposition, +et ils n'ont même pas besoin de les cacher. Il leur est bien plus facile de +faire des dégâts, il faut donc prendre garde à ne pas leur accorder trop de +pouvoir. Un monde dans lequel la police peut faire facilement ce qu'elle +veut est un monde dans lequel la police est une menace.
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[04:30]
+KH
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La dernière fois que nous avons discuté, nous avons parlé de la question du +logiciel libre et plus spécialement du fait que, sur cette question, vous +doutiez que Barack Obama soit réellement différent de son prédécesseur Bush.
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RMS
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Il est un peu différent, mais je dois dire que c'est un changement +minime. Sur la question des droits de l'homme il n'est pas très +différent. Il est toujours partisan d'emprisonner des gens, sans charges, +indéfiniment. On peut difficilement faire pire en termes de droits de +l'homme.
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KH
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Oui, sauf qu'il s'est attaqué au problème de Guantanamo.
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RMS
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Ce n'est que l'un des endroits où cette pratique existe, C'est également le +cas à Bagram en Afghanistan, et je ne vois vraiment pas pourquoi il serait +préférable de déplacer ces gens à Bagram. Il faut les inculper ou les +libérer. C'est leur droit.
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KH
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Peut-être que c'est leur droit, mais c'est aussi un président élu +démocratiquement qui…
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RMS
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Cela ne signifie pas qu'il a le droit de violer les droits de l'homme.
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KH
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Non, mais est-ce que le peuple américain serait en faveur de ces +libérations…
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RMS
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Je ne sais pas.
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KH
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… il faut tenir compte de cela.
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RMS
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Non, il ne faut pas. Si les gens sont contre, ça les rend juste +responsables.
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KH
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Je sais que vous êtes…
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RMS
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Pour moi, dire que les gens sont d'accord parce qu'ils sont paniqués +n'excuse pas ces violations massives des droits de l'homme. Pourquoi les +gens sont-ils si paniqués ? Parce qu'une campagne de propagande permanente +leur répète : « Il faut avoir peur des terroristes. Il faut abandonner vos +droits fondamentaux et ceux de tout le monde, par crainte des terroristes. » +C'est disproportionné, il faut garder le sens de la mesure face à ces +dangers. Il n'y a pas de campagne qui dise : « Il faut avoir peur de monter +dans une voiture. » Peut-être en faudrait-il une…
+ +
[06:23]
+KH
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Pour revenir à la question des empreintes digitales, la plupart des mesures +de sécurité aéroportuaires ne sont que de la poudre aux yeux, avez-vous dit.
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RMS
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Beaucoup d'entre elles, pas toutes. Je suis ravi qu'ils aient renforcé les +portes de la cabine de pilotage afin que les pirates ne puissent pas +atteindre les pilotes. OK, c'est une mesure sensée.
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KH
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Vraiment ? J'aurais pensé que vous diriez : « Pourquoi dépenser de l'argent +pour renforcer les portes de la cabine alors que les pirates de l'air sont +un problème mineur ? »
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RMS
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Je n'ai rien contre le fait de dépenser un peu d'argent.
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KH
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Ce que vous dites, c'est que cette mesure ne constitue pas une atteinte aux +droits de l'homme.
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RMS
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OK, et ça ne me dérange pas de dépenser un peu d'argent pour la sécurité, +vous savez. Je suis même prêt à faire des compromis sur la question des +droits. Je ne dis pas que la police ne doit pas pouvoir obtenir de mandat de +perquisition. Mais il faudrait qu'ils aient à passer par un juge pour +exposer leurs présomptions, afin de garder un certain contrôle. Car la +police est très dangereuse lorsqu'elle perd les pédales, comme on a pu s'en +rendre compte il y a quelques mois à Londres quand elle a dérapé. Elle a tué +quelqu'un qui essayait de rentrer chez lui après une manifestation et qui +n'y parvenait pas parce que la police avait délibérément bloqué les rues. Il +a été abattu. Et ensuite, ils ont menti sur ce qui c'était passé, comme à +l'accoutumée. Chaque fois que la police attaque quelqu'un, elle ment au +sujet de la personne et elle ment sur ce qui s'est passé, afin de donner +l'impression que le recours à la violence était justifié. C'est toujours +comme ça, on dirait une bande de malfrats.
+ +
[08:02]
+KH
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Si vous n'êtes pas d'accord avec la surveillance, y a-t-il la moindre chance +que vous trouviez une utilité à la vidéosurveillance ?
+ +
RMS
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Attendez une seconde, votre vision de la surveillance est +simplificatrice. Ce que je vois arriver avec les ordinateurs, c'est qu'ils +rendent possible une forme de surveillance totale complètement inédite. Même +sous des gouvernements comme ceux de la Roumanie sous Ceaușescu, ou +de l'Allemagne de l'Est avec la Stasi, il existait une surveillance massive, +mais cela supposait de faire travailler énormément de gens, et même ainsi il +n'était pas possible de surveiller et d'enregistrer grand-chose, car c'était +extrêmement compliqué. Aujourd'hui, nous entrons dans une espèce de société +de surveillance complètement inédite…
+ +
KH
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Vous parlez de la surveillance numérique.
+ +
RMS
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Oui. À mesure que les gens font de plus en plus appel aux technologies +numériques, il devient facile de garder un enregistrement de tout ce que +tout le monde fait. Cela n'existait pas auparavant, et cela n'existe +toujours pas avec d'autres médias. Il n'y a pas de trace de qui écrit à qui, +pour chaque lettre ; ce n'est pas enregistré. Mais il y a, dans de nombreux +pays, un enregistrement de qui envoie un courriel à qui ; ces archives +peuvent être gardées pendant des années et personne ne sait si elles seront +un jour détruites.
+ +
KH
+
Si vous pensez que les gouvernements ne sont pas dignes de confiance, ce qui +est une position légitime bien sûr, et si vous pensez que la police n'est +pas digne de confiance, ce qui est aussi une position légitime, pourquoi ne +pas vous réjouir de la surveillance numérique et de la vidéosurveillance, +dans la mesure où il se peut qu'elle protège davantage les gens ?
+ +
RMS
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Oh, je suis tout à fait partisan du droit d'enregistrer des vidéos, comme +lorsque vous êtes dans la rue, ou que vous regardez une manifestation, ou ce +genre de choses. Ce qui m'inquiète, c'est la surveillance systématique.
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KH
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Qu'est-ce que c'est, la surveillance systématique ?
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RMS
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Supposez que la police ait installé une caméra qui surveille la rue en +permanence, et qu'elle la connecte à un programme de reconnaissance faciale +et fasse une base de donnée de tous les gens qui passent. C'est de la +surveillance systématique. Maintenant, si vous vous baladez dans la rue, que +vous croisez quelqu'un que vous connaissez et que vous le reconnaissez, ce +n'est pas de la surveillance systématique, il y a juste un groupe de +personnes au courant de quelque chose, il n'y a rien de mal à ça, c'est la +vie.
+ +
[10:26]
+KH
+
Qu'est ce qui rend la surveillance systématique plus dangereuse, selon +vous ?
+ +
RMS
+
C'est que nous savons que beaucoup de gouvernements ont tendance à traiter +les opposants comme des terroristes et à enquêter sur eux en utilisant des +lois qui étaient censées les aider à empêcher le terrorisme. Nous savons +aussi qu'ils ont tendance à saboter tout activisme politique, et ça c'est +dangereux.
+ +
KH
+
En quoi est-ce un problème de faire l'objet d'une enquête ?
+ +
RMS
+
Cela dépend. Si le gouvernement enquête sur vous parce que vous êtes un +opposant politique, il peut vous harceler de nombreuses manières. Je me +rappelle un épisode qui s'est passé en Angleterre. Un bus de manifestants +était en route pour aller manifester. La police a stoppé leur bus et les a +détournés de la manifestation, en se fondant sur une loi faite pour lutter +contre le terrorisme. Voilà un exemple de sabotage d'activisme +politique. Également en Angleterre, certaines personnes ont été poursuivies +parce qu'elles possédaient un exemplaire de certains textes. Lire est +parfois illégal, et ça c'est un véritable danger. On constate une tendance +générale des gouvernements à développer leur côté obscur en se servant du +terrorisme comme excuse. Nous devons rester vigilants sur ce phénomène, car +c'est peut-être un danger bien plus important que les terroristes dont il +est censé nous protéger. Je ne dis pas qu'ils n'existent pas, ou qu'il n'y a +aucun danger.
+ +
KH
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Oui, mais la difficulté est de rester vigilants sur les dangers que vous +avez cités, sans abandonner…
+ +
[12:20]
+RMS
+
Non, je ne crois pas qu'il y ait un problème. La police dispose de toujours +plus de moyens pour enquêter sur les gens, et s'il y a la moindre raison de +suspecter quelqu'un, elle peut obtenir l'autorisation de fouiller absolument +tout. D'accord, c'est nécessaire, mais il faut faire attention à ne pas +aller au-delà, or la société de surveillance numérique va bien au-delà. Il y +a une tendance à archiver tout et n'importe quoi, à tout contrôler. À New +York par exemple, un chauffeur de taxi m'a dit qu'il avait été obligé +d'installer un appareil photo qui transmet les visages des passagers par +radio à la police, qui ensuite les fait passer à travers un système de +reconnaissance faciale. +Je ne pense pas que ça devrait être autorisé. Ça ne me gêne pas qu'ils aient +un système qui enregistre les visages des gens et les garde une semaine au +cas où quelqu'un attaque le chauffeur de taxi, car cela n'a aucun impact sur +nous si nous n'attaquons pas le chauffeur. Il est possible d'utiliser les +technologies de surveillance d'une manière qui ne menace pas les droits des +gens. À nous de faire en sorte qu'elles soient bien utilisées ainsi.
+ +
KH
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Ça ne vous dérange pas que les gens soient traités comme s'ils allaient +attaquer des chauffeurs de taxi ?
+ +
RMS
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Non, car la différence est qu'on ne regarde pas ces images tant qu'on n'en a +pas besoin pour une enquête criminelle, et ensuite elles sont effacées si +c'est fait correctement. Mais à New York, la méthode qui est utilisée +consiste à les envoyer à la police, et la police garde ainsi une trace de +qui va où. Et c'est ça qui me fait peur – que toutes les informations sur ce +que vous avez fait durant des années soient à disposition de la police, qui +peut les regarder quand elle veut. Ce que je fais contre ça, entre autres, +c'est de ne rien acheter avec une carte de crédit, sauf si c'est une chose +pour laquelle on exige de toute façon de savoir qui je suis. Je n'utilise +pas de carte de crédit ni d'autre moyen de paiement numérique, j'utilise du +liquide. De cette façon, Big Brother ne peut pas mettre en base de données +tous les endroits où j'ai été, ni tout ce que j'ai acheté.
+ +
[14:25]
+KH
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C'est une question de principe plutôt que…
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RMS
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C'est une question de principe. Ce n'est pas parce que c'est pratique.
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KH
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Il y a un tas de choses que vous ne faites pas, en réalité.
+ +
RMS
+
Oui, je n'ai pas de téléphone portable parce je ne tiens pas vraiment à dire +à Big Brother où je suis en permanence, partout où je vais.
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KH
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C'est pour ça ?
+ +
RMS
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Oui, c'est pour ça. Et il y a une autre raison. Aujourd'hui, les téléphones +portables sont de puissants ordinateurs qu'il est impossible de faire +fonctionner sans logiciels privateurs.2
+ +
KH
+
Je me doutais bien que c'était cela la principale raison.
+ +
RMS
+
En fait il y en a un, mais qui n'est plus fabriqué, il ne marchait pas très +bien ; c'est le Mark One. Donc c'est une autre question, qui ne se posait +pas lorsque les téléphones portables sont apparus : on n'y installait pas de +programmes, il s'agissait juste d'appareils statiques. Mais ils ont toujours +eu le défaut de dire en permanence où vous vous trouvez. Je ne veux pas +participer à ce genre de système et je pense que les gens ne devraient pas +le faire. J'aimerais bien avoir un portable, je ne fais pas partie de ces +gens qui disent : « Je n'aime pas que les gens puissent m'appeler. » J'aime +bien que les gens m'appellent, mais pas à ce prix.
+ +
[15:33]
+KH
+
Je trouve intéressant que votre combat pour le logiciel libre et les +problèmes de protection des libertés finissent par se rejoindre. Ce n'était +pas le cas au départ, non ?
+ +
RMS
+
En effet. La surveillance numérique omniprésente n'était pas un problème +très aigu il y a 27 ans.
+ +
KH
+
Mais les responsables ont toujours été les mêmes, ceux que vous avez +identifiés comme les gens que vous ne vouliez pas voir…
+ +
RMS
+
En réalité il ne s'agit plus des mêmes personnes. Les logiciels privateurs +sont largement dominés par diverses organisations privées qui font du +développement : Apple, Microsoft, Adobe, Google, Amazon, tous +commercialisent des logiciels privateurs.
+ +
KH
+
Je pensais que vous alliez les définir comme des forces du capitalisme +extrême.
+ +
RMS
+
Désolé. Quand je parle de capitalisme extrême, je fais référence à une +philosophie, qui prétend que « le marché doit tout contrôler, tout doit être +à vendre, l'économie doit primer sur le politique et imposer ses +règles ». En cela il diffère du simple capitalisme, qui dit « au sein d'une +société conçue pour protéger les droits des individus, ces derniers doivent +être libre de faire beaucoup de choses, y compris d'entreprendre comme bon +leur semble ». C'est cette différence qui explique pourquoi le capitalisme +d'aujourd'hui est hors de contrôle, et pourquoi on voit fleurir les traités +de « libre-exploitation », qui minent la démocratie et en font une farce.
+ +
KH
+
À quoi faites-vous référence ?
+ +
[17:24]
+RMS
+
Aux soi-disant traités de libre-échange (je n'aime pas les appeler +ainsi). Ils sont conçus pour faire passer le pouvoir des mains des +gouvernements à celles des entreprises ; et toujours de la même manière : en +laissant les entreprises exercer un chantage à la délocalisation. Chaque +fois que les citoyens exigent de leur gouvernement qu'il protège +l'environnement, ou la santé, ou la qualité de vie, ou toutes ces choses +plus importantes que qui achète quoi et qui vend quoi, les entreprises +peuvent dire : « Nous sommes contre, et si vous le faites nous irons nous +installer ailleurs. » Et les hommes politiques ont alors une très bonne +excuse pour ne rien faire. +Bien sûr ce sont eux qui, au départ, ont accepté le traité, ce qu'ils +n'auraient jamais dû faire. Et de nombreux traités vont beaucoup plus loin, +ils interdisent explicitement la démocratie. Les États-Unis avaient une loi +qui interdisait la vente de thon sur le marché domestique s'il avait été +pêché d'une manière qui mettait en danger les dauphins. Cette loi est passée +à la trappe à cause de l'Organisation mondiale du commerce. Et ce n'est +qu'un exemple parmi d'autres.
+ +
KH
+
Elle a été considérée comme une barrière aux échanges.
+ +
RMS
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Exactement. Et le NAFTA, l'accord de libre-échange entre les États-Unis, le +Canada et le Mexique, autorise les entreprises à poursuivre le gouvernement +si elles pensent qu'une loi réduit leurs profits. Cela revient à dire que la +seule chose qui importe, c'est combien d'argent une entreprise peut gagner, +et si quelque chose vient perturber cela, il faut payer.
+ +
KH
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Nous sommes en faveur du libre-échange ici, Richard, car nous en +dépendons…
+ +
RMS
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Eh bien je ne suis pas en faveur du libre-échange au-delà d'un certain +point. Les partisans du libre-échange soutiennent qu'il bénéficie à tout le +monde, et c'est vrai jusqu'à un certain point : jusqu'au moment où il mine +la démocratie. Et le but de ces traités est justement d'étendre le +libre-échange jusqu'au point où il mine la démocratie. Les cercles de +réflexion des milieux d'affaires prédisent déjà que dans quelques décennies +les gouvernements auront beaucoup moins de contrôle sur ce qui se passe dans +le monde, et que les entreprises en auront davantage. Ce qu'ils prédisent, +c'est que ces traités vont continuer leur marche en avant.
+ +
[20:08]
+KH
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Une autre chose que vous ne faites pas, c'est de conduire. Est-ce vrai ?
+ +
RMS
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Pas exactement. Je n'ai pas de voiture. Par contre j'ai mon permis de +conduire.
+ +
KH
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D'accord, donc vous avez choisi de ne pas avoir de voiture.
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RMS
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Oui, pour des raisons d'économie. J'habite en ville.
+ +
KH
+
Rien de philosophique ?
+ +
RMS
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Non, je ne pense pas que ce soit mal d'avoir une voiture, c'est bien à +condition de rouler un peu moins.
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KH
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Je pensais que c'était à cause des logiciels privateurs dans les voitures.
+ +
RMS
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C'est une question intéressante. J'ai des appareils, un four à micro-ondes +par exemple, qui peuvent contenir des logiciels privateurs.
+ +
KH
+
Et vous prenez l'avion.
+ +
RMS
+
Oui, mais je ne possède pas d'avion. Je ne boycotte pas tous ceux qui +utilisent des logiciels privateurs. Si une entreprise le fait, je dis que +c'est dommage pour elle, mais je ne vais pas la punir en la boycottant. Ce +que je fais, c'est que j'essaie de leur expliquer pourquoi ils devraient +avoir le contrôle de leur informatique, plutôt que de l'abandonner à +quelqu'un d'autre.
+ +
[21:05]
+KH
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Qu'allez vous dire au congrès de l'Association des bibliothèques et de +l'information [Library and Information Association Conference] +au sujet du copyright ?
+ +
RMS
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Je vais expliquer que le copyright aujourd'hui est profondément injuste, car +il interdit le partage, or le partage est fondamental. Les gens doivent être +libres de partager, et la loi néo-zélandaise sur le copyright qui est passée +il y a un an va exactement en sens inverse. Les gens doivent être libres de +partager des copies exactes de n'importe quelle œuvre, à des fins non +commerciales.
+ +
KH
+
Mais comment cela fonctionnerait-il ? Si j'écris un livre, par exemple, et +que j'y passe cinq ans de ma vie…
+ +
RMS
+
Qui sait, peut-être y passerez-vous un mois.
+ +
KH
+
Et peut-être pas…
+ +
RMS
+
Le point important, c'est que vous le faites par choix. Les gens écrivaient +des livres avant l'invention du copyright. Vous prenez le problème à +l'envers. C'est vous qui avez décidé de passer du temps à écrire, et la +principale raison pour laquelle un auteur passe du temps à écrire, c'est +qu'il a quelque chose à dire et qu'il espère que les gens vont aimer. C'est +seulement ceux qui gagnent beaucoup d'argent qui finissent par être +corrompus.
+ +
KH
+
La plupart des sociétés ne veulent-elles pas encourager les gens à écrire ? +Peut-être ne le font-elles pas de la manière la plus efficace, mais dans une +certaine mesure elles essaient.
+ +
RMS
+
Oh, je suis très favorable au fait d'inciter les gens à écrire.
+ +
KH
+
Et comment vous y prendriez-vous ?
+ +
RMS
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Tout d'abord, notez que je ne parle pas d'abolir le copyright sur les œuvres +de l'esprit, je dis juste que les gens doivent avoir le droit de les +partager à des fins non commerciales. L'usage commercial resterait donc +couvert par le copyright, comme c'est le cas aujourd'hui.
+ +
KH
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Si je peux imprimer un livre dont je suis l'auteur et le donner à quelqu'un, +qui va le donner à quelqu'un, qui va le distribuer à son tour, je risque de +ne pas en vendre beaucoup.
+ +
RMS
+
Peut-être, mais ça n'est pas sûr. Certains affirment que seuls les +bestsellers verraient leurs ventes diminuer. Car rappelez-vous, si vous +n'êtes pas connu et que les gens s'échangent vos œuvres, cela ne fait +qu'augmenter le nombre de vos fans. Si vous n'êtes pas un auteur à succès, +ce que vous cherchez avant tout sur le plan commercial, c'est à vous faire +connaître. Voilà un bon moyen de vous faire connaître, sans rien débourser +et sans laisser les rênes à une entreprise qui de toute façon récupérerait +la majeure partie des bénéfices.
+ +
KH
+
Attendez, la seule raison pour laquelle un auteur cherche à être connu, +c'est pour augmenter les ventes de son prochain livre.
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RMS
+
Non, non, pas du tout. Ce n'est vrai que pour ceux qui sont moralement +corrompus et dont le désir le plus cher n'est plus d'être lus et +appréciés. C'est ce qu'ils voulaient au départ et très peu, vraiment très +peu deviennent riches. Mais ceux qui le deviennent sont alors payés pour +faire ce qu'ils faisaient par plaisir ou par inclination, et au final +l'argent devient la motivation principale et remplace l'inclination.
+ +
KH
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Forcément, si les auteurs ne cherchent qu'à être lus et appréciés…
+ +
RMS
+
C'est ce qu'ils recherchent au départ. Parmi ceux qui deviennent riches, +certains veulent le devenir encore plus.
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KH
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Laissons-les de côté, car vous sous-entendez que par voie de conséquence ils +écrivent de mauvais livres.
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RMS
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Non, je ne dis pas qu'ils sont mauvais, je ne suis pas en train de faire des +généralisations simplistes. Je dis que leurs intentions sont dénaturées, ce +qui ne veut pas dire que leurs livres soient mauvais, j'ai même plaisir à en +lire certains. Je dis juste que ce n'est pas la situation de l'auteur-type.
+ +
KH
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Mais vous condamnez l'auteur-type à être encore plus pauvre.
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RMS
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Non, pas du tout, vous faites erreur.
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KH
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S'il ne peut pas vendre son livre…
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RMS
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Vous vous trompez, vous partez de suppositions qui, pour les gens qui +connaissent cette question, sont fausses. Cory Doctorow, qui est un auteur à +succès, met toutes ses œuvres en ligne, et il ne pense pas que cela affecte +ses ventes.
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KH
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Les gens vont toujours dans un magasin pour acheter le livre imprimé ?
+ +
RMS
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Oui.
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KH
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Quand bien même ils peuvent se passer le livre de main en main à volonté ?
+ +
[25:31]
+RMS
+
Vous savez, ils peuvent déjà le faire avec les livres imprimés. C'est la +raison pour laquelle le livre électronique a été inventé. Il est conçu pour +vous empêcher de faire des choses comme le prêter à un ami, ou le vendre à +un bouquiniste, ou l'emprunter dans une bibliothèque. Il est conçu pour +transformer les bibliothèques en commerces de détail. Le but est d'instaurer +un monde de paiement à l'acte. Selon cette logique perverse, la seule chose +qui compte c'est combien les gens vont payer ; tous les lecteurs ont +contracté une dette, ils doivent de l'argent et vont devoir payer. Je pense +que c'est complètement pervers et je suis contre, car il faut respecter la +liberté de partage. + +Mais j'ai d'autres propositions pour soutenir les artistes. N'oubliez pas +que le système actuel soutient essentiellement les grandes entreprises, et +donc à mon avis ne fonctionne pas bien. Quelques auteurs deviennent très +riches ; à ceux-là, les majors montrent beaucoup d'égards tandis qu'ils +traitent les autres comme des moins que rien. J'ai deux propositions (et une +troisième qui est une combinaison des deux autres). La première est de +soutenir les artistes avec l'argent public, soit en puisant dans le budget +général, soit en créant une taxe spécifique sur la connexion à +Internet. Comparé à d'autres postes du budget, cela ne représenterait pas +une somme astronomique, et cette somme serait répartie entre les artistes en +fonction de leur popularité. Cette répartition ne serait pas linéaire, sinon +cela ne servirait qu'à rendre les superstars encore plus riches, ce qui +n'est pas nécessaire. Ce que je propose, c'est d'utiliser la racine cubique +de la popularité.
+ +
KH
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Et comment fait-on pour évaluer leur popularité ?
+ +
RMS
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On peut le faire par des sondages.
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KH
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Quel type de sondages ? Des sondages sur Internet ?
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RMS
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Toutes sortes de sondages. Prenez n'importe quel sondage, d'opinion ou +autre, il se sert d'un échantillon. L'important, c'est qu'il n'est pas +nécessaire d'interroger tout le monde, personne n'est obligé de +participer. On peut utiliser cet échantillon pour mesurer la popularité.
+ +
KH
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Une question me vient à l'esprit, concernant la popularité. Pour vous, +popularité et qualité, c'est la même chose ?
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RMS
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Non, pas du tout. Mais je dis qu'il ne faut pas laisser des bureaucrates +décider de l'attribution de ces fonds. Donc il y a une possibilité qui +consiste à se baser sur des sondages. Après tout, le système actuel repose +bien sur la popularité, dans une certaine mesure. On prend la racine +cubique, donc si A est mille fois plus populaire que B, il reçoit dix fois +plus d'argent. C'est la même logique qu'un impôt progressif sur le +revenu. De cette façon, oui, si vous avez énormément de succès vous allez +gagner plus, mais pas énormément plus, ainsi la majeure partie des fonds +servira à soutenir un grand nombre d'artistes de popularité moyenne.
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KH
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Et redites-moi, d'où vient l'argent ?
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RMS
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Il provient des impôts. Il vient de nous tous.
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KH
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Des impôts en général ?
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RMS
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Oui, ou d'une taxe spéciale. Les deux sont possibles.
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[28:42]
+KH
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Mais si vous vous basez sur la popularité, pourquoi ne pas juste demander +aux gens d'envoyer de l'argent ?
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RMS
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C'est justement mon autre proposition. Si chaque lecteur de musique avait un +bouton sur lequel il suffisait de cliquer pour envoyer un dollar, je pense +que les gens le feraient souvent. Car au final, si nous ne le faisons pas, +c'est surtout parce que c'est horriblement compliqué. Souvent j'aimerais +bien envoyer un dollar à un artiste en particulier, ce n'est pas comme si ça +allait me manquer, mais comment dois-je m'y prendre ? Il faut que je sorte +ma carte de crédit, que je donne mon nom, que je trouve à qui l'envoyer, +tout ça représente beaucoup d'efforts. S'il y avait un bouton, et de +préférence un bouton anonyme, cela réduirait les efforts ; envoyer un dollar +deviendrait complètement enfantin, et à mon avis les gens le feraient plus +souvent.
+ +
KH
+
Et pourquoi ne pas se débarrasser complètement des impôts et laisser à +chacun le choix de…
+ +
RMS
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Je n'ai rien contre les impôts.
+ +
KH
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Je n'ai pas dit le contraire, mais je vous pose la question.
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RMS
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Il faut garantir que les plus riches paient une part équitable, c'est-à-dire +une part plus importante que celle des pauvres, pour faire fonctionner la +société. Nous avons besoin d'un État-providence – du moins au vu de notre +niveau technologique et de la manière dont les choses fonctionnent – nous +avons besoin d'un État-providence et les riches ne doivent pas être +dispensés de le financer.
+ +
KH
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Ça ne vous gêne pas que votre concours de popularité pour les artistes +épargne largement les riches ?
+ +
RMS
+
Je ne suis pas sûr que ce soit très important. Il est souhaitable de +soutenir les artistes, mais ce n'est pas une question de vie ou de mort du +même ordre que fournir aux gens de quoi se nourrir, se loger ou se soigner, +qu'ils soient ou non artistes.
+ +
KH
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Je ne sais pas, mais j'ai l'impression qu'une société dépend de beaucoup de +choses liées entre elles pour son bien-être.
+ +
[30:47]
+RMS
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Oui, mais je ne cherche pas à proposer une réponse unique pour chaque +problème de la société. Je ne défends pas une philosophie politique +simpliste et j'espère que ça se voit. Il y en a d'autres qui le font.
+ +
KH
+
Oui, je suis sûr qu'il y en a. Mon Dieu non, je ne vous accuserai jamais, +jamais d'être l'avocat d'une philosophie politique simpliste !  :-)
+ +
RMS
+

Certaines personnes, par exemple, sont totalement opposées au copyright et +me reprochent de ne pas aller assez loin. Ce que je dis, c'est que les +œuvres qui servent à faire des tâches concrètes doivent être libres au sens +des quatre libertés qui définissent le logiciel libre. Vous devez être libre +de les republier, de les modifier, de publier vos versions modifiées, parce +que c'est ce dont les utilisateurs de ces œuvres ont besoin dans leur vie +courante. Mais il existe bien sûr d'autres œuvres, qui ne servent pas à +faire des tâches concrètes et qui contribuent à la société d'une autre +manière.

+

Prenez l'art, par exemple. La contribution d'une œuvre d'art réside dans +l'impact qu'elle a sur notre esprit et non dans l'utilisation concrète qu'on +peut éventuellement en avoir. Et il y a aussi les œuvres qui exposent les +pensées, les opinions ou les observations de leurs auteurs. Ce sont des +œuvres qui apportent une contribution différente à la société et pour +lesquelles j'aurais des recommandations différentes. Mais la liberté de +partager librement à des fins non commerciales doit être respectée, et c'est +pourquoi la nouvelle loi néo-zélandaise sur le copyright est aussi injuste +que l'ancienne. La nouvelle cherche spécifiquement à punir les gens en les +déconnectant d'Internet, dans le but de les empêcher de partager. Il ne faut +pas empêcher les gens de partager, c'est mal. Quand bien même on trouverait +d'autres moyens de parvenir à cette fin, c'est la fin elle-même qui est +mauvaise et injuste, pas seulement les méthodes vicieuses employées – parce +que seules des méthodes draconiennes peuvent empêcher les gens de partager. +

+ +
[32:51]
+KH
+
Comment gagnez-vous votre vie, si je peux me permettre ?
+ +
RMS
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Par mes conférences. J'en donne beaucoup gratuitement et je suis payé pour +d'autres.
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KH
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Et c'est comme ça que vous gagnez votre vie ?
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RMS
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Oui. Je ne dépense pas beaucoup d'argent.
+ +
KH
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Et ça ne vous gêne pas d'être payé pour quelque chose que vous devriez être +heureux de partager ? C'est une donation.
+ +
RMS
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J'essaie généralement d'éviter qu'il y ait des frais d'entrée. De temps en +temps j'accepte de faire une intervention dans un congrès dont l'inscription +est payante, mais je demande souvent qu'on laisse les gens assister à mon +intervention. En règle générale, j'essaie de faire que l'entrée soit +gratuite, car je veux qu'un maximum de personnes puisse venir, parce +qu'après tout je défends une cause et j'essaie de le faire au mieux.
+ +
[33:48]
+KH
+
Pensez-vous que vous êtes en train de gagner ?
+ +
RMS
+
Petit à petit, oui. Bien sûr, il reste beaucoup de résistances à vaincre, le +combat n'est pas terminé. Par exemple, il y a une autre chose qui est +injuste, dans la nouvelle loi sur le copyright qui a été adoptée l'an +dernier en Nouvelle-Zélande : elle interdit la distribution de logiciels +libres qui permettent de se débarrasser des menottes numériques. De plus en +plus de produits incorporent des menottes numériques, c'est-à-dire des +systèmes qui empêchent l'utilisateur de faire quelque chose. Aujourd'hui, +quand j'entends parler d'un nouveau produit ou d'un nouveau service, mon +premier réflexe est de me demander : « Où est le piège ? En quoi est-ce +conçu pour limiter ce que je peux faire ? » Et ces produits sont extrêmement +pervers. Prenez le Kindle d'Amazon, par exemple. Ils l'ont appelé comme ça +pour indiquer ce qu'ils comptent faire avec nos livres3 [1].
+ +
KH
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Vous exagérez.  :-)
+ +
RMS
+
Mais ça dit bien ce que ça va faire avec nos livres. Le fait est que ce +produit espionne, il force l'utilisateur à s'identifier pour acheter un +livre, et donc Amazon possède une liste de ce que chacun a acheté. De plus, +il est conçu pour limiter l'utilisateur, pour empêcher les gens de partager, +d'échanger des livres avec des amis, de les revendre à un bouquiniste, tout +ce que nous pouvons faire légalement avec des livres imprimés. Et encore +pire, nous l'avons découvert il y a quelques mois, il possède une porte +dérobée [backdoor] qui permet à Amazon d'envoyer des commandes +à distance et de faire des choses.
+ +
KH
+
Quel genre de choses ?
+ +
RMS
+
Amazon a envoyé une commande à tous les Kindle, leur faisant effacer toutes +les copies d'un certain livre, « 1984 » de George Orwell en +l'occurrence. Quelqu'un a dit qu'ils avaient battu le record d'ironie de +l'année en choisissant ce livre-là. Nous savons donc qu'Amazon est en mesure +d'effacer des livres à distance. Chez Amazon, après cela, ils ont promis +qu'ils ne le feraient plus, mais notre liberté de conserver un livre tant +qu'on le souhaite, et de le lire autant de fois qu'on le souhaite, ne doit +pas dépendre du bon vouloir d'une entreprise.
+ +
KH
+
Où achetez-vous vos livres ?
+ +
[36:13]
+RMS
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J'achète mes livres en librairie. Oui, je vais dans un magasin et je dis : +«  Je veux celui‑ci. »
+ +
KH
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Et vous acceptez de payer ? Même si vous pensez que ce n'est pas forcément +un bon système ?
+ +
RMS
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Je n'ai pas dit que c'était un mauvais système.
+ +
KH
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Vous donnez votre argent à des entreprises plutôt qu'à l'auteur, non ?
+ +
RMS
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C'est vrai en grande partie, mais je ne vais pas refuser de payer pour +autant. À l'heure actuelle, pour les livres, les auteurs finissent en +général par recevoir quelque chose. Avec les ouvrages universitaires, la +plupart du temps ils ne touchent rien.
+ +
KH
+
Nous nous sommes intéressés jusqu'à présent aux libertés, à la surveillance +et à l'espionnage numérique. Est-ce que l'explosion des réseaux +sociaux…
+ +
RMS
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J'achète également des CD de musique, même si dans ce cas je sais que les +musiciens ne sont pas rémunérés ; je préférerais leur envoyer de l'argent.
+ +
KH
+
OK. Et vous le faites ?
+ +
RMS
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J'aimerais bien, mais je n'ai aucun moyen de le faire, alors je tente de +convaincre les gens de mettre en place un système simple pour faire ça.
+ +
[37:16]
+KH
+
Je suis certain qu'ils nous envoient leurs coordonnées en ce moment +même. Très brièvement, le développement des réseaux sociaux, vous trouvez +cela inquiétant, en termes de protection de la vie privée ?
+ +
RMS
+
Oui, et je n'utilise pas ces sites. Plutôt par manque de temps : je suis +trop pris par d'autres choses. Je ne pense pas que les réseaux sociaux +soient forcément mauvais, mais ils incitent les gens à avoir un comportement +irresponsable. Un réseau social éthique devrait avertir les gens, et ce à +chaque fois que l'on se connecte : « Tout ce que vous publiez ici peut être +rendu public, quel que soit le niveau de confidentialité que vous avez +défini. Donc si vous ne souhaitez pas que ce soit public, ne le dites pas +ici. »
+ +
KH
+
C'est un bon conseil. Merci, c'est un véritable plaisir d'avoir échangé avec +vous Richard Stallman.
+ +
[38:08]
+RMS
+
Nous n'avons même pas mentionné l'ACTA (Accord commercial anticontrefaçon), le traité secret +que la Nouvelle-Zélande est en train de négocier pour brider ses +citoyens. Ils disent aux éditeurs ce qu'il y a dans le texte sur lequel ils +travaillent, mais ils refusent d'en parler au public. De nombreux +gouvernements, dont les États-Unis bien sûr, conspirent en secret pour nous +imposer de nouvelles restrictions touchant au copyright. Leur dernière +trouvaille en matière de propagande consiste à remplacer le terme +« partage » par celui de « contrefaçon ». +L'important, c'est que ce traité sera doté, nous pensons, de dispositions +visant à limiter les droits du public ; mais ils refusent d'en parler. C'est +ce qu'on appelle du blanchiment politique, une pratique généralisée. Au lieu +de débattre démocratiquement d'une loi – ce qui suppose que les citoyens +soient informés des débats, puissent s'adresser aux parlementaires, puissent +savoir comment ceux-ci ont voté et ainsi de suite – ils vont négocier un +traité en secret et, quand ils reviennent, ils disent : « Le traité n'est +plus modifiable et on ne peut pas refuser de le ratifier. » Et donc on se +retrouve avec une nouvelle législation qui s'impose au pays.
+ +
KH
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Ce qui pourrait bien être le cas d'ici deux ou trois semaines.
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Note

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    +
  1. [2019] Nous l'appelons the Swindle +(l'arnaqueuse) parce qu'elle est conçue pour arnaquer les lecteurs, pour +leur voler leurs libertés traditionnelles.
  2. +
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Notes de traduction
    +
  1. Global War on Accidents : allusion à la +« guerre totale contre le terrorisme » [Global War on Terror] +lancée par Bush après le 11 septembre. 
  2. +
  3. Autre traduction de proprietary : +propriétaire. 
  4. +
  5. Kindle veut dire « bois d'allumage ». 
+ + + + + + + + -- cgit v1.2.3