From 1ae0306a3cf2ea27f60b2d205789994d260c2cce Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: Christian Grothoff Date: Sun, 11 Oct 2020 13:29:45 +0200 Subject: add i18n FSFS --- .../blog/articles/fr/eldred-amicus.html | 970 +++++++++++++++++++++ 1 file changed, 970 insertions(+) create mode 100644 talermerchantdemos/blog/articles/fr/eldred-amicus.html (limited to 'talermerchantdemos/blog/articles/fr/eldred-amicus.html') diff --git a/talermerchantdemos/blog/articles/fr/eldred-amicus.html b/talermerchantdemos/blog/articles/fr/eldred-amicus.html new file mode 100644 index 0000000..b66226b --- /dev/null +++ b/talermerchantdemos/blog/articles/fr/eldred-amicus.html @@ -0,0 +1,970 @@ + + + + + + +Mémoire d'amicus curiae de la FSF, Eldred v. Ashcroft - Projet GNU - Free +Software Foundation + + + + + +

Mémoire d'amicus curiae de la FSF, Eldred v. Ashcroft

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+[ Ce texte est également disponible en anglais aux formats Postscript et PDF ] +

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+No. 01-618 +
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+À LA +
Cour suprême des États-Unis +
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+ERIC ELDRED et coll., +
Requérants
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+v.
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+JOHN D. ASHCROFT, en sa qualité officielle +
+de Ministre de la justice, +
Intimé
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Requête en certiorari auprès de la +
+Cour d'appel des États-Unis pour le +
+circuit du district de Columbia
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Mémoire d'amicus curiae de la +
+Free Software Foundation +
+à l'appui des requérants
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Question présentée

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  1. La Cour d'appel s'est-elle trompée en jugeant que, selon la « clause du +copyright »,ab le Congrès peut +indéfiniment prolonger la durée des copyrights existants en adoptant in +seriatim des prolongations nominalement limitées ?
  2. +
+ +

Table des matières

+ + + + + +

Tableau des autorités

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+Causes +

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+Abrams v. United States, 250 U.S. 616 (1919) 10 +
+Darcy v. Allen, (The Case of Monopolies), +
+11 Co. Rep. 84 (1603) 5 +
+Eldred v. Reno, 239 F.3d 372 (CADC 2001) 7, passim +
+Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone +
+Service, Co., Inc., 499 U.S. 340 (1991) 7,11,12 +
+Goldstein v. California, 412 U.S. 546 (1973) 12 +
+Harper & Row, Publishers, Inc. v. Nation +
+Enterprises, 471 U.S. 539 (1985) 9 +
+Hawaii Housing Authority v. +
+Midkiff, 467 U.S. 229 (1984) 14 +
+New York Times Co. v. Sullivan, 376 U.S. 254 (1964) 10 +
+Reno v. American Civil Liberties Union, +
+521 U.S. 844 (1997) 10 +
+San Francisco Arts & Athletics, Inc. v. +
+United States Olympic Committee, +
+483 U.S. 522 (1987) 9 +
+Schnapper v. Foley, 667 F.2d 102 (CADC 1981) 11 +
+Singer Mfg. Co. v. June Mfg. Co., 163 U.S. 169 (1896) 11 +
+Trademark Cases, 100 U.S. 82 (1879) 11 +
+West Virginia Board of Education v. Barnette, +
+319 U.S. 624 (1943) 10 +

+ +

+Constitutions, lois et règlements +

+ +

+U.S. Const. Art. I, §8, cl. 8 3, passim +
+U.S. Const. Amend. I 7, passim +
+U.S. Const. Amend. V 13,14 +
+Copyright Act of 1709 (Statute of Anne), +
+8 Anne, c. 19 6 +
+Copyright Act of 1790, 1 Stat. 124 6 +
+Sonny Bono Copyright Term +
+Extension Act, Pub. L. No. 105-298, +
+Title I, 112 Stat. 2827 3, passim +
+Statute of Monopolies, 21 Jac. I, c. 3 5 +

+ +

+Autres documents +

+ +

+Yochai Benkler, Free as the Air to Common +
+Use: First Amendment Constraints on +
+Enclosure of the Public Domain, +
+74 N.Y.U.L. Rev. 354 (1999) 8 +
+William Blackstone, Commentaries on +
+the Laws of England (1769) 5 +
+The Charter and General Laws of the Colony +
+and Province of Massachusetts Bay (Boston, 1814) 6 +
+144 Cong. Rec. H9951 (daily ed. Oct. 7, 1998) 3 +
+Thomas I. Emerson, The System of Freedom +
+of Expression (1970) 9 +
+Max Farrand, The Records of the Federal +
+Convention of 1787 (1937) 6 +
+George Lee Haskins, Law and Authority +
+in Early Massachusetts (1960) 6 +
+Melville B. Nimmer, Does Copyright Abridge +
+the First Amendment Guaranties of Free Speech +
+and the Press?, 17 UCLA L. Rev. 1180 (1970) 8 +
+Mark Rose, Authors and Owners: +
+The Invention of Copyright (1993) 6 +
+Cecily Violet Wedgwood, The King's Peace (1955) 5 +

+ +

+No. 01-618 +
+
+
+À LA +
Cour suprême des États-Unis +
+
+ERIC ELDRED et coll., +
Requérants
+
+v.
+
+JOHN D. ASHCROFT, en sa qualité officielle +
+de Ministre de la justice, +
Intimé
+
+
Requête en certiorari auprès de la +
+Cour d'appel des États-Unis pour le +
+circuit du district de Columbia
+
+
Mémoire d'amicus curiae de la +
+Free Software Foundation +
+à l'appui des requérants
+
+
+

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Intérêt de l'amicus curiae

+ +

+Ce factum est déposé au nom de la Free Software Foundation, une +organisation à but non lucratif dont le siège est à Boston, Massachusetts.[1] . La +Fondation pense que les gens devraient être libres d'étudier, de partager et +d'améliorer tous les logiciels qu'ils utilisent, comme ils sont libres de +partager et d'améliorer toutes les recettes qu'ils cuisinent, et que ce +droit est un aspect essentiel du système de libre expression dans une +société technologique. La Fondation travaille dans ce but depuis 1985 en +développant directement puis en distribuant et en aidant les autres à +développer et à distribuer du logiciel placé sous des termes de licences qui +permettent à tous les utilisateurs de copier, modifier et redistribuer les +œuvres, à condition de donner aux autres les mêmes libertés de les utiliser, +de les modifier et de les redistribuer à leur tour. La Fondation est le plus +grand contributeur unique du système d'exploitation GNU (largement utilisé +aujourd'hui dans ses variantes GNU/Linux pour des ordinateurs allant du +simple PC aux grappes de supercalculateurs). La licence publique générale +GNU [GNU General Public License] de la Fondation est la licence +la plus largement utilisée pour les « logiciels libres » ; elle couvre les +principaux composants du système d'exploitation GNU et des dizaines de +milliers d'autres programmes informatiques utilisés sur des dizaines de +millions d'ordinateurs dans le monde. La Fondation porte un vif intérêt à +l'utilisation et à l'adaptation de la loi sur le copyright en vue +d'encourager le partage et de protéger les droits des utilisateurs et du +domaine public.

+ +

Résumé de l'argument

+ +
+

+À vrai dire, Sonny [Bono] voulait que la durée de la protection du copyright +soit éternelle. +
--Rep. Mary Bono +
+144 Cong. Rec. H9951 (daily ed. Oct. 7, 1998) +

+
+ +

+Si feu le représentant Bono croyait que c'était possible, il se trompait. La +Cour d'appel s'est trompée en jugeant que les membres du Congrès acquis à sa +cause peuvent réussir à faire ce que la Constitution interdit expressément, +simplement parce qu'ils procèdent par succession de textes législatifs +[enactments] plutôt que par une loi [statute] +unique.c

+ +

+Personne ne soutient sérieusement que le Congrès puisse atteindre un but +expressément interdit en fragmentant les moyens d'y parvenir sous forme de +plusieurs lois. La Cour d'appel a pourtant soutenu qu'à condition que chaque +loi individuelle définisse une augmentation chiffrée de manière précise, le +Congrès peut prolonger indéfiniment la durée de vie des copyrights +existants. Cette conclusion est en conflit direct avec la formulation de la +clause du copyright, article I, §8, cl. 8, dans son sens premier. De +plus, l'histoire constitutionnelle de l'Angleterre et de l'Amérique du Nord +britannique est sans ambiguïté sur l'importance du « temps limité » dans le +contrôle des monopoles étatiques établis, genre dont le copyright et les +brevets sont des espèces.d Les maux mêmes qui ont conduit les +avocats constitutionnels d'Angleterre et d'Amérique du Nord britannique à +exiger une durée strictement limitée pour les monopoles (qu'ils soient +d'origine royale ou législative) et à inclure cette exigence dans la clause +du copyright de l'article I, sont présents dans la prolongation rétroactive +des copyrights existants mise en place par la CTEA (loi sur l'extension de la durée du copyright) de +Sonny Bono [Pub. L. No. 105-298, Title I, 112 Stat. 2827] en question dans +cette affaire.

+ +

+Dans le domaine du copyright, l'exigence d'une limitation dans le temps +protège le domaine public en pourvoyant à son enrichissement continuel. Le +domaine public est une ressource essentielle à notre système constitutionnel +de libre expression. Comme cette Cour l'a reconnu par le passé, plusieurs +aspects du système de copyright représentent des limitations, exigées par la +Constitution, qui portent sur la nature des monopoles que le Congrès a le +pouvoir d'accorder. La limitation de durée est particulièrement importante, +non seulement du fait que c'est une limitation constitutionnelle au pouvoir +du Congrès en vertu de sa présence dans le texte lui-même – qui va au-delà +des limitations, implicites dans le texte, du fair use (usage +raisonnable) et de la dichotomie idée/expression – mais aussi du fait de sa +fonction : la protection des ressources communes du domaine public.

+ +

+La CTEA met les droits du domaine public en danger en passant outre la +claire intention d'exiger une limitation de durée, ce qui la rend +inconstitutionnelle. Si le Congrès avait agi de façon unilatérale pour +réduire la durée du copyright, comme le Solicitor General +(avocat du gouvernement fédéral) semble croire qu'il en a le pouvoir, en +faisant entrer de force certaines œuvres dans le domaine public des +décennies avant la date prévue par le calendrier actuel, il ne fait aucun +doute que les industries basées sur le copyright auraient attaqué la +législation comme confiscatoire.e Si, d'autre part, le Congrès faisait en +sorte de prolonger de 99 ans, au loyer actuel, chaque bail de location de +50 ans contracté par l'État fédéral, il ne fait pas de doute qu'il serait +exigé une compensation. Le Congrès ne devrait pas avoir le droit de +confisquer au public l'avantage de réversion au domaine public, pas plus +qu'il ne peut confisquer à son détenteur une partie de la durée originale +d'un contrat de copyright ou de n'importe quel avantage lié à un bail de +propriété immobilière. Le système constitutionnel de libre expression, la +formulation de la clause du copyright et l'histoire de nos traditions n'en +exigent pas moins.

+ +

Argument

+ +

Les pionniers destinaient le copyright à établir un monopole de droitf sur les œuvres +d'auteur pendant un temps strictement limité

+ +

+Les mots « pour des temps limités » qui figurent dans la clause du +copyright, article I, §8, cl. 8 sont le résultat d'une longue et amère +expérience avec la plaie constitutionnelle que représentent les monopoles +attribués par l'État. Depuis le 17e siècle, la condition de limitation dans +le temps était un mécanisme constitutionnel essentiel pour faire face au +potentiel d'abus de pouvoir inhérent aux monopoles, qu'ils soient d'origine +royale ou législative. L'utilisation par la reine Élisabeth de lettres +patentes monopolisant certains négoces dans le but de soutirer l'argent des +acheteurs au profit des monopoles a provoqué l'affaire Darcy +v. Allen, (The Case of Monopolies <l'affaire des +monopoles>) [11 Co. Rep.84 (1603)] pour laquelle un monopole de patente +royale sur la fabrication et la distribution de cartes à jouer a été jugé +nul. Le Parlement a suivi en 1624 avec le « Statut des monopoles » +[21 Jac. I, c. 3] qui déclarait que seul le Parlement pourrait accorder des +monopoles de droit, limités aux nouvelles inventions, pour une période qui +n'excéderait pas 14 ans [voir 4 William Blackstone, Commentaries +on the Laws of England (commentaires sur les lois d'Angleterre) +*159 (1769)]. Cette limitation constitutionnelle a été esquivée par Charles +Ier durant la période de son règne despotique ; les monopoles +royaux résultants ont nourri des accusations substantielles dans les années +qui ont précédé la guerre civile en Angleterre [voir Cecily Violet +Wedgwood, The King's Peace (la paix du roi) 156-62 (1955)].

+ +

+Les colons américains en désaccord avec le gouvernement de Charles +Ier ont perçu la nuisance des monopoles gouvernementaux ; dès +1641, dans la colonie de la baie du Massachusetts, la Cour générale de la +colonie a décrété qu'« il n'y aura de monopoles accordés ou autorisés entre +nous que pour les nouvelles inventions profitables pour le pays, et ce, pour +une courte période » [The Charter and General Laws of the Colony and +Province of Massachusetts Bay (la Charte et les lois générales de la +colonie et la province de la baie du Massachussets) 170 (Boston, 1814) ; +voir aussi George Lee Haskins, Law and Authority in Early +Massachusetts (les lois et autorités dans les premiers temps du +Massachussets) 130 (1960)].

+ +

+Quand la loi sur le copyright de 1709 – le fameux « Statut d'Anne » – a été +rédigée, les pionniers ont exigé une limitation de durée bien plus +rigoureuse que celle que les auteurs proposaient, dont John Locke ; ils +optèrent pour la limite de quatorze ans du Statut des monopoles [voir +Mark Rose, Authors and Owners : The Invention of Copyright (auteurs +et propriétaires : l'invention du copyright) 44-47 (1993)]. La limite +stipulée par le Statut d'Anne – quatorze années avec un renouvellement de +quatorze années si l'auteur survivait à son premier terme – fut adoptée par +le premier Congrès dans la loi sur le copyright de 1790 [voir +Copyright Act of 1709, 8 Anne, c. 19; Act of May 31, 1790, 1 Stat. 124-25].

+ +

+Les auteurs de la Constitution ont accepté de manière unanime et sans +discussion substantielle l'idée d'une durée limitée pour le copyright dans +la rédaction de l'article I [voir 2 Max Farrand, The Records of +the Federal Convention of 1787 (les procès-verbaux de la Convention +fédérale de 1787), 321-325, 505-510, 570, 595 (1937)][2]. Ce faisant – comme l'a +montré l'utilisation de la limite temporelle du Statut des monopoles dans la +loi sur le copyright de 1790 qui a suivi – les pionniers et le premier +Congrès ont agi en pleine conscience de la longue histoire des tentatives +faites pour contrôler les nuisances générées par les monopoles de droit, en +limitant leur durée.

+ +

+On ne peut pas vicier l'importance constitutionnelle de la restriction +« temps limité », comme le ferait le raisonnement de la Cour d'appel, en +donnant au Congrès l'opportunité de créer des jouissances à perpétuité par +échelonnement, pas plus que le Congrès ne peut éliminer l'exigence +constitutionnelle d'originalité [Feist Publications, Inc. v. Rural +Telephone Service, Co., Inc., 499 U.S. 340, 346-347 (1991)]. La Cour +d'appel s'est fondamentalement trompée dans sa conclusion que « rien dans le +texte ou dans l'histoire n'indique qu'une limite temporelle au copyright +n'est pas un 'temps limité' si celui-ci peut ultérieurement être prolongé +par un autre 'temps limité' » [Eldred v. Reno, 239 F.3d 372, +379 (CADC 2001)]. À cet égard, la CTEA ne devrait pas être jugée +isolément. Nous devons chercher à savoir s'il y a quelque chose dans le +texte ou dans l'histoire qui rende constitutionnellement inacceptables les +onze prolongations de la durée du monopole dans les quarante dernières +années (avec pour résultat la quasi-disparition de l'élargissement au +domaine public) couronnées par la présente loi, qui diffère la réversion de +chaque copyright existant à des décennies.

+ +

La politique historique inscrite dans la clause du copyright est absolument +nécessaire à la réconciliation entre le monopole du copyright et le système +de libre expression

+ +

+Aussi important que soit le principe de temps limité pour modérer +globalement les nuisances générées par les monopoles de droit, dans le +domaine du copyright celui-ci a une visée bien plus essentielle. La +limitation de la durée du copyright assure le réapprovisionnement du domaine +public, le vaste réservoir de la culture commune de l'humanité. Le domaine +public est le tremplin de la créativité sociale, l'espace de liberté de +reproduction et d'échange qui rend l'innovation possible. Comme Yochai +Benkler l'a montré de façon élégante, l'existence d'un domaine public qui se +développe vigoureusement réconcilie les droits exclusifs du système du +copyright avec les buts fondamentaux du système de libre expression protégé +par le premier amendement [voir Yochai Benkler, Free as the Air to +Common Use : First Amendment Constraints on Enclosure of the Public +Domain (libre comme l'air pour l'usage de tous : les contraintes du +premier amendement sur l'enceinte du domaine public), 74 N.Y.U.L. Rev. 354, +386-394 (1999)]. Le Tribunal de première instance [The Court +below] s'est trompé en donnant une fin de non-recevoir simpliste à la +préoccupation des pétitionnaires concernant le premier amendement. Ce +Tribunal a estimé au début de son avis que les exigences du premier +amendement étaient « catégoriquement » satisfaites par la distinction entre +idée et expression, et que par conséquent tout matériel couvert par le +copyright mais dont l'utilisation pouvait être justifiée par le fair +use était si abondamment protégé aux fins de libre expression +qu'aucune réclamation faisant état du premier amendement ne pouvait être +recevable [239 F.3d, 375-376].

+ +

+Cette position n'est simplement pas tenable. Le Tribunal de première +instance a reconnu qu'une tentative du Congrès de rendre le copyright +perpétuel in haec verba (dans ces termes) serait interdit par la +formulation de la clause du copyright [Id., 377]. Mais même si l'on +peut esquiver tant bien que mal la claire injonction de la clause du +copyright par le subterfuge d'une « perpétuité fragmentée », obtenue par une +succession de prolongations rétroactives, cela ne rend pas le premier +amendement impuissant pour autant. Comme le disait le grand spécialiste du +copyright Melville Nimmer :

+ +

+Si je peux posséder Blackacre perpétuellement, pourquoi pas +aussi Black Beauty ?g La réponse tient dans le premier +amendement. Il n'y a pas d'avantage compensatoire ayant trait à l'expression +d'idées qui puisse se comparer à la possession perpétuelle d'une propriété +matérielle, immobilière et personnelle. Un tel avantage existe par contre en +ce qui concerne la propriété littéraire ou le copyright.

+
+

[Melville B. Nimmer, Does Copyright Abridge the First Amendment +Guaranties of Free Speech and the Press ? (Le copyright diminue-t-il les +garanties de la liberté d'expression et de la presse ?) +17 UCLA L. Rev. 1180, 1193 (1970)]

+ +

+La position de la Cour d'appel n'est pas non plus étayée par les jugements +de cette Cour. Au contraire, comme les affaires traitées par cette Cour le +mettent en évidence, le copyright et les monopoles de droit qui lui sont +associés doivent se conformer dans leur formulation – comme toute autre +règle sur l'expression d'idées – aux exigences du premier amendement. Dans +l'affaire Harper & Row, Publishers, Inc. v. Nation +Enterprises [471 U.S. 539 (1985)] cette Cour a rejeté ce qu'elle +caractérisait comme « une exception au copyright pour les personnages +publics » parce qu'elle trouvait suffisantes « les protections du premier +amendement déjà contenues dans la distinction, faite par la loi sur le +Copyright, entre… les actes et les idées, le fair use +donnant traditionnellement la liberté de commentaire et de recherche » +[Id., 560]. Ainsi la Cour a indiqué qu'elle ne trouvait « aucune +justification » à un plus ample développement de la doctrine du fair +use [Id.]. Ceci n'implique nullement, comme la Cour d'appel +l'a conclu tant bien que mal, que Harper & Row constitue un +obstacle insurmontable à toute contestation de toute loi subséquente sur le +copyright, sur la base du premier amendement [voir 239 F.3d, +375]. Dans l'affaire San Francisco Arts & Athletics, Inc. +v. United States Olympic Committee [483 U.S. 522 (1987)] cette Cour a +appliqué une analyse classique du premier amendement à une loi donnant une +protection spéciale de quasi-marque déposée au mot « Olympic », se demandant +« si les restrictions fortuites aux libertés du premier amendement n'étaient +pas plus importantes que ce qui serait nécessaire à la promotion d'un +intérêt supérieur de l'État » [Id., 537 (citation omise)].

+ +

+Le premier amendement a horreur du vide que représente la limitation de +l'expression. L'élaboration de nouvelles œuvres par la critique, +l'imitation, la révision et la modification du matériel existant est +caractéristique de la culture écrite dans tous les arts et les sciences. Le +premier amendement n'établit pas simplement une série de doctrines +indépendantes, mais un « système de libre expression » [voir Thomas +I. Emerson, The System of Freedom of Expression (le système de la +liberté d'expression) (1970)]. Nos engagements constitutionnels envers un +débat public « désinhibé, vigoureux et grand ouvert » [New York Times +Co. v. Sullivan, 376 U.S. 254, 270 (1964)], un « marché des +idées » [Reno v. American Civil Liberties Union, 521 U.S. 844, +885 (1997); cf. Abrams v. United States, 250 U.S. 616, +630 (1919)] où il ne doit y avoir aucune possibilité de « prescrire ce qui +devra être conforme » [West Virginia Board of Education +v. Barnette, 319 U.S. 624, 642 (1943)], exige que nous regardions +avec un grand scepticisme toute restriction à la formation et à l'expression +des idées. Les lois qui tendent à établir des monopoles sur l'expression des +idées doivent passer avec succès l'examen minutieux qui protège nos libertés +les plus fondamentales. La clause du copyright n'exempte pas de cet examen +la législation qui en découle, mais établit plutôt les principes qui +permettent aux monopoles de droit et à la libre expression de +coexister. Parmi ceux-ci, le principe de durée limitée est loin d'être le +moins important. En refusant de considérer l'effet de la législation +présente dans le contexte plus large d'une politique du Congrès consistant à +prolonger les copyrights de manière fragmentaire, indéfinie, indifférenciée, +et de la comparer aux buts établis par la clause du copyright elle-même, la +Cour d'appel a failli à son devoir de protéger les intérêts inestimables du +système de libre expression.

+ +

La prolongation indéfinie de la durée du monopole sur les œuvres d'auteur +existantes est incompatible avec la clause du copyright et le premier +amendement

+ +

+Précisément parce que la création de droits exclusifs sur les expressions +implique inévitablement un certain danger de monopolisation des idées, il +est essentiel à la coexistence du copyright et du premier amendement que +tous les droits exclusifs sur les expressions soient limités dans le +temps. À un moment donné, tous les droits exclusifs doivent prendre +fin. Selon notre Constitution, la réversion de toutes les œuvres d'auteur se +fait irrévocablement au bénéfice du public.

+ +

+Cette réversion n'est pas constitutionnellement facultative. Dans le +contexte des brevets, cette Cour a décrit la réversion comme une +« condition » que l'œuvre sujette à un monopole de droit provisoire passe +dans le domaine public à l'expiration du brevet [Singer Mfg. Co. +v. June Mfg. Co., 163 U.S. 169, 185 (1896)].

+ +

+En dépit de ce principe constitutionnel évident, la Cour d'appel a soutenu +que le Congrès pouvait créer une perpétuité sur le copyright à condition +qu'il le fasse de façon séquentielle, en procédant par des prolongations +répétitives de tous les copyrights existants pour des durées nominalement +« limitées ». Ce jugement est en contradiction à la fois avec l'esprit de la +clause du copyright et avec celui du premier amendement. La Cour d'appel a +jugé à tort, en suivant son propre précédent [voir Schnapper +v. Foley, 667 F.2d 102, 112 (1981)], que la seule phrase comprenant +la clause du copyright, autorisant le Congrès à « favoriser le progrès de la +science et des arts utiles en assurant, pour des temps limités, aux auteurs +et inventeurs le droit exclusif à leurs écrits et découvertes respectifs » +n'impose, dans sa déclaration d'objectifs, aucune limitation significative +au Congrès. Mais la Cour d'appel a admis, comme c'est son devoir, que les +affaires jugées par cette Cour montrent clairement la limitation effective +du pouvoir du Congrès par la clause du copyright ; par conséquent elle porte +ses efforts sur la désintégration d'un membre de phrase de vingt-sept mots +dans le but de prouver que, d'une manière ou d'une autre, les neuf premiers +sont constitutionnellement non pertinents.

+ +

+Cette Cour a soutenu une première fois dans l'affaire des marques déposées +Trademark Cases [100 U.S. 82 (1879)] et réaffirmé dans Feist, +supra [499 U.S., 346-47] que le Congrès ne pouvait pas +constitutionnellement édulcorer l'exigence d'originalité en rallongeant la +couverture du copyright aux œuvres d'auteur qui se servent d'expressions +déjà existantes, ou dans lesquelles l'effort de recueil et d'adaptation des +informations existantes n'établit pas ce « minimum de créativité » que la +Constitution exige. Selon la Cour d'appel toutefois, le principe +d'originalité émerge uniquement des mots « écrits » et « auteur », en ne +prenant pas le plus léger appui sur la déclaration d'objectifs qui introduit +la clause du copyright.

+ +

+La clause du copyright est unique parmi les pouvoirs législatifs énumérés à +l'article I, §8 en ce qu'elle contient une déclaration d'objectifs, qui +décrit à elle seule « tant les objectifs que le Congrès peut viser que les +moyens d'y parvenir » [Goldstein v. California, 412 U.S. 546, +555 (1973)]. Adopter une lecture de cette clause qui refuse les conséquences +juridiques des mots que les pionniers ont inclus spécifiquement et de façon +atypique, est un style peu convaincant d'argumentation constitutionnelle.

+ +

+Sans même se référer au début de la clause, cependant, les avis antérieurs +de cette Cour montrent que la Cour d'appel a mal appréhendé la tâche +d'argumentation. La Cour d'appel traite les mots « temps limités » de +manière purement formelle. Elle soutient qu'après les dix prolongations +précédentes enclenchées en 1962 (mettant hors de portée du domaine public +pendant une génération la totalité des œuvres dont les copyrights auraient +dû expirer) la prolongation par la CTEA des durées existantes pour à nouveau +vingt ans ne soulève pas de question constitutionnelle significative, parce +que la nouvelle prolongation est numériquement définie à vingt ans. Pourtant +la même interprétation, formelle et non contextuelle des mots devrait +aboutir au résultat rejeté par cette Cour à Feist : les répertoires +téléphoniques sont indéniablement des « œuvres écrites », selon la même +distorsion sémantique qui rend la prolongation contenue dans la CTEA +« limitée ».

+ +

Le cinquième amendement interdit ce genre de pratique juridique à l'égard +des droits de propriété physique, et aucune justification constitutionnelle +ne permet de faire avec la libre expression ce qui ne peut pas l'être avec +la simple propriété

+ +

+Selon la logique du jugement de la Cour d'appel, apparemment appuyée dans +cette Cour par le Solicitor General, le Congrès pourrait voter +une loi écourtant la durée des copyrights existants, ce qui réaffecterait au +domaine public un grand volume d'œuvres encore couvertes. Si la loi +stipulait simplement que la durée du copyright était réduite à quatorze ans, +selon la Cour d'appel, cela satisferait aux exigences de « temps limité », +et cela ne donnerait aux Cours aucune raison de chercher à savoir si un tel +changement favoriserait le progrès des sciences et des arts utiles. On +s'attendrait toutefois à ce que les détenteurs de copyright soutiennent +qu'une telle modification de la durée des droits existants les priverait du +bénéfice que la « transaction du copyright » est censée leur « garantir ».

+ +

+Mais la transaction du copyright a deux facettes : « garantir » aux auteurs +leur monopole limité en échange de la réversion au public. Augmenter +l'avantage de réversion aux dépens de la propriété initiale n'est pas +conceptuellement différent d'augmenter le monopole du détenteur de copyright +aux dépens de l'avantage de réversion, qui est celui de la société toute +entière et du système de libre expression. Diminuer ou éliminer le domaine +public afin d'augmenter le bénéfice des détenteurs de monopoles, dont les +œuvres ont déjà été créées grâce à l'allocation de droits précédente, ne +favorise pas le progrès des connaissances ni ne respecte l'intérêt de la +libre expression, qui est d'une importance critique pour la santé du domaine +public.[3]

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+Par ailleurs, s'il s'agissait de la réquisition d'une propriété immobilière, +la clause du cinquième amendement ne permettrait pas, sans une compensation, +un tel ajustement législatif de la durée des avantages. Sachant que le +copyright tient ses origines de la common law (loi commune), il +n'est pas surprenant qu'il adopte pour les œuvres d'auteur la même structure +familière de « patrimoine », à commencer par un acte de cession pour un +certain nombre d'années ou un usufruit limité à un certain nombre d'années, +avec une réversion au domaine public. Cette Cour a jugé que l'altération par +la loi de tels patrimoines, ayant pour effet de limiter l'avantage de +réversion de la propriété immobilière de manière à effectuer une +redistribution entre des parties privées, est considérée comme « usage +public » au sens de la clause de réquisition ; il est conforme à la +Constitution s'il est compensé [Hawaii Housing Authority +v. Midkiff, 467 U.S. 229 (1984)]. Mais il n'a jamais été suggéré que +le Congrès ou la législature d'un État pouvait effectuer un transfert de +richesses aussi énorme aux actuels rentiers, par la prolongation de tous les +baux existants, en anéantissant ou en reportant indéfiniment l'avantage de +réversion sans payer de compensation.

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+Ce qu'interdit le cinquième amendement, au sujet de l'intervention sur les +droits de propriété immobilière existants, ne devrait pas être autorisé +quand les droits détruits par les changements législatifs des règles de +propriété sont ceux de la liberté d'expression et de publication. La Cour +d'appel a rejeté la demande des pétitionnaires comme s'ils revendiquaient le +droit d'utiliser des œuvres couvertes par le copyright d'autrui [239 F.3d, +376]. Ce que les pétitionnaires réclament au contraire, c'est seulement leur +droit constitutionnel d'utiliser des œuvres qui auraient été versées au +domaine public comme exigé par la loi en vigueur à l'époque où les monopoles +de droit dont il est question ont été octroyés, si le Congrès n'était pas +intervenu de manière anticonstitutionnelle.

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Les dangers spécifiques d'abus et de corruption justifient un examen +constitutionnel rigoureux lorsqu'il s'agit de prolonger la durée des +monopoles de droit

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+Au cours du premier siècle de notre république, la durée des copyrights a +été prolongée une fois. Au cours des soixante-dix années suivantes, il a été +prolongé encore une fois. Depuis 1962, la durée des copyrights a été +prolongée régulièrement par incréments allant de un à vingt ans, et le flux +d'œuvres déposées aux États-Unis vers le domaine public a presque cessé. La +loi en question devant cette Cour diffère d'une génération supplémentaire +les droits sur les œuvres protégées par le premier amendement pour tout +autre que les détenteurs de monopoles de droit.

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+Aucun schéma législatif ne pourrait montrer plus clairement la présence des +maux mêmes contre lesquels les auteurs de la Constitution et leurs ancêtres +ont lutté, et qui ont donné naissance à la clause du copyright avec son +exigence de « temps limité ». Pendant leur lutte pour la liberté +constitutionnelle, nos prédécesseurs ont perçu un danger de corruption dans +l'octroi des monopoles. Le danger qu'ils ont appréhendé venait de +l'exécutif, qui pouvait utiliser son pouvoir pour accorder ces monopoles +pour mobiliser des fonds indépendamment de la législature. À notre époque, +le risque vient du fait que la législature, à qui est accordé le pouvoir de +créer de tels monopoles par l'article I, §8, a pris l'habitude +d'utiliser ce pouvoir pour accorder des avantages aux détenteurs de +copyright au détriment du domaine public. Un tel objectif – transformer le +système de libre expression en une série de fiefs privés au bénéfice des +détenteurs de monopoles, qui peuvent choisir de dégrever sous forme de +cotisations de campagne une petite part des rentes ainsi soutirées à la +population – est clairement interdit au Congrès par la formulation de la +clause du copyright et par le premier amendement. L'utilisation de +prolongations intérimaires répétées pour réaliser l'effet d'une perpétuation +n'est pas moins dangereuse qu'un texte unique considéré par toutes les +parties comme anticonstitutionnel. Une telle pratique législative augmente +au contraire les dangers de corruption sans diminuer le tort fait au domaine +public.

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Conclusion

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+Peut-être que feu le représentant Bono a cru en effet que le copyright +pouvait durer éternellement. Qu'un législateur puisse soutenir ce point de +vue reflète à quel point nos dérives mettent en danger une partie +fondamentale de notre système de libre expression. Cette Cour devrait juger +que la CTEA viole les exigences de la clause du copyright et du premier +amendement en prolongeant les copyrights existants. La décision de la Cour +d'appel devrait être annulé.

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+Respectueusement. +
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Notes de traduction
    +
  1. Le copyright américain est l'équivalent du droit +d'auteur français, mais il y a des différences significatives du point de +vue juridique, c'est pourquoi nous ne traduisons pas ce terme. 
  2. +
  3. La phrase de la Constitution à laquelle se réfère +l'expression « clause du copyright » est la suivante : The Congress +shall have Power… To promote the Progress of Science and useful Arts, +by securing for limited Times to Authors and Inventors the exclusive Right +to their respective Writings and Discoveries. (Le Congrès aura le +pouvoir… de favoriser le progrès de la science et des arts utiles en +assurant, pour des temps limités, aux auteurs et inventeurs le droit +exclusif à leurs écrits et découvertes respectifs.) 
  4. +
  5. Statute : aux États-Unis, la législation +est basée sur la loi écrite (statutory law), la jurisprudence +(case law) et les règlements administratifs +(regulations). Une loi votée par le Congrès (Chambre des +représentants + Sénat) est appelée act. Une fois promulguée, +elle devient applicable et prend le nom de statute. Même +promulguée, une loi peut être déclarée inconstitutionnelle. Elle sera alors +inapplicable de fait, mais ne sera pas retirée des textes. 
  6. +
  7. Allusion à la classification des êtres vivants en genres +et espèces. 
  8. +
  9. No doubt the copyright industries would attack the +legislation as a taking. Allusion au 5e amendement de la +Constitution : … nor shall private property be taken for public +use, without just compensation (nulle propriété privée ne pourra être +réquisitionnée à l'usage du public sans une juste compensation). 
  10. +
  11. Statutory monopoly : monopole de +jure, créé par une législature. 
  12. +
  13. Blackacre est le nom d'un domaine fictif +utilisé traditionnellement comme exemple dans les cours de droit ; +Black Beauty est un roman à succès d'Anna Sewell, racontant +l'histoire d'un cheval. 
  14. +
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