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+<!-- Parent-Version: 1.86 -->
+
+<!-- This file is automatically generated by GNUnited Nations! -->
+<title>À propos du projet GNU - Projet GNU - Free Software Foundation</title>
+<meta http-equiv="Keywords" content="GNU, GNU Project, FSF, Free Software, Free Software Foundation, History" />
+
+<!--#include virtual="/gnu/po/thegnuproject.translist" -->
+<!--#include virtual="/server/banner.fr.html" -->
+<h2>Le projet GNU</h2>
+
+<p>
+par <a href="http://www.stallman.org/"><strong>Richard Stallman</strong></a></p>
+
+<blockquote>
+<p>
+Publié à l'origine dans le livre <em>Open Sources</em>. Richard Stallman <a
+href="/philosophy/open-source-misses-the-point.html">n'a jamais été partisan
+de l'« open source »</a>, mais a contribué à ce livre par cet article pour
+que les idées du logiciel libre n'en soient pas complètement absentes.
+</p>
+<p>
+Pourquoi il est plus important que jamais <a
+href="/philosophy/free-software-even-more-important.html">d'exiger que le
+logiciel dont nous nous servons soit libre</a>.
+</p>
+</blockquote>
+
+<h3>La première communauté qui partageait le logiciel</h3>
+<p>
+En 1971, quand j'ai commencé à travailler au labo d'intelligence
+artificielle (IA) du <abbr title="Massachusetts Institute of
+Technology">MIT</abbr> (Institut de technologie du Massachusetts), j'ai
+intégré une communauté qui partageait le logiciel depuis de nombreuses
+années déjà. Le partage du logiciel n'était pas limité à notre
+communauté ; c'est une notion aussi ancienne que les premiers ordinateurs,
+tout comme le partage des recettes est aussi ancien que la cuisine. Mais
+nous partagions davantage que la plupart.</p>
+<p>
+Le labo d'IA utilisait un système d'exploitation à temps partagé appelé
+<abbr title="Incompatible Timesharing System">ITS</abbr> (système à temps
+partagé incompatible) que les hackers (1) de l'équipe avaient écrit et mis
+au point en langage assembleur pour le <abbr title="Programmed Data
+Processor">PDP</abbr>-10 de Digital, l'un des grands ordinateurs de
+l'époque. En tant que membre de cette communauté, hacker système de l'équipe
+du labo d'IA, mon travail consistait à améliorer ce système.</p>
+<p>
+Nous ne qualifiions pas nos productions de « logiciels libres », car ce
+terme n'existait pas encore ; c'est pourtant ce qu'elles étaient. Quand
+d'autres universitaires, ou bien une entreprise, souhaitaient porter l'un de
+nos programmes pour l'utiliser sur leur matériel, nous les laissions
+volontiers faire. Et quand on voyait quelqu'un utiliser un programme inconnu
+qui semblait intéressant, on pouvait toujours en obtenir le code source,
+afin de le lire, le modifier, ou d'en réutiliser des parties dans le cadre
+d'un nouveau programme.</p>
+<p>
+(1) L'utilisation du mot « hacker » dans le sens de « casseur de systèmes de
+sécurité », est un amalgame instillé par les mass media. Nous autres hackers
+refusons de reconnaître cette signification et continuons de donner à ce mot
+le sens de « celui qui aime programmer ou qui prend plaisir à exercer son
+ingéniosité de façon ludique ».<a id="TransNote1-rev"
+href="#TransNote1"><sup>a</sup></a> Consultez mon article <a
+href="http://stallman.org/articles/on-hacking.html">On Hacking</a>.</p>
+
+<h3>L'effondrement de la communauté</h3>
+<p>
+La situation changea de manière radicale au début des années 80 quand la
+société Digital mit fin à la série des PDP-10. Cette architecture, élégante
+et puissante dans les années 60, ne pouvait pas s'adapter sans difficulté
+aux plus grands espaces d'adressage qui devenaient réalisables dans les
+années 80. Cela rendait obsolètes la quasi-totalité des programmes
+constituant ITS.</p>
+<p>
+La communauté des hackers du labo d'IA s'était effondrée peu de temps
+auparavant. La plupart d'entre eux avaient été engagés par une nouvelle
+société, Symbolics, et ceux qui étaient restés ne parvenaient pas à
+maintenir la communauté (le livre <cite>Hackers</cite>, écrit par Steve
+Levy, décrit ces événements et dépeint clairement l'apogée de cette
+communauté). Quand le laboratoire a, en 1982, choisi d'acheter un nouveau
+PDP-10, ses administrateurs ont décidé de remplacer ITS par le système à
+temps partagé de la société Digital, qui n'était pas libre.</p>
+<p>
+Les ordinateurs modernes d'alors, tels le VAX et le 68020, disposaient de
+leurs propres systèmes d'exploitation, mais aucun d'entre eux n'était
+libre : il fallait signer un accord de non-divulgation pour en obtenir ne
+serait-ce qu'une copie exécutable.</p>
+<p>
+Cela signifiait que la première étape de l'utilisation d'un ordinateur était
+la promesse de ne pas aider son prochain. On interdisait toute communauté
+fondée sur la coopération. La règle qu'édictaient ceux qui détenaient le
+monopole d'un logiciel privateur<a id="TransNote2-rev"
+href="#TransNote2"><sup>b</sup></a> était : « Qui partage avec son voisin
+est un pirate. Qui souhaite la moindre modification doit nous supplier de la
+lui faire. »</p>
+<p>
+L'idée que le système social du logiciel privateur – le système qui vous
+interdit de partager ou d'échanger le logiciel – est antisocial, contraire à
+l'éthique, et qu'il est tout simplement mauvais, surprendra peut-être
+certains lecteurs. Mais comment qualifier autrement un système fondé sur la
+division et l'isolement des utilisateurs ? Les lecteurs surpris par cette
+idée ont probablement pris le système social du logiciel privateur pour
+argent comptant, ou l'ont jugé en employant les termes suggérés par les
+entreprises de logiciel privateur. Les éditeurs de logiciels travaillent
+d'arrache-pied, et depuis longtemps, à convaincre tout un chacun qu'il
+n'existe qu'un seul point de vue sur la question – le leur.</p>
+<p>
+Quand les éditeurs de logiciels parlent de « faire respecter » leurs
+« droits » ou de « couper court au <a
+href="/philosophy/words-to-avoid.html#Piracy">piratage</a> », ce qu'ils
+<em>disent</em> est secondaire. Le véritable message se trouve entre les
+lignes et il consiste en des hypothèses de travail qu'ils considèrent comme
+acquises ; nous sommes censés les accepter les yeux fermés. Passons-les donc
+en revue.</p>
+<p>
+La première hypothèse est que les sociétés éditrices de logiciel disposent
+d'un droit naturel, incontestable, à être propriétaire du logiciel et
+asseoir ainsi leur pouvoir sur tous ses utilisateurs (si c'était là un droit
+naturel, on ne pourrait formuler aucune objection, indépendamment du tort
+qu'il cause à tous). Il est intéressant de remarquer que la Constitution et
+la tradition juridique des États-Unis d'Amérique rejettent toutes deux cette
+idée ; le copyright n'est pas un droit naturel, mais un monopole artificiel,
+imposé par l'État, restreignant le droit naturel de copier que possèdent les
+utilisateurs.</p>
+<p>
+Autre hypothèse sous-jacente : seules importent les fonctionnalités du
+logiciel; des utilisateurs comme nous ne doivent pas s'intéresser au modèle
+de société qu'on leur prépare.</p>
+<p>
+Une troisième hypothèse est qu'on ne disposerait d'aucun logiciel utilisable
+(ou qu'on ne disposerait jamais d'un logiciel qui s'acquitte de telle ou
+telle tâche en particulier) si l'on ne garantissait pas à une entreprise
+l'assise d'un pouvoir sur les utilisateurs du programme. Cette idée était
+plausible, jusqu'à ce que le mouvement du logiciel libre démontrât qu'on
+peut produire toutes sortes de logiciels utiles sans qu'il soit nécessaire
+de les barder de chaînes.</p>
+<p>
+Si l'on se refuse à accepter ces hypothèses et qu'on examine ces questions
+en se fondant sur une morale dictée par le bon sens, tout en plaçant les
+utilisateurs au premier plan, on parvient à des conclusions bien
+différentes. Les utilisateurs doivent être libres de modifier les programmes
+pour qu'ils répondent mieux à leurs besoins, et libres de partager le
+logiciel parce que la société est fondée sur l'aide à autrui.</p>
+<p>
+La place me manque ici pour développer le raisonnement menant à cette
+conclusion, aussi renverrai-je le lecteur aux articles <a
+href="/philosophy/why-free.html">Pourquoi les logiciels ne doivent pas avoir
+de propriétaire</a> et <a
+href="/philosophy/free-software-even-more-important.html">Le logiciel libre
+est encore plus essentiel maintenant</a>.
+</p>
+
+<h3>Un choix moral difficile</h3>
+<p>
+Avec l'extinction de ma communauté, il m'était impossible de continuer comme
+par le passé. J'étais confronté à un choix moral difficile.</p>
+<p>
+La solution de facilité était de rejoindre le monde du logiciel privateur,
+signer des accords de non-divulgation et promettre de ne pas aider mon
+camarade hacker. Très probablement, j'aurais aussi été amené à développer du
+logiciel publié dans le cadre d'accords de non-divulgation, contribuant
+ainsi à en pousser d'autres vers la trahison de leurs camarades.</p>
+<p>
+J'aurais pu gagner de l'argent de cette façon et peut-être même trouver
+amusant d'écrire du code. Mais je savais qu'à la fin de ma carrière je
+n'aurais à contempler que des années passées à construire des murs pour
+séparer les gens, avec l'impression d'avoir employé ma vie à rendre le monde
+pire.</p>
+<p>
+J'avais déjà eu l'expérience douloureuse des accords de non-divulgation,
+quand quelqu'un m'avait refusé, ainsi qu'au labo d'IA du MIT, l'accès au
+code source du programme de contrôle de notre imprimante (l'absence de
+certaines fonctionnalités dans ce programme rendait l'utilisation de
+l'imprimante très frustrante). Aussi ne pouvais-je pas me dire que les
+accords de non-divulgation étaient bénins. Le refus de cette personne de
+partager avec nous m'avait mis très en colère ; je ne pouvais pas, à mon
+tour, adopter un tel comportement à l'égard de mon prochain.</p>
+<p>
+Une autre possibilité, radicale mais déplaisante, était d'abandonner
+l'informatique. De cette manière, mes capacités ne seraient pas employées à
+mauvais escient, mais elles n'en seraient pas moins gaspillées. Je ne me
+rendrais pas coupable de diviser les utilisateurs d'ordinateurs et de
+restreindre leurs droits, mais cela se produirait malgré tout.</p>
+<p>
+Alors, j'ai cherché une façon pour un programmeur de se rendre utile pour la
+bonne cause. Je me suis demandé si je ne pouvais pas écrire un ou plusieurs
+programmes qui permettraient de souder à nouveau une communauté.</p>
+<p>
+La réponse était limpide : le besoin le plus pressant était un système
+d'exploitation. C'est le logiciel le plus crucial pour commencer à utiliser
+un ordinateur. Un système d'exploitation permet de faire beaucoup de
+choses ; sans système, l'ordinateur est inexploitable. Avec un système
+d'exploitation libre, on pourrait reconstituer une communauté de hackers
+travaillant en mode coopératif – et inviter chacun à participer. Ainsi tout
+un chacun pourrait se servir d'un ordinateur sans au préalable entrer dans
+une conspiration destinée à spolier ses ami.e.s.</p>
+<p>
+En tant que développeur de système d'exploitation, j'avais les compétences
+requises. Aussi, bien que le succès ne me semblât pas garanti, je me suis
+rendu compte que j'étais prédestiné à faire ce travail. J'ai choisi de
+rendre le système compatible avec Unix de manière à le rendre portable, pour
+que les utilisateurs d'Unix puissent migrer facilement. J'ai opté pour le
+nom « GNU », fidèle en cela à une tradition des hackers, car c'est un
+acronyme récursif qui signifie <cite>GNU's Not Unix</cite> (GNU N'est pas
+Unix). Il se prononce <a href="/gnu/pronunciation.html">« gnou » (comme
+l'animal), avec un g dur</a>.</p>
+<p>
+Un système d'exploitation ne se limite pas à un noyau, qui suffit à peine à
+exécuter d'autres programmes. Dans les années 70, tout système
+d'exploitation digne de ce nom disposait d'interpréteurs de commandes
+(<cite>shell</cite>), d'assembleurs, de compilateurs, d'interpréteurs, de
+débogueurs, d'éditeurs de textes, de logiciels de courrier électronique,
+pour n'en citer que quelques-uns. C'était le cas d'ITS, c'était le cas de
+Multics, c'était le cas de VMS et c'était le cas d'Unix. Ce serait aussi le
+cas du système d'exploitation GNU.</p>
+<p>
+Plus tard, j'ai entendu ces mots, attribués à Hillel (1) :</p>
+
+<blockquote><p>
+ If I am not for myself, who will be for me?<br />
+ If I am only for myself, what am I?<br />
+ If not now, when? <a id="TransNote3-rev" href="#TransNote3"><sup>c</sup></a>
+</p></blockquote>
+<p>
+C'est dans cet état d'esprit que j'ai pris la décision de lancer le projet
+GNU.</p>
+<p>
+(1) En tant qu'athée, je ne suis les pas d'aucun guide spirituel, mais
+j'admire parfois ce qu'a dit l'un d'entre eux.</p>
+
+<h3><cite>Free</cite> comme libre</h3>
+<p>
+Le terme <cite>free software</cite> est mal compris : il n'a rien à voir
+avec le prix.<a id="TransNote4-rev" href="#TransNote4"><sup>d</sup></a> Il
+parle de liberté. Voici donc la définition d'un logiciel libre.</p>
+
+<p>Un programme est un logiciel libre pour vous, utilisateur particulier, si :</p>
+
+<ul>
+ <li>vous avez la liberté de l'exécuter comme vous le souhaitez, pour quelque
+motif que ce soit ;</li>
+
+ <li>vous avez la liberté de modifier le programme afin qu'il corresponde mieux à
+vos besoins (dans la pratique, pour que cette liberté prenne effet, il vous
+faut pouvoir accéder au code source, puisqu'opérer des modifications au sein
+d'un programme dont on n'a pas le code source est un exercice extrêmement
+difficile) ;</li>
+
+ <li>vous disposez de la liberté d'en redistribuer des copies, que ce de manière
+gratuite ou onéreuse ;</li>
+
+ <li>vous avez la liberté de distribuer des versions modifiées du programme, afin
+que la communauté puisse bénéficier de vos améliorations.</li>
+</ul>
+<p>
+Puisque le mot <cite>free</cite> se réfère ici à la liberté et non au prix,
+il n'est pas contradictoire de vendre des copies de logiciels libres. En
+réalité, cette liberté est cruciale : les compilations de logiciels libres
+vendues sur CD-ROM sont importantes pour la communauté, car le produit de
+leur vente permet de lever des fonds pour le développement du logiciel
+libre. C'est pourquoi on ne peut pas qualifier de libre un logiciel qu'on
+n'a pas la liberté d'inclure dans de telles compilations.</p>
+<p>
+Le mot <cite>free</cite> étant ambigu en anglais, on a longtemps cherché des
+solutions de remplacement, mais personne n'a trouvé mieux. La langue
+anglaise compte plus de mots et de nuances que toute autre langue, mais elle
+souffre de l'absence d'un mot simple, univoque, qui ait le sens de
+<cite>free</cite> comme liberté – <cite>unfettered</cite> (terme littéraire
+signifiant « sans entrave ») étant le meilleur candidat, d'un point de vue
+sémantique. Des mots comme <cite>liberated</cite> (libéré),
+<cite>freedom</cite> (liberté) et <cite>open</cite> (ouvert) présentent tous
+un sens incorrect ou un autre inconvénient.</p>
+
+<h3>Les logiciels GNU et le système GNU</h3>
+<p>
+C'est un projet de très grande envergure que de développer un système
+complet. Pour le mener à bien, j'ai décidé d'adapter et de réutiliser les
+logiciels libres existants, quand cela était possible. J'ai par exemple
+décidé dès le début d'utiliser TeX comme formateur de texte principal ;
+quelques années plus tard, j'ai décidé d'utiliser le système X Window plutôt
+que d'écrire un autre système de fenêtrage pour GNU.</p>
+<p>
+Cette décision, comme d'autres du même genre, a rendu le système GNU
+distinct de la réunion de tous les logiciels GNU. Le système GNU comprend
+des programmes qui ne sont pas des logiciels GNU ; ce sont des programmes
+qui ont été développés par d'autres, dans le cadre d'autres projets, pour
+leurs buts propres, mais qu'on peut réutiliser, car ce sont des logiciels
+libres.</p>
+
+<h3>La genèse du projet</h3>
+<p>
+En janvier 1984, j'ai démissionné de mon poste au MIT et commencé à écrire
+les logiciels GNU. Il était nécessaire que je quitte le MIT pour empêcher ce
+dernier de s'immiscer dans la distribution de GNU en tant que logiciel
+libre. Si j'avais gardé mon poste, le MIT aurait pu se déclarer propriétaire
+de mon travail et lui imposer ses propres conditions de distribution, voire
+le transformer en logiciel privateur. Je n'avais pas l'intention d'abattre
+autant de travail pour le voir devenir impropre à sa destination première :
+créer une nouvelle communauté qui partage le logiciel.</p>
+<p>
+Cependant, le professeur Winston, qui dirigeait alors le labo d'IA du MIT,
+m'a gentiment invité à continuer d'utiliser les équipements du laboratoire.</p>
+
+<h3>Les premiers pas</h3>
+<p>
+Peu de temps avant de me lancer dans le projet GNU, j'avais entendu parler
+du <cite>Free University Compiler Kit</cite>,<a id="TransNote5-rev"
+href="#TransNote5"><sup>e</sup></a> plus connu sous le nom de VUCK (en
+néerlandais, le mot qui veut dire <cite>free</cite> commence par un
+<em>v</em>). Ce compilateur avait été mis au point dans l'intention de gérer
+plusieurs langages, parmi lesquels C et Pascal, et de produire des binaires
+pour de nombreuses machines cibles. J'ai écrit à son auteur en lui demandant
+la permission d'utiliser ce compilateur dans le cadre du projet GNU.</p>
+<p>
+Il répondit d'un ton railleur, en déclarant (en anglais) que l'université
+était <cite>free</cite> mais pas le compilateur. J'ai alors décidé que le
+premier programme du projet GNU serait un compilateur gérant plusieurs
+langages, sur plusieurs plateformes.</p>
+<p>
+En espérant m'épargner la peine d'écrire tout le compilateur moi-même, j'ai
+obtenu le code source du compilateur Pastel, qui avait été développé au
+laboratoire Lawrence Livermore et était multiplateforme. Il compilait une
+version étendue de Pascal conçue comme langage de programmation système, et
+c'était aussi le langage dans lequel il avait été écrit. J'y ai ajouté une
+interface pour le C et j'ai entrepris le portage de ce programme sur le
+Motorola 68000. Mais j'ai dû abandonner quand j'ai découvert qu'il fallait à
+ce compilateur plusieurs mégaoctets d'espace de pile, alors que le système
+Unix du 68000 n'en gérait que 64 ko.</p>
+<p>
+J'ai alors compris comment fonctionnait Pastel : il analysait le fichier en
+entrée, en faisait un arbre syntaxique, convertissait cet arbre syntaxique
+en chaîne d'« instructions » et engendrait ensuite le fichier de sortie,
+sans jamais libérer le moindre espace mémoire. J'en ai conclu qu'il me
+faudrait réécrire un nouveau compilateur en partant de zéro. Ce dernier est
+maintenant connu sous le nom de <abbr title="GNU Compiler
+Collection">GCC</abbr> ; il n'utilise rien de Pastel, mais j'ai réussi à
+adapter et réutiliser l'analyseur syntaxique que j'avais écrit pour le
+langage C. Mais tout cela ne s'est produit que quelques années plus tard ;
+j'ai d'abord travaillé sur GNU Emacs.</p>
+
+<h3>GNU Emacs</h3>
+<p>
+J'ai commencé à travailler sur GNU Emacs en septembre 1984 ; début 1985, ce
+programme commençait à devenir fonctionnel, ce qui m'a permis d'utiliser des
+systèmes Unix pour éditer mes fichiers ; n'ayant aucune envie de me
+familiariser avec vi ou ed, j'avais jusqu'alors utilisé d'autres types de
+machines pour les éditer.</p>
+<p>
+C'est alors que j'ai reçu des requêtes de gens souhaitant utiliser GNU
+Emacs, ce qui a soulevé le problème de sa distribution. Je l'avais bien sûr
+mis sur le serveur FTP anonyme de l'ordinateur du MIT que j'utilisais (cet
+ordinateur, prep.ai.mit.edu, a ainsi été promu au rang de site de
+distribution principal par FTP du projet GNU ; quelques années plus tard, à
+la fin de son exploitation, nous avons transféré ce nom sur notre nouveau
+serveur FTP). Mais à l'époque, une proportion importante des personnes
+intéressées, n'ayant pas d'accès à Internet, ne pouvaient pas se procurer de
+copie du programme par FTP. La question se posait en ces termes : que
+devais-je leur dire ?</p>
+<p>
+J'aurais pu leur dire : « Trouvez un ami qui dispose d'un accès au réseau et
+qui vous en fera une copie. » J'aurais pu également leur dire, comme je
+l'avais fait avec la version originale d'Emacs pour PDP-10, « Envoyez-moi
+une bande et une enveloppe timbrée à votre adresse ; je vous les renverrai
+avec Emacs. » Mais j'étais sans emploi et je cherchais des moyens de gagner
+de l'argent grâce au logiciel libre. C'est pourquoi j'ai annoncé que
+j'enverrais une bande à quiconque en désirait une, en échange d'une
+contribution de 150 dollars américains. C'est ainsi que j'ai créé une
+entreprise de distribution de logiciel libre, l'ancêtre des sociétés qui, de
+nos jours, proposent des distributions GNU/Linux complètes.</p>
+
+<h3>Un programme est-il libre pour chacun de ses utilisateurs ?</h3>
+<p>
+Si un programme est un logiciel libre au moment où il quitte les mains de
+son auteur, cela ne signifie pas nécessairement qu'il sera un logiciel libre
+pour quiconque en possédera une copie. Un logiciel placé dans le <a
+href="/philosophy/categories.html#PublicDomainSoftware">domaine public</a>,
+par exemple (qui n'est couvert par aucun copyright), est un logiciel libre ;
+mais tout un chacun peut en produire une version privatrice modifiée. De
+façon comparable, de nombreux programmes libres sont couverts par des
+copyrights, mais distribués sous des licences permissives qui autorisent la
+création de versions modifiées privatrices.</p>
+<p>
+L'exemple le plus frappant de ce problème est le système X Window. Développé
+au MIT et distribué sous forme de logiciel libre avec une licence
+permissive, il a rapidement été adopté par divers constructeurs. Ils ont
+ajouté X à leurs systèmes Unix privateurs, sous forme binaire uniquement, en
+le frappant du même accord de non-divulgation. Ces exemplaires de X
+n'étaient pas plus libres que le reste d'Unix.</p>
+<p>
+Les développeurs du système X Window ne voyaient là nul problème (ils
+s'attendaient à cela et souhaitaient un tel résultat). Leur but n'était pas
+la liberté, mais la simple « réussite », définie comme le fait d'« avoir
+beaucoup d'utilisateurs ». Peu leur importait la liberté de ces
+utilisateurs, seul leur nombre revêtait de l'importance à leurs yeux.</p>
+<p>
+Cela a conduit à une situation paradoxale où deux façons différentes
+d'évaluer la liberté donnaient des réponses différentes à la question « Ce
+programme est-il libre ? » Qui fondait son jugement sur la liberté accordée
+par les termes de distribution de la version du MIT concluait que X était un
+logiciel libre. Mais qui mesurait la liberté de l'utilisateur-type de X
+devait conclure que X était un logiciel privateur. La plupart des
+utilisateurs de X exécutaient les versions privatrices fournies avec les
+systèmes Unix et non la version libre.</p>
+
+<h3>Le copyleft et la GNU GPL</h3>
+<p>
+Le but du projet GNU était de rendre les utilisateurs libres, pas de se
+contenter d'être populaire. Nous avions besoin de conditions de distribution
+qui empêcheraient de transformer les logiciels GNU en logiciels
+privateurs. La méthode que nous utilisons a pour nom « copyleft » (1), ou
+« gauche d'auteur ».</p>
+<p>
+Le copyleft utilise le copyright (ou le droit d'auteur), en le retournant
+pour lui faire servir le but opposé de ce pour quoi il a été conçu : ce
+n'est pas une manière de restreindre l'utilisation d'un logiciel, mais une
+manière de lui conserver sa liberté.</p>
+<p>
+L'idée centrale du copyleft est de donner à chacun la permission d'exécuter
+le programme, de le copier, de le modifier et d'en distribuer des versions
+modifiées (mais pas la permission d'ajouter des restrictions de son
+cru). C'est ainsi que les libertés essentielles qui définissent le
+« logiciel libre » sont garanties pour quiconque en possède un exemplaire ;
+elles deviennent des droits inaliénables.</p>
+<p>
+Pour que le copyleft soit efficace, il faut que les versions modifiées
+demeurent libres, afin de s'assurer que toute œuvre dérivée de notre travail
+reste disponible pour la communauté en cas de publication. Quand un
+programmeur professionnel améliore bénévolement un logiciel GNU, c'est le
+copyleft qui empêche son employeur de dire : « Vous ne pouvez pas partager
+ces modifications, car nous allons les utiliser dans le cadre de notre
+version privatrice du programme. »</p>
+<p>
+Il est essentiel d'imposer que les modifications restent libres si l'on
+souhaite garantir la liberté de tout utilisateur du programme. Les sociétés
+qui ont privatisé le système X Window faisaient en général quelques
+modifications pour le porter sur leur système d'exploitation et sur leur
+matériel. Ces modifications étaient ténues si on les comparait à X dans son
+ensemble, mais elles n'en étaient pas pour autant évidentes. Si le fait de
+procéder à des modifications était un prétexte valable pour refuser aux
+utilisateurs leur liberté, n'importe qui pourrait facilement en tirer parti.</p>
+<p>
+Le problème de la réunion d'un programme libre avec du code non libre est
+similaire. Une telle combinaison serait indubitablement non libre ; les
+libertés absentes de la partie non libre du programme ne se trouveraient pas
+non plus dans l'ensemble, résultat de la combinaison. Autoriser de telles
+pratiques ouvrirait une voie d'eau suffisante pour couler le navire. C'est
+pourquoi il est essentiel que le copyleft colmate cette brèche : l'ajout ou
+la jonction d'un élément quelconque à un programme sous copyleft doit se
+faire de telle sorte que la version élargie résultant de l'opération soit
+également libre et régie par le copyleft.</p>
+<p>
+La mise en œuvre spécifique du copyleft que nous utilisons pour la plupart
+des logiciels GNU est la licence publique générale GNU, GNU <abbr title="GNU
+General Public License">GPL</abbr> en abrégé. Nous disposons d'autres types
+de copyleft pour des circonstances particulières. Les manuels du projet GNU
+sont eux aussi régis par le copyleft, mais en utilisent une version très
+simplifiée car il n'est pas nécessaire de faire appel à toute la complexité
+de la GNU GPL dans le cadre de manuels. (2)</p>
+<p>
+(1) En 1984 ou 1985, Don Hopkins (dont l'imagination était sans bornes) m'a
+envoyé une lettre. Il avait écrit sur l'enveloppe plusieurs phrases
+amusantes et notamment celle-ci : <cite>Copyleft – all rights
+reversed.</cite><a id="TransNote6-rev" href="#TransNote6"><sup>f</sup></a>
+J'ai utilisé le mot « copyleft » pour donner un nom au concept de
+distribution que je développais alors.</p>
+
+<p>
+(2) Nous utilisons maintenant la <a href="/licenses/fdl.html">licence GNU de
+documentation libre</a> (GNU <abbr title="Free Documentation
+License">FDL</abbr>) pour la documentation.</p>
+
+<h3>La <cite>Free Software Foundation</cite>, ou Fondation pour le logiciel
+libre</h3>
+
+<p>Emacs attirant de plus en plus l'attention, le projet GNU comptait un nombre
+croissant de participants et nous avons décidé qu'il était temps de repartir
+à la chasse aux fonds. En 1985, nous avons donc créé la <a
+href="http://www.fsf.org/">Free Software Foundation</a> (Fondation pour le
+logiciel libre), une association à but non lucratif, exemptée d'impôts, pour
+le développement de logiciels libres. La <abbr title="Free Software
+Foundation">FSF</abbr> a aussi pris en charge le commerce de la distribution
+d'Emacs ; plus tard, elle a étendu cette activité en ajoutant aux bandes
+d'autres logiciels libres (aussi bien GNU que non GNU) et en vendant des
+manuels libres.</p>
+
+<p>Au début, les ressources de la FSF provenaient surtout de la vente de copies
+de logiciels libres et de services annexes (CD-ROM de code source, CD-ROM
+d'exécutables, manuels joliment imprimés, tout cela en autorisant la
+redistribution et les modifications) et des distributions
+<cite>Deluxe</cite> (distributions pour lesquelles nous compilions une
+collection de logiciels pour la plateforme choisie par le
+client). Aujourd'hui la FSF <a href="http://shop.fsf.org/">vend encore des
+manuels et d'autres outils</a>, mais elle obtient l'essentiel de son
+financement grâce aux cotisations des membres. Vous pouvez adhérer à la FSF
+sur <a href="http://fsf.org/join">fsf.org</a>.</p>
+
+<p>Les salariés de la Fondation pour le logiciel libre ont écrit et maintenu un
+grand nombre de paquets logiciels du projet GNU, en particulier la
+bibliothèque C et le shell. La bibliothèque C de GNU est ce qu'utilise tout
+programme fonctionnant sur un système GNU/Linux pour communiquer avec
+Linux. Elle a été développée par Roland McGrath, membre de l'équipe de la
+Fondation pour le logiciel libre. Le shell employé sur la plupart des
+systèmes GNU/Linux est <abbr title="Bourne Again SHell">BASH</abbr>, le
+<cite>Bourne-Again Shell</cite> (1), qui a été développé par Brian Fox,
+salarié de la FSF.</p>
+
+<p>Nous avons financé le développement de ces programmes, car le projet GNU ne
+se limitait pas aux outils ou à un environnement de développement. Notre but
+était la mise en place d'un système d'exploitation complet et de tels
+programmes étaient nécessaires pour l'atteindre.</p>
+
+<p>(1) <cite>Bourne-Again Shell</cite><a id="TransNote7-rev"
+href="#TransNote7"><sup>g</sup></a> est un clin d'œil au nom <cite>Bourne
+Shell</cite>, qui était le shell habituel sur Unix.</p>
+
+<h3>Assistance technique au logiciel libre</h3>
+
+<p>La philosophie du logiciel libre rejette une pratique spécifique, très
+répandue dans l'industrie du logiciel, mais elle ne s'oppose pas au monde
+des affaires. Quand des entreprises respectent la liberté des utilisateurs,
+nous leur souhaitons de réussir.</p>
+
+<p>La vente d'exemplaires d'Emacs représente l'une des formes du commerce fondé
+sur le logiciel libre. Quand la FSF a récupéré ce commerce, j'ai dû chercher
+une autre solution pour gagner ma vie. Je l'ai trouvée dans la vente de
+services associés aux logiciels libres que j'avais développés. Cela
+consistait à faire des cours sur des sujets comme la programmation de GNU
+Emacs et la personnalisation de GCC, et à développer du logiciel
+(essentiellement pour porter GCC sur de nouvelles plateformes).</p>
+
+<p>De nos jours, chacune de ces activités lucratives fondées sur le logiciel
+libre est pratiquée par de nombreuses sociétés. Certaines distribuent des
+compilations de logiciels libres sur CD-ROM ; d'autres vendent de
+l'assistance technique en répondant à des questions d'utilisateurs, en
+corrigeant des bogues et en insérant de nouvelles fonctionnalités
+majeures. On commence même à voir des entreprises dont l'objet est la mise
+sur le marché de nouveaux logiciels libres.</p>
+
+<p>Prenez garde, toutefois : certaines des sociétés qui s'associent à la
+dénomination « open source »<a id="TransNote8-rev"
+href="#TransNote8"><sup>h</sup></a> fondent en réalité leur activité sur du
+logiciel privateur qui fonctionne avec du logiciel libre. Ce ne sont pas des
+entreprises de logiciel libre, ce sont des entreprises de logiciel privateur
+dont les produits détournent les utilisateurs de leur liberté. Elles les
+appellent « produits à valeur ajoutée », ce qui reflète quelles valeurs
+elles souhaitent nous voir adopter : préférer la facilité à la liberté. Si
+nous faisons passer la liberté au premier plan, il nous faut leur donner le
+nom de « produits à liberté soustraite ».</p>
+
+<h3>Objectifs techniques</h3>
+
+<p>L'objectif principal de GNU est d'être libre. Même si GNU ne jouissait
+d'aucun avantage technique sur Unix, il disposerait d'un avantage sociétal,
+car il autorise les utilisateurs à coopérer, et d'un avantage éthique, car
+il respecte la liberté de l'utilisateur.</p>
+
+<p>Mais il était naturel d'appliquer à ce travail les standards bien connus du
+développement logiciel de qualité en utilisant par exemple des structures de
+données allouées dynamiquement pour éviter de mettre en place des limites
+fixées arbitrairement, et en gérant tous les caractères possibles codables
+sur 8 bits, partout où cela avait un sens.</p>
+
+<p>De plus, nous nous sommes démarqués d'Unix, dont la priorité était la
+réduction des besoins en mémoire, en décidant de ne pas nous occuper des
+architectures 16 bits (il était clair que les architectures 32 bits seraient
+la norme au moment de la finalisation du système GNU) et en ne faisant aucun
+effort pour réduire la consommation mémoire à moins qu'elle n'excède un
+mégaoctet. Dans les programmes pour lesquels il n'était pas crucial de
+manipuler des fichiers de taille importante, nous avons encouragé les
+programmeurs à lire le fichier en entrée d'une traite, en mémoire centrale,
+et à analyser ensuite son contenu sans plus se préoccuper des
+entrées/sorties.</p>
+
+<p>Ces décisions ont rendu de nombreux programmes du projet GNU supérieurs à
+leurs homologues sous Unix en termes de fiabilité et de vitesse d'exécution.</p>
+
+<h3>Des ordinateurs offerts</h3>
+
+<p>La réputation du projet GNU croissant, on nous offrait des machines sous
+Unix pour nous aider à le mener à bien. Elles nous ont été bien utiles, car
+le moyen le plus facile de développer les composants de GNU était de
+travailler sur un système Unix dont on remplaçait les composants un par
+un. Mais cela a posé un problème éthique : était-il correct, pour nous, de
+posséder ne serait-ce qu'un exemplaire d'Unix ?</p>
+
+<p>Unix était (et demeure) constitué de logiciel privateur, et la philosophie
+du projet GNU nous demandait de ne pas utiliser de logiciel
+privateur. Toutefois, en appliquant le raisonnement qui justifie le recours
+à la violence en situation de légitime défense, je suis arrivé à la
+conclusion qu'il était légitime d'utiliser un logiciel privateur quand
+c'était crucial pour développer une solution de remplacement libre qui en
+aiderait d'autres à se passer de ce même logiciel privateur.</p>
+
+<p>Mais ce mal avait beau être justifiable, il n'en restait pas moins un
+mal. De nos jours, nous ne possédons plus aucun exemplaire d'Unix, car nous
+les avons tous remplacés par des systèmes d'exploitation libres. Quand nous
+ne parvenions pas à substituer au système d'exploitation d'une machine un
+système libre, nous remplacions la machine.</p>
+
+<h3>La <cite>GNU Task List</cite>, ou liste des tâches du projet GNU</h3>
+
+<p>Le projet GNU suivant son cours, on trouvait ou on développait un nombre
+croissant de composants du système et il est finalement devenu utile de
+faire la liste des parties manquantes. Nous l'avons utilisée pour recruter
+des développeurs afin d'écrire ces dernières. Cette liste a pris le nom de
+<cite>GNU task list</cite>. En plus des composants manquants d'Unix, nous y
+avons inscrit plusieurs autres projets utiles, de logiciel et de
+documentation, que nous jugions indispensables à un système réellement
+complet.</p>
+
+<p>De nos jours (1), on ne trouve presque plus aucun composant d'Unix dans la
+liste des tâches du projet GNU – ces travaux ont tous été menés à bien, si
+l'on néglige certains composants non essentiels. Mais la liste est pleine de
+projets qu'on pourrait qualifier d'« applications ». Tout programme qui fait
+envie à une classe pas trop restreinte d'utilisateurs constituerait un ajout
+utile à un système d'exploitation.</p>
+
+<p>On trouve même des jeux dans la liste des tâches (et c'est le cas depuis le
+commencement). Unix proposait des jeux, ce devait naturellement être aussi
+le cas de GNU. Mais il n'était pas nécessaire d'être compatible en matière
+de jeux, aussi n'avons-nous pas suivi la liste des jeux d'Unix. À la place,
+nous avons mis sur la liste un assortiment de jeux qui devraient plaire aux
+utilisateurs.</p>
+
+<p>(1) Cela a été écrit en 1998. Depuis 2009, nous ne tenons plus à jour cette
+longue liste de tâches. La communauté développe des logiciels libres
+tellement vite que nous ne pouvons même pas les suivre tous. En revanche,
+nous avons une liste des projets à haute priorité – liste bien plus courte
+de projets dont nous souhaitons vivement qu'ils soient menés à bien.</p>
+
+<h3>La <cite>GNU Library GPL</cite>, ou licence publique générale GNU pour les
+bibliothèques</h3>
+
+<p>La bibliothèque C de GNU fait appel à un copyleft particulier, appelé
+« licence publique générale GNU pour les bibliothèques », ou GNU <abbr
+title="Library General Public License">LGPL</abbr> (1), qui autorise la
+liaison de logiciel privateur avec la bibliothèque. Pourquoi une telle
+exception ?</p>
+
+<p>Ce n'est pas une question de principe ; aucun principe ne dicte que les
+logiciels privateurs ont le droit de contenir notre code (pourquoi
+contribuer à un projet qui affirme refuser de partager avec nous ?)
+L'utilisation de la LGPL dans le cadre de la bibliothèque C, ou de toute
+autre bibliothèque, est un choix stratégique.</p>
+
+<p>La bibliothèque C joue un rôle générique ; tout système privateur, tout
+compilateur, dispose d'une bibliothèque C. C'est pourquoi limiter
+l'utilisation de la nôtre au logiciel libre n'aurait donné aucun avantage au
+logiciel libre ; cela n'aurait eu pour effet que de décourager l'utilisation
+de notre bibliothèque.</p>
+
+<p>Il existe une exception à cette règle : sur le système GNU (et cela comprend
+GNU/Linux), la bibliothèque C de GNU est la seule disponible. Aussi, ses
+conditions de distribution déterminent s'il est possible de compiler un
+programme privateur sur le système GNU. Il n'existe aucune raison éthique
+d'autoriser des applications privatrices sur le système GNU, mais d'un point
+de vue stratégique, il semble que les interdire découragerait plus
+l'utilisation du système GNU que cela n'encouragerait le développement
+d'applications libres. C'est pourquoi l'utilisation de la LGPL est une bonne
+stratégie pour la bibliothèque C.</p>
+
+<p>En ce qui concerne les autres bibliothèques, il faut prendre la décision
+stratégique au cas par cas. Quand une bibliothèque remplit une tâche
+particulière qui peut faciliter l'écriture de certains types de programmes,
+la publier sous les conditions de la GPL, en limitant son utilisation aux
+programmes libres, est une manière d'aider les développeurs de logiciels
+libres et de leur accorder un avantage sur le logiciel privateur.</p>
+
+<p>Considérons GNU Readline, une bibliothèque développée pour l'édition des
+commandes dans BASH. Cette bibliothèque est distribuée sous la GNU GPL et
+non pas sous la LGPL. L'effet probable est de réduire l'utilisation de la
+bibliothèque Readline, mais cela ne représente pas une perte pour nous. En
+attendant, on compte au moins une application utile qui a été libérée
+uniquement dans le but de pouvoir utiliser la bibliothèque Readline, et
+c'est là un gain réel pour la communauté.</p>
+
+<p>Les développeurs de logiciel privateur jouissent des avantages que leur
+confère l'argent ; les développeurs de logiciel libre doivent compenser cela
+en s'épaulant les uns les autres. J'espère qu'un jour nous disposerons de
+toute une collection de bibliothèques sous GPL, pour lesquelles il
+n'existera pas d'homologue privateur. Nous disposerons ainsi de modules
+pouvant être utilisés comme composants dans de nouveaux programmes libres,
+ce qui favorisera considérablement la poursuite du développement de logiciel
+libre.</p>
+
+<p>(1) Cette licence s'appelle maintenant la <cite>GNU Lesser General Public
+License</cite> (licence publique générale GNU amoindrie), pour éviter de
+laisser penser que toutes les bibliothèques doivent l'utiliser. Consultez
+l'article <a href="/philosophy/why-not-lgpl.html">Pourquoi vous ne devriez
+pas utiliser la LGPL pour votre prochaine bibliothèque</a> pour plus
+d'informations.</p>
+
+<h3>Gratter là où ça démange ?</h3>
+<p>
+Éric Raymond affirme que « Tout bon logiciel commence par gratter un
+développeur là où ça le démange. » Cela se produit peut-être, parfois, mais
+de nombreux composants essentiels de GNU ont été développés dans le but de
+disposer d'un système d'exploitation libre complet. Ils ont été inspirés par
+une vision et un projet à long terme, pas par un coup de tête.</p>
+<p>
+Nous avons par exemple développé la bibliothèque C de GNU, car un système de
+type Unix a besoin d'une bibliothèque C ; BASH, car un système de type Unix
+a besoin d'un shell ; et GNU tar, car un système de type Unix a besoin d'un
+programme d'archivage. Il en va de même pour les programmes que j'ai
+développés, à savoir le compilateur C de GNU, GNU Emacs, GDB et GNU Make.</p>
+<p>
+Certains programmes GNU ont été développés pour répondre aux menaces qui
+pesaient sur notre liberté. C'est ainsi que nous avons développé gzip en
+remplacement du programme Compress, que la communauté avait perdu suite aux
+brevets logiciels déposés sur <abbr
+title="Lempel-Ziv-Welch">LZW</abbr>. Nous avons trouvé des gens pour
+développer LessTif, et plus récemment nous avons démarré les projets <abbr
+title="GNU Network Object Model Environment">GNOME</abbr> et Harmony en
+réponse aux problème posés par certaines bibliothèques privatrices (lire
+ci-après). Nous sommes en train de développer GNU Privacy Guard (GPG) pour
+remplacer un logiciel de chiffrement populaire mais non libre, car les
+utilisateurs ne devraient pas avoir à choisir entre la préservation de leur
+vie privée et la préservation de leur liberté.</p>
+<p>
+Bien sûr, les gens qui écrivent ces programmes se sont intéressés à ce
+travail et de nombreux contributeurs ont ajouté de nouvelles fonctionnalités
+pour satisfaire leurs besoins ou leurs intérêts. Mais ce n'est pas là la
+raison première de ces programmes.</p>
+
+<h3>Des développements inattendus</h3>
+<p>
+Au commencement du projet GNU, j'ai imaginé que nous développerions le
+système GNU dans sa globalité avant de le publier. Les choses se sont
+passées différemment.</p>
+<p>
+Puisque chaque composant du système GNU était implémenté sur un système
+Unix, chaque composant pouvait être exécuté sur des systèmes Unix bien avant
+que le système GNU ne soit disponible dans sa globalité. Certains de ces
+programmes sont devenus populaires et leurs utilisateurs ont commencé à
+travailler sur des extensions et des portages – sur les diverses versions
+incompatibles d'Unix et parfois aussi sur d'autres systèmes.</p>
+<p>
+Ce processus a rendu ces programmes bien plus complets et a drainé des fonds
+et des participants vers le projet GNU. Mais il a probablement eu également
+pour effet de retarder de plusieurs années la mise au point d'un système en
+état de fonctionnement, puisque les développeurs du projet GNU passaient
+leur temps à s'occuper de ces portages et à ajouter de nouvelles
+fonctionnalités aux composants existants, plutôt que de continuer à
+développer peu à peu les composants manquants.</p>
+
+<h3>Le GNU Hurd</h3>
+<p>
+En 1990, le système GNU était presque terminé ; le seul composant principal
+qui manquait encore à l'appel était le noyau. Nous avions décidé
+d'implémenter le noyau sous la forme d'une série de processus serveurs qui
+fonctionneraient au-dessus de Mach. Mach est un micronoyau qui a été
+développé à l'université Carnegie-Mellon, puis à l'université d'Utah ; le
+GNU Hurd est une série de serveurs (une « horde de gnous ») qui fonctionnent
+au-dessus de Mach et remplissent les diverses fonctions du noyau Unix. Le
+développement a été retardé, car nous attendions que Mach soit publié sous
+forme de logiciel libre comme on nous l'avait promis.</p>
+<p>
+L'une des raisons qui ont dicté ce choix était d'éviter ce qui semblait être
+la partie la plus difficile du travail : déboguer un programme de noyau sans
+disposer pour cela d'un débogueur au niveau du code source. Ce travail avait
+déjà été fait, dans Mach, et nous pensions déboguer les serveurs du Hurd en
+tant que programmes utilisateur, à l'aide de GDB. Mais cela prit beaucoup de
+temps et les serveurs à plusieurs fils d'exécution <cite>[multithreaded
+servers]</cite>, qui s'envoyaient des messages les uns aux autres, se sont
+révélés très difficiles à déboguer. Il a fallu de nombreuses années pour
+faire fonctionner le Hurd de manière robuste.</p>
+
+<h3>Alix</h3>
+<p>
+À l'origine, le noyau du système GNU n'était pas censé s'appeler Hurd. Son
+premier nom était Alix – du nom de celle qui à l'époque était l'objet de ma
+flamme. Administratrice de systèmes Unix, elle avait fait remarquer que son
+prénom ressemblait aux noms typiques des versions de systèmes Unix ; elle
+s'en était ouverte auprès d'amis en plaisantant : « Il faudrait baptiser un
+noyau de mon nom. » Je n'ai rien dit, mais ai décidé de lui faire la
+surprise avec un noyau appelé Alix.</p>
+<p>
+Mais les choses ont changé. Michael Bushnell (maintenant, il s'appelle
+Thomas), le développeur principal du noyau, préférait le nom Hurd et a
+confiné le nom Alix à une certaine partie du noyau – la partie qui se
+chargeait d'intercepter les appels système et de les gérer en envoyant des
+messages aux serveurs du Hurd.</p>
+<p>
+Plus tard, Alix et moi mîmes fin à notre relation et elle a changé de nom ;
+de manière indépendante, le concept du Hurd avait évolué de telle sorte que
+ce serait la bibliothèque C qui enverrait directement des messages aux
+serveurs, ce qui a fait disparaître le composant Alix du projet.</p>
+<p>
+Mais avant que ces choses ne se produisent, un de ses amis avait remarqué le
+nom d'Alix dans le code source du Hurd et s'en était ouvert auprès
+d'elle. Elle a donc finalement eu l'occasion de découvrir un noyau à son
+nom.</p>
+
+<h3>Linux et GNU/Linux</h3>
+<p>
+GNU Hurd n'est pas encore utilisable en production et nous ne savons pas
+s'il le sera un jour. Son architecture basée sur les fonctionnalités
+<cite>[capability-based design]</cite> a des problèmes provenant directement
+de la flexibilité de cette architecture et il n'est pas sûr que des
+solutions existent.</p>
+
+<p>
+Heureusement, on dispose d'un autre noyau. En 1991, Linus Torvalds a
+développé un noyau compatible avec Unix et lui a donné le nom de Linux. Au
+début c'était un logiciel privateur, mais en 1992 il l'a rendu libre ; la
+jonction de Linux avec le système GNU, qui était presque complet, a donné un
+système d'exploitation libre et complet (ce travail de jonction était
+lui-même, bien sûr, considérable). C'est grâce à Linux qu'on peut désormais
+employer une version du système GNU.</p>
+<p>
+Nous appelons cette version du système <a
+href="/gnu/linux-and-gnu.html">GNU/Linux</a>, pour indiquer le fait que
+c'est une combinaison du système GNU avec le noyau Linux. Je vous en prie,
+ne vous laissez pas aller à appeler le système complet « Linux », puisque
+cela équivaudrait à attribuer notre travail à quelqu'un d'autre. Merci de <a
+href="/gnu/gnu-linux-faq.html">nous mentionner de manière équivalente</a>.</p>
+
+<h3>Les défis à venir</h3>
+<p>
+Nous avons fait la preuve de notre capacité à développer une large gamme de
+logiciels libres. Cela ne signifie pas que nous sommes invincibles et que
+rien ne peut nous arrêter. Certains défis rendent incertain l'avenir du
+logiciel libre ; pour les relever il faudra des efforts et une endurance
+soutenus, sur des années parfois. Il faudra montrer le genre de
+détermination dont les gens font preuve quand ils accordent de la valeur à
+leur liberté et qu'ils ne laisseront personne la leur voler.</p>
+<p>
+Les quatre sections suivantes discutent de ces défis.</p>
+
+<h3>Le matériel secret</h3>
+<p>
+Les fabricants de matériel tendent de plus en plus à garder leurs
+spécifications secrètes. Cela rend plus difficile l'écriture de pilotes de
+périphériques libres afin de permettre à Linux et au projet XFree86 de
+reconnaître de nouveaux matériels. Nous disposons aujourd'hui de systèmes
+entièrement libres, mais cela ne sera plus le cas à l'avenir si nous ne
+pouvons pas gérer les ordinateurs de demain.</p>
+<p>
+On peut résoudre ce problème de deux manières. Les programmeurs peuvent
+faire de la rétroingénierie pour comprendre comment gérer le matériel. Les
+autres peuvent choisir le matériel qui est reconnu par du logiciel libre ;
+plus nous serons nombreux, plus la politique du secret sur les
+spécifications sera vouée à l'échec.</p>
+<p>
+La rétroingénierie est un travail considérable ; disposerons-nous de
+programmeurs suffisamment déterminés pour le prendre en main ? Oui – si nous
+sommes intimement persuadés que le logiciel libre est une question de
+principe et que les pilotes non libres sont inacceptables. Et serons-nous
+nombreux à dépenser un peu plus d'argent, ou à passer un peu plus de temps,
+afin d'utiliser des pilotes libres ? Oui, si la détermination à revendiquer
+la liberté se généralise.</p>
+<p>
+(Note de 2008 : ce problème s'applique également au BIOS. Il existe un BIOS
+libre, <a href="http://www.libreboot.org/">LibreBoot</a> (une distribution
+de coreboot) ; le problème est d'obtenir les spécifications des machines
+pour que LibreBoot puisse les gérer sans recourir à des « blobs » non
+libres.)</p>
+
+<h3>Les bibliothèques non libres</h3>
+<p>
+Une bibliothèque non libre qui fonctionne sur des systèmes d'exploitation
+libres se comporte comme un piège vis-à-vis des développeurs de logiciel
+libre. Les fonctionnalités attrayantes de cette bibliothèque sont l'appât ;
+si vous l'utilisez, vous tombez dans le piège car votre programme ne peut
+pas faire partie utilement d'un système d'exploitation libre (en toute
+rigueur, on pourrait y inclure le programme, mais on ne pourrait pas
+<em>l'exécuter</em> en l'absence de la bibliothèque). Pire encore, si un
+programme qui utilise une bibliothèque privatrice devient populaire, il peut
+attirer dans le piège d'autres programmeurs peu soupçonneux.</p>
+<p>
+Ce problème s'est posé pour la première fois avec la boîte à outils Motif,
+dans les années 80. Même s'il n'existait pas encore de systèmes
+d'exploitation libres, le problème que Motif leur causerait plus tard était
+évident. Le projet GNU a réagi de deux manières : en demandant aux projets
+de logiciel libre d'utiliser les widgets de la boîte à outils libre
+<cite>X Toolkit</cite> en parallèle avec Motif et en recherchant un
+volontaire pour donner un remplaçant libre à Motif. Ce travail prit de
+nombreuses années ; il a fallu attendre 1997 pour que LessTif, développé par
+<cite>The Hungry Programmers</cite> (les Programmeurs affamés), devienne
+capable de faire fonctionner la plupart des applications utilisant Motif.</p>
+<p>
+Entre 1996 et 1998, une autre boîte à outils non libre pour interface
+graphique, nommée Qt, a été utilisée dans une importante collection de
+logiciels libres, l'environnement de bureau <abbr title="K Desktop
+Environment">KDE</abbr>.</p>
+<p>
+Les systèmes GNU/Linux libres ne pouvaient pas utiliser KDE, car nous ne
+pouvions pas utiliser cette bibliothèque. Cependant, certains distributeurs
+commerciaux de systèmes GNU/Linux n'ont pas été assez stricts dans leur
+respect des règles du logiciel libre et ont ajouté KDE dans leurs systèmes,
+ce qui en augmentait les capacités mais en réduisait la liberté. Le groupe
+KDE encourageait activement de plus en plus de programmeurs à utiliser Qt et
+des millions de « nouveaux utilisateurs de Linux » n'avaient jamais été
+avertis du fait que tout ceci posait problème. La situation semblait
+désespérée.</p>
+<p>
+La communauté du logiciel libre a répondu à ce problème de deux manières :
+GNOME et Harmony.</p>
+<p>
+<abbr title="GNU Network Object Model Environment">GNOME</abbr> est le
+projet de bureau de GNU. Démarré en 1997 par Miguel de Icaza et développé
+avec l'aide de la société Red Hat Software, GNOME avait pour but de fournir
+des fonctionnalités de bureau similaires en utilisant exclusivement du
+logiciel libre. Il jouit aussi d'avantages techniques, comme de gérer toute
+une variété de langages, pas seulement le C++. Mais son objectif principal
+est la liberté : ne pas imposer l'utilisation du moindre logiciel non libre.</p>
+<p>
+Harmony est une bibliothèque compatible de remplacement, conçue pour
+permettre l'utilisation des logiciels de KDE sans faire appel à Qt.</p>
+<p>
+En novembre 1998, les développeurs de Qt ont annoncé une modification de
+leur licence qui, une fois effective, devrait faire de Qt un logiciel
+libre. On ne peut pas en être sûr, mais je pense que cette décision est en
+partie imputable à la réponse ferme de la communauté au problème que posait
+Qt lorsqu'il n'était pas libre (la nouvelle licence n'est pas pratique ni
+équitable, aussi demeure-t-il préférable d'éviter l'utilisation de Qt).</p>
+<p>
+[Note ultérieure : en septembre 2000, Qt a été republiée sous la GNU GPL, ce
+qui pour l'essentiel a résolu le problème.]</p>
+<p>
+Comment répondrons-nous à la prochaine bibliothèque non libre mais
+alléchante ? La communauté entière comprendra-t-elle la nécessité de ne pas
+tomber dans le piège ? Ou serons-nous nombreux à préférer la facilité à la
+liberté, ce qui donnera lieu à un autre problème majeur ? Notre avenir
+dépend de notre philosophie.</p>
+
+<h3>Les brevets logiciels</h3>
+<p>
+La pire menace provient des brevets logiciels, susceptibles de placer des
+algorithmes et des fonctionnalités hors de portée du logiciel libre pendant
+une période qui peut atteindre vingt ans. Les brevets sur l'algorithme de
+compression LZW ont été déposés en 1983 et nous ne pouvons toujours pas
+diffuser de logiciel libre qui produise des images au format <abbr
+title="Graphics Interchange Format">GIF</abbr> correctement
+compressées. [Note : ils ont expiré en 2009.] En 1998, la menace d'une
+poursuite pour cause de violation de brevets a mis fin à la distribution
+d'un programme libre qui produisait des données sonores compressées au
+format <abbr title="MPEG-1 Audio Layer 3">MP3</abbr>. [En 2017, ces brevets
+ont expiré. Regardez combien de temps il aura fallu attendre.]
+</p>
+<p>
+Il existe plusieurs manières de faire face au problème des brevets : on peut
+rechercher des preuves qu'un brevet est invalide, ou chercher d'autres
+solutions pour remplir une tâche particulière. Mais chacune de ces méthodes
+ne fonctionne que de temps en temps ; quand elles échouent toutes les deux,
+un seul brevet peut mettre la totalité des logiciels libres dans
+l'impossibilité d'offrir aux utilisateurs une fonctionnalité qu'ils
+souhaitent. Après une longue attente, les brevets finissent par expirer,
+mais que devons-nous faire d'ici là ?</p>
+<p>
+Ceux d'entre nous qui apprécient le logiciel libre pour la liberté qu'il
+leur donne continueront à l'utiliser de toute façon. On pourra travailler
+sans utiliser les fonctionnalités brevetées. Mais ceux d'entre nous qui
+apprécient le logiciel libre parce qu'ils s'attendent à ce qu'il soit
+techniquement supérieur diront probablement qu'il ne vaut rien, le jour où
+un brevet l'empêchera de progresser plus avant. Ainsi, même s'il est utile
+de parler de l'efficacité sur le plan pratique du développement de type
+« bazar », ainsi que de la fiabilité et de la puissance de certains
+logiciels libres, il ne faut pas s'en tenir là. Il nous faut parler de
+liberté et de principes.</p>
+
+<h3>La documentation libre</h3>
+<p>
+Il ne faut pas chercher les défauts les plus graves de nos systèmes
+d'exploitation libres dans le logiciel; c'est l'absence de bons manuels
+libres qu'on puisse inclure dans nos systèmes qui se fait le plus
+cruellement sentir. La documentation est essentielle dans tout paquet
+logiciel ; quand un paquet logiciel important ne dispose pas d'un bon manuel
+libre, il s'agit d'une lacune majeure. On en compte de nombreuses
+aujourd'hui.</p>
+<p>
+La documentation libre, tout comme le logiciel libre, est une question de
+liberté, pas de prix. La définition d'un manuel libre est très proche de
+celle du logiciel libre : il s'agit d'offrir certaines libertés à tous les
+utilisateurs. Il faut autoriser la redistribution (y compris la vente
+commerciale), en ligne et sur papier, de telle sorte que le manuel puisse
+accompagner chaque copie du programme.</p>
+<p>
+Il est également crucial d'autoriser les modifications. En règle générale,
+je ne pense pas qu'il soit essentiel d'autoriser tout un chacun à modifier
+toutes sortes d'articles et de livres. Je ne pense pas, par exemple, que
+vous ou moi soyons tenus de donner la permission de modifier des textes
+comme le présent article, qui expose nos actions et nos idées.</p>
+<p>
+Mais il existe une raison particulière pour laquelle il est crucial de
+disposer de la liberté de modifier la documentation relative au logiciel
+libre. Quand un programmeur exerce son droit de modifier le logiciel et
+d'ajouter ou modifier des fonctionnalités, s'il est consciencieux il mettra
+immédiatement à jour le manuel (afin de fournir une documentation précise et
+utilisable aux côtés du programme modifié). Un manuel qui n'autorise pas les
+programmeurs à être consciencieux et à terminer leur travail ne couvre pas
+les besoins de notre communauté.</p>
+<p>
+Il n'y a pas de problème à poser certaines limites à la manière dont les
+modifications sont faites. On peut accepter, par exemple, l'obligation de
+conserver l'avis de copyright de l'auteur original, les conditions de
+distribution, ou la liste des auteurs. Il n'y a pas non plus de problème à
+exiger que les versions modifiées contiennent un avis indiquant qu'elles ont
+été modifiées, voire à interdire de modifier ou d'ôter des sections
+entières, pourvu que ces sections ne traitent pas de sujets techniques. En
+effet cela n'interdit pas au programmeur consciencieux d'adapter le manuel
+afin qu'il corresponde au programme modifié par ses soins. En d'autres
+termes, cela n'empêche pas la communauté du logiciel libre d'utiliser
+pleinement le manuel.</p>
+<p>
+En revanche, il faut autoriser la modification des portions
+<em>techniques</em> du manuel et la distribution du résultat de ces
+modifications par tous les médias habituels, à travers tous les canaux
+habituels ; sans quoi, les restrictions sont un véritable obstacle pour la
+communauté : le manuel n'est pas libre et il nous en faut un autre.</p>
+<p>
+Les développeurs de logiciel libre auront-ils conscience qu'il nous faut un
+assortiment complet de manuels libres, seront-ils assez déterminés pour les
+produire ? Une fois de plus, notre avenir dépend de notre philosophie.</p>
+
+<h3>Il nous faut parler de la liberté</h3>
+<p>
+On estime aujourd'hui à dix millions le nombre d'utilisateurs de systèmes
+GNU/Linux tels que Debian GNU/Linux et Red Hat « Linux » de par le monde. Le
+logiciel libre propose tant d'avantages pratiques que les utilisateurs s'y
+ruent pour des raisons purement pratiques.</p>
+<p>
+Cet état de fait a des conséquences heureuses, qui n'échapperont à
+personne : le logiciel libre attire plus de développeurs, les entreprises du
+logiciel libre ont plus de clients et il est plus facile d'encourager les
+sociétés à développer des logiciels libres commerciaux, plutôt que des
+logiciels privateurs.</p>
+<p>
+Mais l'intérêt pour le logiciel libre croît plus vite que la prise de
+conscience de la philosophie sur laquelle il se fonde, et cela crée des
+difficultés. Notre capacité à relever les défis et à répondre aux menaces
+évoquées plus haut dépend de notre volonté de défendre énergiquement notre
+liberté. Pour faire en sorte que notre communauté partage cette volonté, il
+nous faut diffuser ces idées auprès des nouveaux utilisateurs au fur et à
+mesure qu'ils rejoignent notre communauté.</p>
+<p>
+Mais nous négligeons ce travail ; on dépense bien plus d'efforts pour
+attirer de nouveaux utilisateurs dans notre communauté qu'on n'en dépense
+pour leur enseigner le civisme qui lui est attaché. Ces deux efforts sont
+nécessaires et il nous faut les équilibrer.</p>
+
+<h3>« Open Source »</h3>
+<p>
+En 1998, il est devenu plus difficile de sensibiliser les nouveaux
+utilisateurs à la notion de liberté, quand une portion de notre communauté a
+choisi d'arrêter d'utiliser le terme « logiciel libre » pour lui préférer la
+dénomination « logiciel open source ».</p>
+<p>
+Certains de ceux qui ont choisi ce nouveau nom avaient en tête de mettre fin
+à la confusion souvent constatée entre les mots <cite>free</cite> et
+<cite>gratis</cite> – ce qui est un objectif valable. D'autres, au
+contraire, cherchaient à laisser tomber l'attachement aux principes qui
+avait toujours motivé le mouvement du logiciel libre et le projet GNU, afin
+de cibler les cadres et les utilisateurs professionnels, dont beaucoup ont
+une idéologie où la liberté, la communauté et les principes cèdent le pas au
+profit. Ainsi, la rhétorique de l'open source met l'accent sur le potentiel
+de faire du logiciel puissant et de grande qualité, mais occulte les notions
+de liberté, de communauté et de principes.</p>
+<p>
+Les magazines « Linux » illustrent clairement cet exemple (ils sont bourrés
+de publicités pour des logiciels privateurs qui fonctionnent sur
+GNU/Linux). Quand le prochain Motif ou Qt poindra, ces magazines
+mettront-ils les programmeurs en garde en leur demandant de s'en éloigner,
+ou passeront-ils des publicités pour ces produits ?</p>
+<p>
+La communauté a beaucoup à gagner de la participation des entreprises ;
+toutes choses étant égales par ailleurs, cette contribution est utile. Mais
+sacrifier à cette aide les discours traitant de liberté et de principes peut
+avoir des conséquences désastreuses ; cela augmente le déséquilibre
+mentionné précédemment entre le recrutement de nouveaux utilisateurs et leur
+l'éducation civique.</p>
+<p>
+Les termes « logiciel libre » et « open source » décrivent tous deux plus ou
+moins la même catégorie de logiciel, mais ne disent pas la même chose sur le
+logiciel et les valeurs qui lui sont associées. Le projet GNU continue
+d'utiliser le terme « logiciel libre » pour exprimer l'idée que la liberté
+est plus importante que la seule technique.</p>
+
+<h3>Jetez-vous à l'eau</h3>
+<p>
+L'aphorisme de Yoda « <cite>There is no &lsquo;try&rsquo;</cite> »<a
+id="TransNote9-rev" href="#TransNote9"><sup>i</sup></a> est séduisant, mais
+il ne s'applique pas à moi. J'ai effectué la plupart de mes travaux sans
+savoir si j'étais capable de les mener à bien et sans savoir si ces
+derniers, une fois menés à bien, atteindraient les buts que je leur avais
+fixés. Mais j'ai tenté ma chance, car il n'y avait personne d'autre que moi
+entre l'ennemi et ma cité. À ma grande surprise, j'ai parfois réussi.</p>
+<p>
+J'ai parfois échoué ; certaines de mes cités sont tombées. Je trouvais alors
+une autre cité menacée et je me préparais pour une nouvelle bataille. Avec
+le temps, j'ai appris à reconnaître les menaces et à m'interposer entre ces
+dernières et ma cité, en appelant mes amis hackers à la rescousse.</p>
+<p>
+Maintenant, il arrive souvent que je ne sois pas seul. C'est pour moi un
+soulagement et une joie de constater que tout un régiment de hackers se
+mobilise pour faire front et je réalise que cette cité a une chance de
+survivre – pour le moment. Mais les dangers sont plus grands chaque année,
+et maintenant la société Microsoft a explicitement pris notre communauté
+dans son collimateur. L'avenir de la liberté n'est pas un fait acquis. Ne le
+considérez pas comme tel ! Si vous souhaitez conserver votre liberté, vous
+devez être prêts à la défendre.</p>
+
+<div class="translators-notes">
+
+<!--TRANSLATORS: Use space (SPC) as msgstr if you don't have notes.-->
+<hr /><b>Notes de traduction</b><ol id="translator-notes-alpha">
+<li id="TransNote1">En français, on peut utiliser le néologisme
+« bitouilleur » pour désigner l'état d'esprit de celui qui « touille des
+bits ». <a href="#TransNote1-rev" class="nounderline">&#8593;</a></li>
+<li id="TransNote2"><cite>Proprietary software</cite> se traduit souvent par
+« logiciel propriétaire ». « Privateur » est un néologisme inventé par RMS
+pour exprimer la notion que les logiciels propriétaires privent
+l'utilisateur de ses libertés. <a href="#TransNote2-rev"
+class="nounderline">&#8593;</a></li>
+<li id="TransNote3">On peut rendre l'esprit de ce poème comme suit :<br />Si
+je ne suis rien pour moi-même, qui sera pour moi ?<br />Si je suis tout pour
+moi-même, que suis-je ?<br />Si ce n'est pas aujourd'hui, alors quand ? <a
+href="#TransNote3-rev" class="nounderline">&#8593;</a></li>
+<li id="TransNote4">En anglais, le « libre » de « logiciel libre » se dit
+<cite>free</cite>. Malheureusement, ce mot a une autre acception,
+indépendante et incorrecte ici, il signifie également « gratuit ». Cette
+ambiguïté a causé énormément de tort au mouvement du logiciel libre. <a
+href="#TransNote4-rev" class="nounderline">&#8593;</a></li>
+<li id="TransNote5">Ce compilateur a été écrit à l'Université Libre
+<cite>(Vrije Universiteit)</cite> d'Amsterdam. En anglais, le placement des
+mots ne permet pas de déterminer s'il s'agit du « kit de compilation libre
+de l'université » ou du « kit de compilation de l'Université Libre ». <a
+href="#TransNote5-rev" class="nounderline">&#8593;</a></li>
+<li id="TransNote6">« Couvert par le gauche d'auteur, tous droits
+renversés. » <a href="#TransNote6-rev" class="nounderline">&#8593;</a></li>
+<li id="TransNote7">Le mot anglais <cite>bash</cite> a le sens de « coup,
+choc » et la signification de cet acronyme est double ; c'est à la fois une
+nouvelle version de l'interpréteur de commandes de Bourne, et une allusion
+aux chrétiens qui se sont sentis renaître dans cette religion et qu'aux
+États-Unis d'Amérique on qualifie de <cite>born-again Christians</cite>. <a
+href="#TransNote7-rev" class="nounderline">&#8593;</a></li>
+<li id="TransNote8">Littéralement, « [logiciel dont le] code source est
+ouvert ». C'est une périphrase lourde et inélégante en français, mais qui
+résout en anglais l'ambiguïté discutée plus haut, bien que RMS rejette cette
+solution pour des raisons expliquées à la fin de cet article. <a
+href="#TransNote8-rev" class="nounderline">&#8593;</a></li>
+<li id="TransNote9">L'aphorisme complet est : <cite>Try not. Do, or do
+not. There is no &lsquo;try&rsquo;.</cite> Ce qui pourrait se traduire par :
+« N'essaie pas. Fais, ou ne fais pas. “Essayer” n'existe pas. » <a
+href="#TransNote9-rev" class="nounderline">&#8593;</a></li>
+</ol></div>
+</div>
+
+<!-- for id="content", starts in the include above -->
+<!--#include virtual="/server/footer.fr.html" -->
+<div id="footer">
+<div class="unprintable">
+
+<p>Veuillez envoyer les requêtes concernant la FSF et GNU à <a
+href="mailto:gnu@gnu.org">&lt;gnu@gnu.org&gt;</a>. Il existe aussi <a
+href="/contact/">d'autres moyens de contacter</a> la FSF. Les liens
+orphelins et autres corrections ou suggestions peuvent être signalés à <a
+href="mailto:webmasters@gnu.org">&lt;webmasters@gnu.org&gt;</a>.</p>
+
+<p>
+<!-- TRANSLATORS: Ignore the original text in this paragraph,
+ replace it with the translation of these two:
+
+ We work hard and do our best to provide accurate, good quality
+ translations. However, we are not exempt from imperfection.
+ Please send your comments and general suggestions in this regard
+ to <a href="mailto:web-translators@gnu.org">
+
+ &lt;web-translators@gnu.org&gt;</a>.</p>
+
+ <p>For information on coordinating and submitting translations of
+ our web pages, see <a
+ href="/server/standards/README.translations.html">Translations
+ README</a>. -->
+Nous faisons le maximum pour proposer des traductions fidèles et de bonne
+qualité, mais nous ne sommes pas parfaits. Merci d'adresser vos commentaires
+sur cette page, ainsi que vos suggestions d'ordre général sur les
+traductions, à <a href="mailto:web-translators@gnu.org">
+&lt;web-translators@gnu.org&gt;</a>.</p>
+<p>Pour tout renseignement sur la coordination et la soumission des
+traductions de nos pages web, reportez-vous au <a
+href="/server/standards/README.translations.html">guide de traduction</a>.</p>
+</div>
+
+<!-- Regarding copyright, in general, standalone pages (as opposed to
+ files generated as part of manuals) on the GNU web server should
+ be under CC BY-ND 4.0. Please do NOT change or remove this
+ without talking with the webmasters or licensing team first.
+ Please make sure the copyright date is consistent with the
+ document. For web pages, it is ok to list just the latest year the
+ document was modified, or published.
+
+ If you wish to list earlier years, that is ok too.
+ Either "2001, 2002, 2003" or "2001-2003" are ok for specifying
+ years, as long as each year in the range is in fact a copyrightable
+ year, i.e., a year in which the document was published (including
+ being publicly visible on the web or in a revision control system).
+
+ There is more detail about copyright years in the GNU Maintainers
+ Information document, www.gnu.org/prep/maintain. -->
+<p>Copyright &copy; 1998, 2001, 2002, 2005, 2006, 2007, 2008, 2010, 2014, 2015,
+2017, 2018, 2020 Richard Stallman</p>
+
+<p>Cette page peut être utilisée suivant les conditions de la licence <a
+rel="license"
+href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/deed.fr">Creative
+Commons attribution, pas de modification, 4.0 internationale (CC BY-ND
+4.0)</a>.</p>
+
+<!--#include virtual="/server/bottom-notes.fr.html" -->
+<div class="translators-credits">
+
+<!--TRANSLATORS: Use space (SPC) as msgstr if you don't want credits.-->
+Traduction : Sébastien Blondeel.<br /> Révision : <a
+href="mailto:trad-gnu&#64;april.org">trad-gnu&#64;april.org</a></div>
+
+<p class="unprintable"><!-- timestamp start -->
+Dernière mise à jour :
+
+$Date: 2020/07/12 07:59:22 $
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+</p>
+</div>
+</div>
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