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C'est un grand plaisir d'être ici. Je voudrais remercier le +<cite>Journal of Law and Technology</cite> et Jonathan Zittrain de leurs +efforts conjoints pour ce parfait accueil. C'est vrai que je me sens quelque +peu dépassé à la perspective d'essayer de parler pendant un temps +appréciable d'un procès qui n'avance pas vraiment. Je vais cependant +mentionner le procès SCO à l'occasion, au cours de mes remarques. +</p> + +<p> +M. McBride, quand il était ici, a eu l'amabilité de me citer une ou deux +fois, je vais donc lui retourner cette faveur. J'espère que vous +remarquerez, pour ceux d'entre vous qui ont suivi la conversation, que je +suis prompt à répondre à ses remarques. Cependant je ne pense pas que le +faire sous cette forme pourrait mener, comme Jonathan le suggère, à une +soirée particulièrement intéressante intellectuellement parlant. +</p> + +<p> +Le logiciel libre, vous savez, j'en suis sûr, que je ne l'ai pas inventé, +qu'il est <cite>free as in freedom, not free as in beer</cite>.<a +id="TransNote1-rev" href="#TransNote1"><sup>1</sup></a> Un des principaux +problèmes de la conversation que nous avons eue au sujet de ce procès avec +votre série d'invités distingués cette année est qu'au moins jusqu'ici, il a +été suggéré, semble-t-il, que le but de ceux d'entre nous qui croient dans +le mouvement du logiciel libre serait surtout d'empêcher les gens de dégager +un profit dans l'industrie informatique. +</p> + +<p> +Certains suggèrent que cela résulte d'une violente antipathie envers l'idée +de profit ou d'une antipathie particulière envers l'idée que les gens aient +besoin d'incitations financières pour faire ce qu'ils font. Je m'autorise au +passage à préciser que nous croyons fortement à la valeur des incitations +financières, bien que nous abordions ce problème d'une manière légèrement +différente de celle de M. McBride. Mais au final il ne s'agit pas – et nous +devons débuter par là – au final il ne s'agit pas de rendre les chose +gratuites. Il s'agit de rendre les choses libres. +</p> + +<p> +Le but du mouvement du logiciel libre est de donner aux gens la capacité de +comprendre, apprendre, améliorer, adapter et partager la technologie qui +domine de plus en plus toute vie humaine. +</p> + +<p> +L'équité en laquelle nous croyons fondamentalement et dont il s'agit ici +n'est pas que les choses soient <cite>free</cite>/gratuites. Elle est que +nous soyons <cite>free</cite>/libres et que nos pensées soient libres ; que +nous soyons capables d'en savoir le plus possible à propos du monde dans +lequel nous vivons, et que nous soyons le moins possible prisonniers du +savoir d'autres personnes, au-delà de la satisfaction de notre propre +compréhension et initiative. +</p> + +<p> +Cette idée repose sur l'intense désir qui anime mon cher ami et collègue, +Richard Stallman, depuis le début des années 80, de donner le jour à un +monde dans lequel tous les logiciels nécessaires à quiconque pour faire quoi +que ce soit seraient disponibles selon des conditions permettant le libre +accès aux savoirs que ces logiciels contiennent, ainsi que la possibilité de +créer librement des connaissances supplémentaires et d'améliorer librement +la technologie existante par sa modification et son partage. +</p> + +<p> +C'est le désir d'une libre évolution du savoir technique. Une descendance +par modification non perturbée par des principes interdisant l'amélioration, +l'accès et le partage.<a id="TransNote2-rev" +href="#TransNote2"><sup>2</sup></a> Si vous y réfléchissez, cela sonne +plutôt comme un engagement à encourager la diffusion des sciences et des +arts utiles en promouvant l'accès à la connaissance. +</p> + +<p> +Bref, l'idée du mouvement du logiciel libre n'est ni hostile, ni opposée +d'une quelconque façon à l'ambition du XVIIIe siècle d'améliorer la société +et l'être humain par l'accès à la connaissance. +</p> + +<p> +La « clause du copyright » de l'article 1, section 8,<a id="TransNote3-rev" +href="#TransNote3"><sup>3</sup></a> est l'un des nombreux moyens grâce +auxquels nos pères fondateurs, plutôt moins réalistes qu'on ne les dépeint +habituellement, ont participé à la grande croyance du XVIIIe siècle dans la +perfectibilité du monde et de la vie humaine. +</p> + +<p> +La clause du copyright est une manifestation juridique particulière de +l'idée de perfectibilité basée sur l'accès au savoir et sur son +partage. Cependant, nous, les héritiers du XXIe siècle de cette promesse, +vivons dans un monde dans lequel on peut douter que les principes de +propriété, rigoureusement appliqués, avec leur inévitable corollaire +d'exclusion – c'est à moi, vous ne pouvez pas l'avoir tant que vous ne me +payerez pas – que les principes de propriété contribuent à notre but commun +d'améliorer la vie humaine et la société par l'accès au savoir. +</p> + +<p> +Depuis vingt ans nous affirmons que, dans la mesure où elles encouragent la +diffusion des sciences et des arts utiles, les règles du copyright sont +bonnes. Et que dans la mesure où elles découragent la diffusion des sciences +et des arts utiles, elles peuvent être améliorées. +</p> + +<p> +Nous les avons améliorées, pardonnez-moi de nous en attribuer le crédit, +nous les avons améliorées, et de façon substantielle, sans nier aucune des +règles existantes sur le copyright. Au contraire, nous avons été tout à fait +scrupuleux à ce sujet. +</p> + +<p> +Une des choses qui m'amusent au milieu de la rhétorique qui agite les +esprits en ce moment, est à quel point mes activités habituelles d'avocat me +semblent curieusement orthodoxes. +</p> + +<p> +Bien que pas forcément bien accueilli à Los Angeles, je me retrouve en train +de me comporter exactement de la même façon qu'un tas d'avocats de Los +Angeles. Je veux que les copyrights de mes clients soient respectés, et je +passe une bonne partie de mon temps à essayer péniblement de faire jouer les +gens selon les règles-mêmes qui figurent dans le droit du copyright, lequel, +paraît-il, je suis si occupé à essayer de détruire. +</p> + +<p> +Le logiciel libre est une tentative d'utiliser les principes du XVIIIe +siècle d'incitation à la diffusion du savoir pour transformer +l'environnement technique des êtres humains. Et comme le dit Jonathan, mon +opinion personnelle à ce sujet est que le démarrage de notre expérience est +plutôt un succès. +</p> + +<p> +C'est à cause de ce succès qu'il y a maintenant contre elle un retour de +flamme, dont l'un des éléments mineurs est la controverse qui secoue +actuellement le monde, l'affaire SCO contre IBM. Apparemment elle est censée +devenir bientôt, selon ce qu'a dit M. McBride lorsqu'il était ici, SCO +contre un truc appelé la communauté Linux. +</p> + +<p> +Je ne pense pas que ce soit ce qui se passe réellement, mais c'est +certainement ce que M. McBride est venu dire ici. +</p> + +<p> +Donc je ferais mieux de parler un moment de notre point de vue sur la +situation que M. McBride décrit comme un excellent test pour savoir si les +produits libres sont en train d'une manière ou d'une autre de tuer les +incitations à la production sur Internet. +</p> + +<p> +Le logiciel libre, dont le système d'exploitation appelé Linux est un +exemple très important parmi des milliers, le logiciel libre est la plus +grande bibliothèque de références techniques sur la planète Terre, pour le +moment. +</p> + +<p> +La raison pour laquelle je dis cela est que le logiciel libre est la seule +collection d'informations fixée sous une forme tangible, au moyen de +laquelle n'importe qui, de n'importe où, peut évoluer de la totale ignorance +à la pointe du progrès dans un domaine technique essentiel – ce que l'on +peut faire faire à un ordinateur – uniquement en consultant du matériel +qu'il ou elle est entièrement libre d'adapter et réutiliser, par tous les +moyens souhaités. +</p> + +<p> +Nous rendons possible l'apprentissage dans le monde entier en autorisant les +gens à expérimenter, non avec des jouets, mais avec les vrais outils qu'on +utilise effectivement pour faire tout le bon travail. +</p> + +<p> +Dans ce but, nous sommes engagés dans la réalisation d'un système éducatif +et d'un système d'amélioration du capital humain qui porte la promesse +d'encourager la diffusion de notre science et de notre art utile d'une +manière qui contribue à la perfectibilité de l'être humain. +</p> + +<p> +C'est ce que nous essayons de faire, et nous l'avons fait. Nous sommes, +apparemment, en train de mettre en faillite une entreprise appelée +<cite>Santa Cruz Operation</cite> [sic] – ou SCO Ltd. Ce n'était pas notre +intention. C'est le résultat d'une chose appelée le potentiel de destruction +créatrice du capitalisme, identifiée jadis par Joseph Schumpeter. Nous +faisons un truc mieux et à moindre coût que ne le font ces personnes qui +utilisent l'argent des autres pour le faire. Ce résultat – fêté partout où +l'on croit réellement au capitalisme – est que les entreprises existantes +vont devoir changer leur mode opératoire ou quitter le marché. C'est +généralement vu comme un résultat positif, associé aux énormes augmentations +de bien-être que le capitalisme fête à chaque occasion en espérant que les +quelques défauts qu'il pourrait avoir seraient moins visibles une fois cet +énorme bénéfice bien mis en évidence. +</p> + +<p> +M. McBride ne veut pas faire faillite. C'est compréhensible. M. Gates ne +veut pas faire faillite non plus. Mais ils sont tous deux du mauvais côté +d'un problème spécifique à l'économie politique du XXIe siècle : ils voient +le logiciel en tant que produit. Pour rendre leur « modèle économique » +efficace, le logiciel doit donc être une chose rare. Et de cette rareté du +logiciel on pourra tirer un prix qui inclura une rente économique grâce à +laquelle M. McBride a suggéré que quelqu'un pourra acheter une résidence +secondaire. +</p> + +<p> +M. McBride pensait que c'était les programmeurs qui seraient capables +d'acheter une résidence secondaire, mais les personnes qui comprennent +vraiment l'état actuel de l'industrie logicielle reconnaissent que les +programmeurs n'achètent pas de résidence secondaire par les temps qui +courent. Ce que M. McBride veut dire, je pense, c'est que les dirigeants qui +emploient les programmeurs, et les financiers qui emploient les dirigeants +qui emploient les programmeurs, achèteront une résidence secondaire grâce au +modèle le-logiciel-est-un-produit pendant quelque temps encore. +</p> + +<p> +Nous pensons que le logiciel n'est pas un produit, parce que nous ne croyons +pas que des gens doivent en être exclus. Nous pensons que le logiciel est +une forme de savoir. L'<cite>International Business Machines +Corporation</cite> (IBM), la <cite>Hewlett Packard Corporation</cite>, ainsi +que bon nombre d'autres organisations représentées ce soir physiquement ou +par la pensée, ont une autre théorie, à savoir qu'au XXIe siècle le logiciel +est un service, une forme de service public associé au fait de savoir en +tirer le meilleur parti. Ceci, d'une manière générale, rend possible la +croissance économique pour les entreprises privées ; cette croissance dégage +un surplus qui peut être utilisé pour payer les personnes qui aident à le +produire en tirant le meilleur parti possible de ce service public. +</p> + +<p> +Je pense qu'il serait utile d'indiquer, si vous le voulez bien, que nous +vivons actuellement dans un monde où, si je peux employer une métaphore, +M. McBride et ses collègues – et je veux effectivement parler de ceux de +Redmond, ainsi que de ceux de l'Utah – pensent que toutes les routes +devraient être à péage. La possibilité d'aller d'un endroit à un autre est +un produit. Achetez-le ou nous vous excluons de cette possibilité. D'autre +personnes croient que les autoroutes devraient être des services +publics. Trouvons le moyen d'utiliser les autoroutes de la meilleure façon +possible, de sorte que tout le monde puisse en bénéficier – par la réduction +des coûts du transport des marchandises et de la mise à disposition de +services – et il y aura de l'argent en quantité pour payer les ingénieurs de +la circulation routière et les gens qui réparent les nids de poule. +</p> + +<p> +Nous croyons, pour ce que vaut notre point de vue sur l'économie du marché +logiciel au XXIe siècle – après tout c'est nous qui l'avons transformée – +nous croyons que la conception de service public du logiciel reflète mieux +l'actualité économique du XXIe siècle. Nous ne sommes pas surpris que +M. McBride fasse faillite avec l'autre modèle économique. +</p> + +<p> +M. McBride déclare qu'il est en train faire faillite parce que quelqu'un lui +a pris ce qui lui appartient. C'est un procès. Il s'avère cependant que nous +ne sommes pas les gens dont il croit qu'ils ont pris ce qui ne lui +appartient en fait pas. Sa théorie est que différentes personnes ont promis +à AT&T, à différents moments, qu'ils feraient ou ne feraient pas +différentes choses, que certaines de ces personnes ayant promis jadis à +AT&T de faire ou de ne pas faire différentes choses n'ont pas tenu leurs +promesses et que c'est Linux, un programme informatique distribué sous +licence libre, qui en a bénéficié. +</p> + +<p> +M. McBride peut avoir raison à ce propos comme il peut avoir tort. Nous ne +connaissons pas le contenu de ces contrats d'une manière générale, et nous +ne sommes même pas sûrs, comme M. McBride vous l'a précisé quand il était +ici, qu'il soit le bénéficiaire de ces contrats. Il est actuellement engagé +dans un contentieux où il essaie de prouver qu'il a effectivement ce qu'il +prétend posséder – certains droits contractuels dont il affirme qu'ils lui +ont été cédés par Novell. Je n'ai aucune opinion sur l'identité du +propriétaire de ces droits, et je souhaite à M. McBride bonne chance pour sa +procédure. +</p> + +<p> +Mais M. McBride a également prétendu que nos travaux créatifs sont d'une +certaine manière affectés par ces litiges contractuels, affectés dans le +sens où il a déclaré, bien que jusqu'ici cela n'ait pas été suivi d'effet, +que les utilisateurs de logiciels libres sont redevables envers lui, ou sa +société, sur la base de revendications issues de relations contractuelles +entre AT&T, Sequent, IBM et d'autres, sur une certaine période. +</p> + +<p> +J'ai passé pas mal de temps en réflexions fastidieuses sur chaque épisode de +l'histoire pour savoir s'il pourrait mener à une revendication de copyright +contre des tierces parties, comme M. McBride et ses collègues l'ont +rapporté. +</p> + +<p> +J'ai passé tout ce temps parce qu'il y avait dans le monde de nombreuses +tierces parties impliquées par les revendications de M. McBride concernant +des problèmes de copyright. J'ai démonté des exemples fantômes de ce qui +était appelé travail dérivé mais n'était pas du travail dérivé au sens +juridique, ou des revendications de copyright qui se sont révélées porter +sur du code dont on ne pouvait pas déterminer le propriétaire et qui +appartenait au domaine public depuis des années, ou du code que M. McBride, +selon ses dires, était chargé d'empêcher les gens d'utiliser, longtemps +après leur avoir délibérément donné ce même code avec la promesse qu'ils +pouvaient l'utiliser, le copier, le modifier et le distribuer comme ils le +voudraient. +</p> + +<p> +Et petit à petit, je me suis rendu compte qu'il n'existait pas un seul +moyen, pour l'entreprise de M. McBride, de revendiquer contre des tierces +parties – qui jamais, de près ou de loin, n'avaient été en contrat privé +avec AT&T ou leurs successeurs sur du code présent dans le système +d'exploitation Unix – quoi que ce soit qui puisse les forcer à payer des +dommages et intérêts ou les empêcher d'utiliser du logiciel libre. +</p> + +<p> +C'est cela que nous appelons SCO ; non pas un procès basé effectivement sur +des promesses échangées entre IBM et AT&T, mais une croyance mystérieuse +que quelque part dans le monde des dizaines de milliers de gens devraient +arrêter d'utiliser du logiciel valant des milliards de dollars dont nous +leur avons rendu possible l'acquisition pour un coût marginal, uniquement à +cause de quelque accord entre AT&T et quelqu'un d'autre de qui la +société de M. McBride a repris les intérêts. +</p> + +<p> +Je ne vois aucune substance dans cette revendication. Et je suis prêt, sous +la conduite de vos questions fouillées et hostiles, à expliquer par le menu +pourquoi je pense que c'est vrai. Mais j'ai publié ces différentes +investigations, et je ne veux pas les récapituler ici ce soir. Je pense que +ce serait un gaspillage du temps que nous passons ensemble. +</p> + +<p> +Dans le répertoire <a +href="/philosophy/sco/">www.gnu.org/philosophy/sco</a>, le tout en +minuscule, vous trouverez les différents articles que nous avons écrits sur +ces sujets, M. Stallman et moi, et dans lesquels, je l'espère, nous avons +relevé en détail chaque point. +</p> + +<p> +Mais il est difficile de résister à l'envie de parler de la Cour suprême des +États-Unis dans une salle de cours de la <cite>Harvard Law School</cite>. Je +voudrais donc, juste pour un moment, faire un peu d'« observation de +tribunal ».<a id="TransNote4-rev" href="#TransNote4"><sup>4</sup></a> +</p> + +<p> +M. McBride, quand il est venu ici, a eu beaucoup à dire sur un cas appelé +Eldred contre Ashcroft, dans lequel M. McBride a découvert que la Cour +suprême des États-Unis s'est prononcée par 7 à 2 contre le logiciel libre et +en faveur du capitalisme [rires dans l'assistance]. Ce qui est bizarre, +c'est que le jour même où M. McBride se tenait ici pour discuter de ce sujet +avec vous, j'étais à Los Angeles pour discuter de la même chose avec un +quidam nommé Kevin McBride, frère de M. McBride et auteur du document dont +il parlait. +</p> + +<p> +Dans cette discussion, Kevin McBride avait l'avantage d'être avocat, ce qui +aide un peu pour parler de la Cour suprême des États-Unis. Mais cette aide +n'a pas été tout à fait suffisante. +</p> + +<p> +L'astuce de base pour discuter d'une affaire – je frémis de dire cela dans +cette salle où j'ai enseigné à des élèves de première année en droit – +l'astuce de base pour discuter d'une affaire est de séparer le +<cite>holding</cite> du <cite>dicta</cite>,<a id="TransNote5-rev" +href="#TransNote5"><sup>5</sup></a> un travail avec lequel les avocats tout +autour de la planète, ainsi que chacun d'entre vous, ont occupé nombre de +mois lugubres de septembre et octobre. +</p> + +<p> +Les McBride, à eux deux – j'ai parfois l'impression d'être dans une sorte de +film de Quentin Tarantino avec eux [rires] – les McBride n'ont pas réussi à +distinguer de manière adéquate le <cite>holding</cite> du +<cite>dicta</cite>. +</p> + +<p> +Je n'aime pas Eldred contre Ashcroft. Je pense que le jugement n'a pas été +bien rendu. Dans cette affaire, j'ai fait un mémoire d'<cite>amicus +curiae</cite> et aidé mon collègue et ami Larry Lessig dans la présentation +des arguments principaux, qui n'ont, malheureusement, pas gagné. +</p> + +<p> +Bizarrement, et je vous en expliquerai juste assez pour vous le montrer, +bizarrement, c'est la position que nous avons prise dans Eldred contre +Ashcroft – si vous vous en tenez au <cite>holding</cite> plutôt qu'au +<cite>dicta</cite> – qui serait favorable à la position que M. McBride +défend actuellement. Ce qui s'est passé dans Eldred contre Ashcroft, +contrairement à la présentation qui en est faite, est en fait mauvais pour +l'argument que M. McBride a présenté, quel que soit le M. McBride. Mais ils +n'y ont pas assez réfléchi. +</p> + +<p> +Laissez-moi vous expliquer pourquoi. L'énorme difficulté qu'a SCO avec le +logiciel libre n'est pas leur attaque ; c'est leur défense inadéquate. Pour +vous défendre dans une affaire dans laquelle vous enfreignez la liberté du +logiciel libre, vous devez être prêt à répondre à un appel téléphonique que +je passe assez souvent avec mes collègues de la Fondation présents ici ce +soir. La conversation ressemble à ceci :<br /> + +« M. le Défendeur Potentiel, vous distribuez une œuvre placée sous copyright +de mon client sans sa permission. Veuillez cesser. Et si vous voulez +continuer à la distribuer, nous vous aiderons à retrouver vos droits de +distribution, qui ont cessé avec votre infraction, mais vous allez devoir le +faire de la bonne façon. » +</p> + +<p> +Au moment où je passe cet appel, l'avocat du défendeur potentiel a désormais +un choix. Il peut coopérer, ou se battre avec nous. Et s'il va en justice +pour se battre avec nous, il aura un second choix à faire. Nous dirons au +juge : « M. le Juge, M. le Défendeur a utilisé notre œuvre protégée par +copyright, l'a copiée, modifiée et distribuée sans notre permission. Merci +de le faire cesser. » +</p> + +<p> +Une des choses que le défendeur peut répondre est : « Vous avez raison. Je +n'ai pas de licence. » Les défendeurs ne veulent en général pas dire cela, +car s'ils le font, ils perdent. Donc les défendeurs, quand ils imaginent ce +qu'ils diront au tribunal, réalisent que ce qu'ils diront est : « Mais +M. le Juge, j'ai une licence. C'est ce document, la GNU GPL, <cite>General +Public License</cite>. » À ce moment-là, comme je connais assez bien la +licence et que je sais de quelle manière elle est violée, je dirai : « Eh +bien M. le Juge, il avait cette licence mais a violé ses termes et selon +l'article 4 de cette licence, quand il a violé ses termes elle a cessé de +fonctionner pour lui. » +</p> + +<p> +Mais notez que pour survivre le premier instant d'un procès sur le logiciel +libre, c'est le défendeur qui doit agiter la GPL. C'est son autorisation, la +clé maîtresse qui lui assure un procès de plus d'une nanoseconde.<a +id="TransNote6-rev" href="#TransNote6"><sup>6</sup></a> Ceci, très +simplement, est ce qui explique la déclaration que vous avez entendue +– M. McBride l'a faite ici il y a quelques semaines – à savoir que la GPL +n'a jamais été attaquée en justice. +</p> + +<p> +Pour tous ceux qui aiment dire que la GPL n'a jamais subi le test d'une +attaque en justice, je n'ai qu'une chose très simple à répondre : « J'aurais +été très heureux de m'y lancer. Ce sont les défendeurs qui n'ont pas +voulu. Et si, pendant dix ans bien tassés, tout le monde a laissé passer +l'occasion de lancer une bataille juridique, devinez quoi ? Ce n'est pas +sans raison. »</p> + +<p> +La GPL a été une réussite pendant les dix ans où je m'en suis occupé, parce +qu'elle marchait, pas parce qu'elle ne marchait pas ou était mise en +doute. M. McBride et ses collègues font maintenant face à cette même +difficulté, et la personne en face est IBM – une grosse, riche et puissante +société qui n'a pas l'intention de lâcher le morceau.</p> + +<p> +Ils ont distribué le noyau du système d'exploitation, un programme appelé +Linux. Je veux dire, SCO l'a fait. Ils continuent de le faire pour leurs +anciens clients puisqu'ils ont une responsabilité contractuelle de fournir +la maintenance. +</p> + +<p> +Quand ils distribuent ce programme qu'on appelle Linux, ils distribuent +l'œuvre de milliers de personnes, et ils le font sans licence, puisqu'ils +ont détruit la leur en essayant d'y rajouter des clauses, en ajoutant des +frais de licence supplémentaires en violation des articles 2 et 6 de la GPL. +</p> + +<p> +Selon l'article 4 de la GPL, quand ils l'ont violée, ils ont perdu leur +droit de distribution, et IBM a dit dans une demande reconventionnelle de +son procès : « M. le Juge, ils distribuent notre œuvre placée sous copyright +sans aucune permission. Faites-les cesser. » +</p> + +<p> +S'ils étaient malins, chez SCO, ils auraient dit : « Mais votre Honneur, +nous avons une licence. C'est la GNU GPL. » Maintenant pour des raisons que +nous pourrions expliquer, mais ce n'est pas nécessaire, ils n'ont pas voulu +dire cela, peut-être parce que cela aurait posé problème aux autres +revendications de leur procès, ou peut-être parce qu'ils avaient reçu un +investissement de 10 millions de dollars de Microsoft, mais nous reparlerons +de cela plus tard j'en suis sûr, au moment des questions. +</p> + +<p> +En tout cas, ils n'ont pas dit cela. Ce qu'ils ont répliqué est : « Mais +M. le Juge, la GNU GPL viole la Constitution des États-Unis, la loi sur le +copyright, la loi sur le contrôle des exportations, » et j'ai oublié s'ils +ont ajouté ou non la Charte des Nations unies sur des droits de l'homme +[rires]. +</p> + +<p> +Pour le moment, limitons-nous simplement à la question de savoir si la GPL +viole la Constitution des États-Unis. J'en profite pour revenir sur Eldred +contre Ashcroft. +</p> + +<p> +Dans Eldred contre Ashcroft, 435 membres du Congrès et une centaine de +sénateurs ont été achetés avec ruse pour rendre le copyright éternel. Ce +pot-de-vin, qui bien sûr était parfaitement légal et avait pour nom +« campagne de contribution », a été offert au Congrès pour obtenir une +extension de la durée des copyrights. +</p> + +<p> +En 1929, « Steamboat Willy » a pour la première fois montré au public une +créature appelée Mickey. D'après les termes du copyright de l'époque, +inchangés jusqu'à très récemment, la durée des droits d'auteur détenus par +une société était de 75 ans. S'il n'y avait pas eu cette action au Congrès +en 2004, Mickey aurait échappé au contrôle de son propriétaire, du moins +sous la loi du copyright. Cela, bien évidemment, rendait nécessaire une +réforme législative majeure pour empêcher l'échappée de Mickey dans le +domaine public. +</p> + +<p> +L'extension de la durée du copyright rend aujourd'hui possible que, de temps +en temps, le Congrès étende la durée des copyrights d'une courte période ; +et ceci, qu'un Sonny Bono plante ses skis dans un arbre dans les dix +prochaines années, ou non. Ensuite, chaque fois que la boule de Times Square +sera sur le point de descendre,<a id="TransNote7-rev" +href="#TransNote7"><sup>7</sup></a> ils allongeront cette durée un peu +plus. Et ainsi de suite indéfiniment. Rien ne pourra plus jamais s'échapper +vers le domaine public, et Mickey encore moins. +</p> + +<p> +Le professeur Lessig, Eric Eldred, moi-même ainsi que de nombreuses autres +personnes tout aussi sensées ont pensé que cela ne se conformait pas à la +grande idée de perfectibilité de l'être humain par le partage de +l'information. Nous doutions qu'assurer petit à petit une propriété +illimitée dans la durée était réellement une forme d'incitation à la +diffusion de la science et des arts utiles, et nous avons suggéré à la Cour +suprême que, sur cette seule base, la loi sur l'extension de la durée du +copyright <cite>[Copyright Term Extension Act]</cite> devrait être +annulée. Nous avons été, comme l'a remarqué M. McBride, proprement +désavoués. +</p> + +<p> +Il s'avère qu'il n'existe rien de tel qu'une règle inconstitutionnelle sur +le copyright, si le Congrès l'a votée et si elle observe la distinction +entre l'expression et l'idée – ce que le Congrès indique comme garantie +constitutionnelle que le copyright ne viole pas la liberté d'expression – +pourvu que les droits d'« usage raisonnable » <cite>[fair use]</cite> soient +maintenus de manière adéquate. +</p> + +<p> +En bref, la conclusion d'Eldred contre Ashcroft est que le Congrès peut +faire la loi sur le copyright comme il le souhaite, et que toutes les +licences issues de cette loi présumée constitutionnelle sont à l'abri de +toute remise en question constitutionnelle. +</p> + +<p> +J'ai une grande nouvelle pour M. McBride. La loi en vigueur sur le copyright +est constitutionnelle, et notre licence, qui observe scrupuleusement toutes +les conditions que cette loi lui impose, est également constitutionnelle, +par présomption. Ce serait seulement dans un monde où nous aurions gagné +dans l'affaire Eldred contre Ashcroft – dans lequel, si vous voulez, chaque +licence de copyright subirait un examen complet en bonne et due forme pour +vérifier si oui ou non elle remplit les critères du copyright décrits dans +la section 8 de l'article 1 – que M. McBride et ses amis pourraient ne +serait-ce que venir à la barre d'un tribunal des États-Unis affirmer qu'une +licence de copyright est inconstitutionnelle. +</p> + +<p> +En d'autres termes, c'est dommage pour M. McBride, mais nous avons perdu +dans Eldred contre Ashcroft, et la revendication même qu'il défend a péri +ainsi que d'autres revendications beaucoup plus valables, du moins jusqu'au +jour où la Cour suprême changera son verdict dans l'affaire Eldred contre +Ashcroft. +</p> + +<p> +Pour M. McBride, la rhétorique pro-capitaliste avec laquelle le Juge +Ginsberg a annoncé la décision de la Cour suprême est une bien maigre +consolation. Et, en tant qu'observateur également mécontent du verdict +d'Eldred contre Ashcroft, je lui souhaite bonne chance pour sa consolation, +mais lui et moi étions dans le même camp sur cette affaire, même s'il ne le +savait pas, et les arguments juridiques qu'il souhaite maintenant présenter +ont malheureusement fait fiasco. Notez bien, même s'il était autorisé à +présenter à la cour l'idée que les licences de copyright soient jugées pour +leur adéquation avec la Constitution, nous vaincrions triomphalement. +</p> + +<p> +Il n'y a aucune licence de copyright aux États-Unis aujourd'hui – j'affirme +cela sans l'expliquer plus avant, mais nous pouvons en parler si vous le +souhaitez – il n'y a aucune licence de copyright aux États-Unis aujourd'hui +qui colle mieux à l'idée du copyright de Thomas Jefferson, ou même à la +conception du copyright contenue dans la section 8 de l'article 1, que la +nôtre. Car nous poursuivons une tentative de diffusion du savoir et des arts +utiles qui s'est déjà montrée bien plus efficace dans la diffusion du savoir +que toute la distribution à but lucratif de logiciels privateurs,<a +id="TransNote8-rev" href="#TransNote8"><sup>8</sup></a> opérée actuellement +par le monopole le plus imposant et le mieux financé de l'histoire mondiale. +</p> + +<p> +Mais malheureusement, M. McBride ne nous amènera pas au stade nous +autorisant à dire cela à la Cour suprême des États-Unis, dans laquelle nous +vaincrions glorieusement, car cette Cour a déjà décidé que les licences de +copyright étaient constitutionnelles pour peu que les membres du Congrès +aient encaissé les contributions à leur campagne, procédé au vote et +transmis la loi chewing-gum résultante à la Maison-Blanche pour recevoir le +tampon obligatoire. Mais j'accueillerai volontiers M. McBride dans une +campagne pour un copyright moins restrictif aux États-Unis dès qu'il se sera +rendu compte, juridiquement parlant, de quel côté se trouve la +confiture. Malheureusement, comme vous le réalisez tous, nous ne pouvons pas +retenir notre respiration en attendant que l'illumination le frappe. Si +seulement M. McBride suivait les cours de la <cite>Harvard Law +School</cite> ! +</p> + +<p> +C'est suffisant, je pense, à propos de SCO, bien que je sois enchanté de +répondre à vos questions à ce sujet, le moment venu. En tant que procès sur +le copyright, c'est en fait un désert. Il ne contient aucune revendication +de copyright. Il y a certes quelques revendications sur des contrats passés +entre IBM et SCO et elles seront, au moment voulu, réglées par les +tribunaux ; j'attends avec un intérêt modéré leurs conclusions. Une menace +pour la liberté du logiciel libre ? Pas du tout. Une sacrée nuisance, +certainement. Et je pense, malheureusement, continuer à passer une bonne +partie de mon temps à éliminer cette nuisance, mais sans trop avoir le +sentiment d'une menace planant sur les choses auxquelles je tiens vraiment, +dont ceci n'est pas un très bon échantillon. +</p> + +<p> +Je voudrais donc plutôt vous parler du futur juridique du logiciel libre tel +qu'il est vraiment, et non pas comme le voit M. McBride, un combat +titanesque entre l'« American way of life » et ce que nous sommes censés +être. J'aimerais dire à propos de ce combat qu'il me semble familier. De +plus en plus, j'écoute M. McBride et j'entends M. Ballmer ; vous aussi +peut-être. C'est-à-dire que je considère maintenant SCO comme un organe de +presse du monopole de Microsoft, qui a les poches plus pleines et un +problème à plus long terme avec ce que nous faisons. +</p> + +<p> +Microsoft est une société très riche, et elle pourrait réussir sur le modèle +économique du logiciel-en-tant-que-service-public au XXIe siècle. Mais +malgré toute la profondeur d'esprit de M. Gates, l'idée de liberté de l'être +humain n'est pas quelque chose qu'il enregistre facilement. Et l'idée de +transformer son entreprise en entreprise de service, pour des raisons qui je +pense, nous sont accessibles à tous, ne lui plaît pas. Donc, pour la survie +du monopole de Microsoft, et je veux effectivement parler de survie, la +théorie de M. McBride que nous sommes en train de faire quelque chose +d'horrible à l'<cite>American way of life</cite> doit prévaloir. +Malheureusement pour Microsoft, ce ne sera pas le cas, parce que ce que nous +faisons actuellement est plus visible au monde que ce que son point de vue +de propagande ne le prévoit. Nous devons de toute façon continuer notre +travail, qui favorise la liberté du savoir et en particulier la liberté du +savoir technique, et ce faisant nous devons surmonter les vrais défis que +nous présente le monde dans lequel nous vivons, défis qui ne sont pas SCO ; +je voudrais passer encore quelques minutes à vous en parler. +</p> + +<p> +Le logiciel est, selon notre phraséologie, +<cite>free</cite>/libre. C'est-à-dire que nous avons maintenant un ensemble +de logiciels accessibles à n'importe qui sur terre, si robustes et si +puissants dans leurs possibilités que nous sommes capables en permanence, en +quelques homme-mois, de réaliser n'importe quel souhait de n'importe qui en +informatique. Et bien sûr de nouvelles choses surgissent constamment que les +gens ont envie de faire, et qu'ils font. Dans ce sens, et je le dis avec une +énorme satisfaction, dans ce sens le mouvement du logiciel libre a pris +place dans le XXIe siècle et en fait définitivement partie. Mais il y a des +défis à la liberté du logiciel libre que nous devons relever. +</p> + +<p> +La loi sur les brevets, contrairement à celle sur le copyright, contient +certains aspects attentatoires à la liberté du savoir technique. Si la loi +sur le copyright présente sous une forme utilisable la grande ambition du +XVIIIe siècle de perfectibilité de l'être humain, la loi sur les brevets ne +le fait malheureusement pas. Ce n'est pas surprenant, les penseurs du XVIIIe +siècle avaient aussi quelques doutes à propos de la loi sur les brevets. Ils +s'interrogeaient sur le « statut des monopoles » et leur longue pratique de +la loi anglaise leur donnait beaucoup d'inquiétudes à ce sujet. +Au XXIe siècle, la loi sur les brevets est un assortiment de nuisances +malfaisantes. Cela ne fait pas débat. Et dans le domaine du logiciel qui est +notre univers, le fonctionnement de cette loi a des caractéristiques +particulièrement néfastes. Nous allons devoir travailler dur pour nous +assurer que la portée légitime du brevet, qui existe mais est restreinte, ne +soit pas étendue par des administrateurs peu scrupuleux au cours du XXIe +siècle jusqu'à couvrir la paternité d'idées pour la simple raison que ces +idées sont exprimées en langage de programmation informatique plutôt que, +par exemple, en anglais ou en termes mathématiques. +</p> + +<p> +C'est notre travail, et c'est un travail que de nombreux avocats +intelligents sont en train de faire, mais ils le font partout dans le monde +sur des licences variées et d'autres structures juridiques connectées au +logiciel, de manière incohérente. Et l'incohérence des moyens qu'ils +utilisent pour essayer de lutter contre les menaces posées au logiciel par +les brevets nous cause de graves difficultés. Nous avons besoin de conduire +un séminaire de haut niveau dans les cinq prochaines années partout dans le +monde sur les relations entre la brevetabilité et les idées du logiciel +libre, et clarifier pour nous-mêmes quels termes de licence et quelle +manière de travailler minimisent les risques posés par les brevets. +Il y a ce que je caractériserais pour le moment comme une diversité +constructive de points de vue sur le sujet. Mais cette diversité devra être +réduite un petit peu par une amélioration de nos processus mentaux si nous +voulons à la fin de cette décennie achever ce que nous avons à faire pour +maîtriser la croissance du volume de brevets inappropriés et ses effets sur +notre forme particulière d'augmentation du savoir humain. +</p> + +<p> +Comme vous le savez, et comme je le dis dans un livre sur lequel je +travaille depuis un an, il se passe beaucoup d'autres choses en ce moment +sur Internet au sujet de la propriété. La musique, les films et diverses +autres formes de culture sont mieux distribuées par des enfants que par les +gens qui sont payés pour le faire. Les artistes commencent à découvrir que +s'ils autorisent des enfants à distribuer leurs œuvres en toute liberté, ils +s'en sortiront mieux que dans l'esclavage actuel où les maintiennent les +vautours de la culture. Ces derniers, il est vrai, se font un paquet +d'argent grâce à la musique, mais c'est surtout parce qu'ils gardent +94 cents de chaque dollar et en distribuent 6 aux musiciens, ce qui n'est +pas très bon pour les musiciens. +</p> + +<p> +Il y a donc beaucoup de bruit en ce moment sur Internet à propos de la +propriété, et puisque je ne m'intéresse pas seulement au logiciel libre, je +m'intéresse à ce bruit. J'ai un parti pris là-dessus également. Mais ce qui +est important pour nous dans notre conversation d'aujourd'hui, c'est que les +propriétaires de la culture reconnaissent maintenant la nécessité de mettre +en place leur propre méthode de distribution, une méthode dans laquelle la +distribution est achetée et vendue, c'est-à-dire traitée comme un bien, et +dans laquelle vous ne pouvez distribuer que si vous payez le droit de le +faire. À moins de mettre en place cette structure, leur modèle économique +est fichu. Et cela exige d'eux ce que je crois vraiment être comparable à +une occupation militaire du net. Ils doivent contrôler tous les nœuds +d'Internet et, pour chaque flux de bits qui transite à travers ces nœuds, +s'assurer que le droit de distribution n'a pas été acheté ou vendu avant de +le laisser passer. +</p> + +<p> +C'est précisément parce que le logiciel est libre que les propriétaires de +la culture ont besoin d'occuper le matériel d'Internet pour faire +fonctionner leur modèle économique. Le logiciel libre, comme Freenet de Ian +Clark, ou d'autres logiciels libres impliqués dans le partage de données +pair-à-pair, ou simplement TCP/IP, qui a été conçu pour partager des +données, présente d'insurmontables obstacles aux personnes qui veulent que +chaque flux de bits porte en lui les authentifications de propriété et de +distribution et aille uniquement aux endroits qui ont payé pour le +recevoir. Le résultat est une tendance croissante à créer ce qui, de manière +franchement orwellienne, est appelé « informatique de confiance », +c'est-à-dire des ordinateurs en lesquels les utilisateurs ne peuvent avoir +confiance. +Afin de continuer à avancer vers la libération du savoir dans notre société +du XXIe siècle, nous devons empêcher l'informatique de confiance et ses +accessoires d'envahir le matériel d'Internet dans le but d'empêcher ce +matériel de faire fonctionner des logiciels libres qui partagent +l'information librement avec les personnes désireuses de la +partager. Remporter le défi posé par l'informatique de confiance est un +problème juridique difficile, plus difficile pour l'avocat, quand il s'agit +de gérer des licences et de mettre en place des produits logiciels, que le +problème d'origine présenté par la libération initiale du logiciel. Ceci, +plus que l'amélioration de la structure de distribution du logiciel libre +comme nous la connaissons actuellement, est le problème qui m'occupe +l'esprit en ce moment. +</p> + +<p> +Mais j'irai un peu plus loin avec vous dans la discussion du problème +sous-jacent à celui du matériel libre. Nous vivons actuellement dans un +monde dans lequel le matériel est bon marché et le logiciel gratuit, et si +tout le matériel continue à fonctionner comme actuellement, notre principal +problème sera que la bande passante soit également traitée partout dans le +monde comme un produit plutôt qu'un service public. Et en général on a droit +à la quantité de bande passante qu'on peut s'offrir. Donc dans le monde +actuel, bien que le matériel soit bon marché et le logiciel gratuit, la +dissémination du savoir et l'encouragement à la diffusion des sciences et +des arts utiles présentent des difficultés majeures, parce que les gens sont +trop pauvres pour payer la bande passante dont ils ont besoin pour +apprendre. +</p> + +<p> +Cela provient du fait que le spectre électromagnétique a été traité comme +une propriété depuis le deuxième quart du XXe siècle. On a dit que c'était +techniquement nécessaire, à cause de problèmes d'interférences qui ne sont +plus pertinents dans le monde des appareils intelligents. Au XXIe siècle, le +problème de loin le plus grave du logiciel libre est de rendre le spectre +électromagnétique à l'usage partagé plutôt qu'à l'usage par +appropriation. Ici encore, comme vous l'aurez remarqué, le logiciel libre +lui-même, logiciel librement exécutable, a un rôle majeur à jouer. +Parce que ce sont des radios contrôlées par du logiciel, c'est-à-dire des +appareils dont les caractéristiques fonctionnelles sont contenues dans le +logiciel et peuvent être modifiées par leurs utilisateurs, qui récupèrent le +spectre pour un usage partagé plutôt que privateur. C'est le problème +central auquel nous devrons faire face, non pas à la fin de cette décennie, +mais durant les deux ou trois décennies suivantes, dans notre effort pour +améliorer l'accès au savoir partout dans le monde pour chaque esprit +humain. Nous aurons à déterminer comment nous servir des outils techniques +et juridiques que nous contrôlons pour libérer le spectre. +</p> + +<p> +Dans cet effort, nous allons affronter une série de propriétaires bien plus +puissants que Microsoft et Disney. Il vous suffit de considérer l'actuel +pouvoir des oligopoles des télécommunications implantés dans notre société +pour comprendre quelle dure bataille ce sera. C'est pourtant celle que nous +devons remporter si nous voulons atteindre le milieu du XXIe siècle dans un +monde au sein duquel le savoir sera librement disponible pour être partagé +par tous. Nous devons faire en sorte que chacun ait un droit inaliénable à +la bande passante, une chance suffisante de communiquer, pour être en mesure +d'apprendre sur la base de l'accès à tout le savoir disponible. C'est notre +plus grand défi juridique. La liberté de la couche logicielle d'Internet est +un composant essentiel de cette croisade. Notre capacité à empêcher les +appareils que nous utilisons d'être contrôlés par d'autres est un élément +essentiel de cette campagne. +</p> + +<p> +Mais au final, c'est notre capacité à unifier tous les éléments de la +société de l'information – logiciel, matériel, bande passante – entre des +mains partagées, c'est-à-dire entre nos propres mains, qui détermine si nous +pouvons réussir à réaliser le grand rêve du XVIIIe siècle, celui qui se +trouve dans l'article 1, section 8 de la Constitution des États-Unis, celui +qui dit que les êtres humains et la société humaine sont améliorables à +l'infini pour peu que nous prenions les dispositions nécessaires à la +libération de l'esprit. Voilà notre but réel. Le destin de la société de +M. McBride, qu'elle réussisse ou fasse faillite, le destin de +l'<cite>International Business Machine Corporation</cite> elle-même, sont +négligeables comparés à cela. Nous menons un mouvement des droits +civiques. Nous n'essayons pas de conduire tout le monde, ni une personne en +particulier, à la faillite. Qui réussit ou non sur le marché ne nous +intéresse pas. Nous avons le regard fixé sur la récompense. Nous savons où +nous allons : Liberté. Maintenant. +</p> + +<p> +Merci beaucoup. +</p> + +<p> +Je serai ravi de répondre à vos questions : +</p> + +<p> +<b>Zarren :</b> Les personnes du service des médias m'ont demandé de +m'assurer que les gens puissent parler dans le micro quand ils posent leurs +questions. Ça serait bien. Il y a un petit bouton pour l'allumer. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> Je voulais simplement poser une question de clarification et, +enfin bref… Vous semblez, ou non, avoir souligné une dichotomie entre +le matériel et le logiciel, dans le sens que le logiciel doit être libre, +que c'est un service, un bien public. Vous n'avez que peu parlé du +matériel. Et par matériel, je pense d'abord à celui qui est relié au +logiciel, mais c'est ensuite généralisable aux machines, n'importe quelle +sorte de machine. Comment faites-vous la différence entre les raisons pour +lesquelles le logiciel doit être libre et le matériel non ? +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> L'économie politique du XXIe siècle est différente de +l'histoire de l'économie passée, car cette économie est remplie de biens qui +ont un coût marginal nul. Le raisonnement traditionnel de la microéconomie +dépend du fait que les biens en général ont des coûts marginaux non +nuls. Cela coûte de l'argent de faire, déplacer et vendre ces biens. La +possibilité de liberté pour tous les flux de bits du monde se base sur cette +différence, sur ce coût marginal nul caractéristique de l'information +numérique. C'est parce que les coûts marginaux du logiciel sont nuls que +tout ce que nous avons à faire est de couvrir les frais fixes de sa +fabrication pour le rendre libre pour tout le monde, libre mais aussi +gratuit. +</p> + +<p> +Le matériel, c'est-à-dire les ordinateurs et, vous savez, les <abbr +title="Personal Digital Assistant">PDA</abbr> (assistants numériques +personnels), ainsi que les chaussures, les tables, les briques dans les murs +et même les sièges dans une salle de cours de la <cite>Harvard Law +School</cite>, ont des coûts marginaux non nuls. Et la microéconomie +traditionnelle continue de s'y appliquer de la même manière qu'elle le +faisait pour Adam Smith, David Ricardo ou Karl Marx. Raisonner sur le +matériel est, dans ce sens, comme raisonner sur l'économie dans laquelle +nous avons grandi et pose le même problème – comment couvrir les coûts de +chaque nouvelle unité – que le marché est censé nous aider à résoudre. +C'est précisément parce qu'au XXIe siècle une telle quantité de savoir et de +culture humaine ne font plus partie de cette économie traditionnelle de +prix, où les coûts marginaux tendent asymptotiquement vers une valeur non +nulle, que nous avons tant de possibilités de donner aux gens ce qu'ils +n'ont jamais eu auparavant. Et quand je vous parle des différences entre le +logiciel et le matériel j'observe implicitement la distinction entre +l'économie traditionnelle des coûts marginaux non nuls et la merveilleuse et +bizarre économie des flux de bits, dans laquelle la théorie traditionnelle +de la microéconomie donne bien la bonne réponse, mais où les +microéconomistes traditionnels n'aiment pas ce qu'ils voient quand ils font +leurs prévisions. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> En d'autre termes, est-ce que vous préconiseriez, puisque le +matériel peut contenir de la connaissance et qu'il a ces coûts marginaux +supplémentaires, est-ce que vous préconiseriez, par exemple, que chaque +ordinateur soit fourni avec les diagrammes des puces de sorte que la +connaissance du matériel soit libre, tout en continuant à faire du bénéfice +sur les coûts marginaux ? +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Certainement, ce serait une très bonne idée, et si vous +observez ce qui se passe au cours du XXIe siècle vous verrez de plus en plus +de fabricants faire précisément cela, grâce à la valeur de l'innovation +apportée par l'utilisateur responsabilisé, qui va sans cesse faire diminuer +le coût de fabrication de produits nouveaux et meilleurs. C'est bien pour +ces raisons, qui sont aussi évidentes aux fabricants qu'à nous, que la +logiciellisation du matériel au XXIe siècle est bonne pour tout le monde. Je +suis en train d'écrire quelque chose à ce sujet. Je ne veux pas faire la +réclame de mon livre, mais attendez un peu et j'essayerai de vous montrer ce +que je pense réellement à propos de tout ceci d'une manière ordonnée. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> Je me demandais si le procès SCO pourrait devenir le premier +d'une longue suite de procès intentés en série et en parallèle contre le +logiciel libre ? Et je voudrais connaître votre point de vue sur deux types +possibles de procès qui pourraient suivre le chemin tracé par SCO, que SCO +gagne ou non. +Le premier serait un procès intenté par une société qui se rendrait compte, +à sa grande stupeur, qu'au lieu de faire le travail qu'ils sont censés faire +avec l'espoir d'acheter leur première maison, ses développeurs passeraient +en réalité la moitié de leur temps sur Slashdot et le reste de leur temps +codant des logiciels libres, et ne resteraient qu'occasionnellement tard le +soir à travailler pour le patron. Si ces programmeurs ont signé avec leur +employeur, ce qui est habituel, un accord stipulant que tout logiciel qu'ils +écrivent est propriété de la société, peut-être même en tant que « travail +sur commande » <cite>[work for hire]</cite>, quelles sont les chances que +cette société puisse dire « Notre code a été introduit par notre programmeur +dans quelque chose comme Linux, et c'est désormais illégal à moins de nous +payer des dommages » ? +La deuxième possibilité de voir apparaître ce genre de procès serait, +quoique cela paraisse étrange, une conséquence de la « règle de prescription +des trente-cinq ans » <cite>[thirty-five year termination rule]</cite>, qui +normalement devrait être acclamée par des gens dans votre position ; elle +dit que le droit du copyright autorise les musiciens et artistes ayant +stupidement signé des accords avec de grosses sociétés, sans assistance +juridique, quand ils n'étaient encore rien, à les annuler trente-cinq ans +plus tard quelles qu'en soient les conditions. Ils peuvent remettre les +pendules à zéro et renégocier. Je l'appelle <cite>Rod Stewart Salvation +Act</cite> (loi pour la sauvegarde de Rod Stewart) [rires]. Et bien que cela +puisse être utile aux artistes, au grand dam de l'industrie musicale, cela +ne pourrait-il pas signifier également que les programmeurs de logiciel +libre ayant volontairement contribué, sans même en être empêchés par leurs +employeurs, ayant contribué au mouvement du logiciel libre, pourraient dire +à l'échéance – et trente-cinq ans ne sont pas si longs dans l'histoire +d'Unix – « Nous reprenons tout » ? +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Ce sont deux très bonnes questions. Si je réponds +complètement à chacune, je vais prendre trop de temps. Laissez-moi donc me +concentrer sur la première, qui à mon avis est vraiment importante. La +question de Jonathan vous montre que, pour la liberté du logiciel libre, les +grands problèmes juridiques ont moins à voir avec la licence qu'avec le +procédé d'assemblage par lequel le produit original est construit. Une des +conséquences juridiques du procès SCO est que les gens vont commencer à +faire plus attention en permanence à la manière dont les logiciels libres +sont construits sur le plan juridique. Ils vont s'apercevoir que ce qui +importe vraiment est la manière dont on traite des questions comme, par +exemple, les menaces potentielles de revendications de copyright par +l'employeur dans le cadre du contrat de travail. Ils vont s'apercevoir que +sur cet aspect-là également, M. Stallman a été tout à fait visionnaire ; ils +vont en effet reconnaître que la manière dont ils veulent que leurs +logiciels libres soient construits est celle qui est utilisée par la +Fondation pour le logiciel libre depuis plus de vingt ans. +Du train où nous allons, ils vont découvrir ce qu'ils souhaitent vraiment : +pour chaque contribution individuelle de code à un projet de logiciel libre +de la part d'une personne qui travaille dans l'industrie, une renonciation +de l'employeur au copyright établie au moment où la contribution a été +effectuée. Et les classeurs de la Fondation pour le logiciel libre vont leur +apparaître comme une oasis au milieu d'un désert d'ennuis potentiels. Nous +avons vu venir ce problème. En tant que gardiens d'une bonne part du +logiciel libre dans le monde, nous avons essayé de le gérer. Les gens vont +vouloir se faire un rempart de ceci dans toute la mesure du possible, et ils +seront bien plus réticents à faire confiance à du logiciel qui n'aura pas +été assemblé de cette façon-là. +</p> + +<p> +Si vous envisagez de travailler dans le droit du logiciel libre, et j'espère +bien que c'est le cas, vous pourriez avoir envie, entre autres choses, de +travailler sur les trusts de conservation du logiciel qui vont éclore autour +de cette économie dans les cinq prochaines années. Je vous aiderai à en +faire un, ou vous pouvez venir travailler dans un des miens. Nous allons +devoir passer beaucoup de temps à travailler en collaboration avec leurs +administrateurs. Nous allons passer beaucoup de temps à faire en sorte que +les choses soient bien assemblées et bien bâties. Et nous allons faire cela +pour le compte d'une industrie tierce d'assurance qui va bientôt grandir, +qui grandit même déjà sous nos yeux, et qui se rend compte qu'elle +s'intéresse vraiment à la manière dont le logiciel libre est construit. +</p> + +<p> +Quand vous allez dans une compagnie d'assurance et demandez une assurance +contre l'incendie pour votre maison, ils ne cherchent pas à savoir sous +quelle licence est placée votre maison. Ils veulent savoir comment elle a +été construite. De même, les questions que vous posez sur la manière dont le +logiciel libre est construit vont devenir vraiment importantes. Ce qui va +couper court à ces procès est que nous avons bien fait notre travail ou que +nous faisons bien notre travail de juristes, en aidant les programmeurs à +mettre en place leurs projets d'une manière défendable, qui protège la +liberté. +</p> + +<p> +Jusqu'à avant-hier, il y avait probablement trois juristes sur terre qui +s'intéressaient à ce sujet, et deux d'entre eux sont dans cette salle. Il y +en aura d'autres dans un avenir proche. Je dirai rapidement à propos de +votre seconde question, Jonathan, que le problème présenté est sérieux, +mais, du moins à mon point de vue, qu'il est gérable ; je voudrais bien +continuer à en parler, mais je pense que nous devrions entendre plus de voix +dans cette conversation. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> Sans contester l'importance ou la difficulté de la bataille pour +la bande passante, ou le… la bataille sur le copyright et ses +développements sont clairement d'actualité, mais ce qui m'inquiète le plus +actuellement est la bataille sur les brevets que je vois se profiler à +l'horizon. Comparée à cela, toute l'histoire de SCO, eh bien, SCO est un +dragon de papier, une menace fantôme. Pouvez-vous nous dire quelque chose +sur ce que vous attendez de cette prochaine bataille ? Comment sera-t-elle +menée ? Comment peut-elle l'être ? +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Bien sûr. Les brevets sont un problème politique. Je pensais +que l'industrie pharmaceutique m'avait rendu service en nous offrant pour +12 billions de dollars de publicité gratuite dans la dernière décennie, en +apprenant à chaque enfant de douze ans scolarisé sur terre ce que signifie +« propriété intellectuelle » : que des gens meurent à cause de maladies +curables, parce que les médicaments sont trop chers car protégés par des +brevets. +</p> + +<p> +Les brevets sont politiques. Les brevets déterminent comment nous +distribuons les richesses sur de très longues périodes, d'une façon plutôt +absolue. Nous n'allons pas trouver de réponse à notre problème de brevets +dans les salles d'audience ni les laboratoires. Il nous faudra lui donner +une réponse qui se situe dans la conduite effective de la politique. +</p> + +<p> +Vous en avez vu le début l'été dernier quand le Parlement européen a décidé, +dans un mouvement tout à fait inhabituel, de refuser la publication des +préférences de la Commission au sujet de changements du droit des brevets en +Europe dans le domaine des inventions logicielles. +</p> + +<p> +La Commission européenne a suggéré un changement et une harmonisation du +droit européen des brevets qui aurait rendu l'émission de brevets pour des +inventions logicielles beaucoup plus facile. Le Parlement européen, après +une longue campagne, en partie menée par le mouvement du logiciel libre en +Europe – c'est-à-dire Euro Linux et la Fondation pour le logiciel libre +Europe, ainsi que beaucoup de petites entreprises européennes de logiciel +bénéficiant considérablement du nouveau modèle de logiciel en tant que +service public – une campagne qui a impliqué au final 250 000 signataires de +pétition, le Parlement a finalement décidé de refuser. Et deux partis au +Parlement européen, les Verts et les Sociaux-démocrates, comprennent +maintenant que la politique des brevets en Europe est un problème +partisan. C'est-à-dire qu'il y a deux camps, et que l'organisation des +partis et de la politique électorale peuvent être conduites sur cette base. +</p> + +<p> +Notre société est beaucoup moins sensibilisée à cette question. Pour ceux +d'entre nous qui habitent ici, la tâche de nous aligner sur le standard +établi pour nous par nos collègues européens l'été dernier est notre premier +et plus important défi. Nous devons faire comprendre aux membres de notre +Congrès que le droit des brevets n'est pas un sujet de droit administratif +devant être décidé au <abbr title="Patent and Trademark Office">PTO</abbr> +(Office des brevets et des marques déposées), mais un sujet politique devant +être décidé par nos législateurs. Nous allons peut-être devoir restaurer une +réelle démocratie à la Chambre des représentants des États-Unis afin de +rendre ceci possible, et il y a beaucoup d'autres aspects à ce défi. +</p> + +<p> +Mais c'est l'un des aspects principaux pour lesquels les personnes +techniquement éduquées aux États-Unis vont devoir apprendre les arcanes de +la politique, parce que nous n'allons résoudre ceci ni à la Cour suprême, ni +à notre poste de travail. Nous allons résoudre ceci au Congrès, et nous +allons devoir nous muscler pour le faire. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> À ce propos, je suis curieux : ce n'est peut-être pas tant un +sujet juridique qu'un sujet de relations publiques. Vous avez commencé par +dire : il s'agit de liberté et non pas de gratuité. Mais quand vous écoutez +des personnes comme Jack Valenti et la <abbr title="Recording Industry +Association of America">RIAA</abbr>,<a id="TransNote9-rev" +href="#TransNote9"><sup>9</sup></a> vous savez, et M. McBride, la rengaine +est toujours cette idée de gratuité <cite>[free beer]</cite> et d'apprendre +aux enfants qu'il ne faut pas voler, vous savez, Big Music. Comment peut-on +gagner sur le terrain cette bataille de relations publiques qui, au final, +aura des ramifications jusqu'au Congrès ? Comment, comment faites-vous +parvenir ce message en dehors de la communauté technologique ? +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Eh bien, une des choses que j'aimerais dire à ce sujet est +que la langue anglaise est contre nous sur ce point, n'est-ce pas ? Une des +choses qui se sont passées au cours du temps dans nos environnements +européens, dans lesquels <cite>free</cite> au sens de gratuit et +<cite>free</cite> au sens de libre sont deux mots différents, est que les +gens ont saisi la distinction beaucoup plus facilement. +</p> + +<p> +« Software libre », ou « logiciel libre »<a id="TransNote10-rev" +href="#TransNote10"><sup>10</sup></a> si vous voulez suivre l'Académie +française, réussit bien à faire cette distinction que <cite>free +software</cite> ne fait pas. C'est pour cela que, vers la fin des années 90, +certains se sont dits que peut-être ils devraient essayer de trouver un +nouveau terme, et se sont finalement décidés pour « open +source ». Finalement ce terme a apporté plus d'ennuis que d'avantages aux +gens qui l'ont trouvé, quoiqu'il fonctionne vraiment bien maintenant pour +les entreprises comme moyen d'identifier leur intérêt dans ce que nous +faisons, sans s'engager dans des philosophies politiques ou sociales que ces +hommes d'affaire ne partagent pas, ou en tout cas n'ont pas besoin de crier +sur les toits pour faire leur travail de tous les jours. +</p> + +<p> +Donc une des choses que nous sommes obligés de faire, nous qui parlons +anglais, est d'insister de temps en temps, en fait tout le temps, sur la +distinction entre <cite>free beer</cite> et <cite>free speech</cite>. D'un +autre côté, ceux d'entre nous qui habitent aux États-Unis et parlent anglais +ne devraient pas avoir trop de souci à ce propos puisque la liberté +d'expression est beaucoup mieux implantée dans la culture américaine que la +bière gratuite. Du moins c'était vrai dans le monde où j'ai grandi, quoi que +Rupert Murdoch veuille dire à ce sujet maintenant. +</p> + +<p> +Nous sommes le parti de la liberté d'expression, et nous devons faire +remarquer aux gens que si l'on autorise n'importe qui, y compris un +lobbyiste bien habillé à la mode d'autrefois, à déclarer que l'amour de la +liberté d'expression c'est comme sortir d'un magasin de disque avec un CD +sous le bras, alors c'est perdu. Non pas le jeu à propos du logiciel libre, +mais le jeu de la liberté et de la vie dans une société libre. +</p> + +<p> +Nous défendons la liberté d'expression. Nous sommes le « Mouvement pour la +liberté d'expression »<a id="TransNote11-rev" +href="#TransNote11"><sup>11</sup></a> de notre époque. Et nous devons +insister là-dessus en permanence, sans compromis. Mon cher ami, M. Stallman, +a provoqué une résistance certaine au cours de sa vie en allant dire +partout : « C'est du logiciel libre, pas de l'open source. » Il a une +raison. C'est la raison. Nous avons continuellement besoin de rappeler aux +gens que c'est la liberté d'expression qui est en jeu ici. Nous avons +continuellement besoin de rappeler aux gens ce que nous faisons : essayer de +protéger la liberté des idées au XXIe siècle, dans un monde où des types +avec des petites étiquettes de prix autocollantes les poseraient sur chaque +idée de la terre si cela faisait faire des bénéfices aux actionnaires. Et ce +que nous devons faire, c'est continuer à mieux faire accepter l'idée que +« liberté d'expression », dans une société technologique, signifie « liberté +d'expression technologique ». Je pense que nous pouvons faire cela. Je pense +que c'est un message qui peut passer. +</p> + +<p> +C'est à cela que je consacre une grande partie de mon temps, et bien qu'à +l'occasion il est vrai, les gens me trouvent ennuyeux, je pense du moins +réussir à peu près à faire passer ce message. Il va falloir simplement que +nous le fassions tous avec beaucoup d'assiduité. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> Je vais vous poser une question. Vous avez beaucoup parlé de la +distribution et de la raison pour laquelle vous pensez qu'elle devrait être +libre. Je pense comprendre cet argument beaucoup mieux que je ne comprends +l'argument selon lequel les créateurs de biens à coûts marginaux de +distribution nuls seront nécessairement rétribués pour ce qu'ils créent ; +j'ai beaucoup entendu parler, et je ne pense pas que cela soit un de vos +arguments, mais j'ai entendu dire, OK, eh bien, que les musiciens feront des +tournées, donc qu'ils se rattraperont de cette façon, vous savez, quel que +soit le temps qu'ils y aient consacré. Ou encore, que les gens continueront +à créer ce qu'ils créent, et cela s'applique à plus de chose que juste les +films et la musique, cela s'applique aussi aux livres, ou aux choses +contenant du savoir autres que de loisir, n'importe lesquelles. Vous +entendez dire que les gens vont continuer à en faire la même quantité parce +qu'ils aiment le faire ou que ça les intéresse, mais je ne pense pas que +cela compense vraiment les indemnisations que beaucoup de ces créateurs +reçoivent maintenant. +Et donc je me demandais si vous pouviez nous dire brièvement en quoi le +monde de la libre distribution – différent du monde actuel dans lequel la +plupart des régimes de distribution ont été créés spécialement pour +indemniser les gens – sera différent en ce qui concerne l'indemnisation des +auteurs. +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Je vais en parler un petit peu maintenant, et pour gagner du +temps dire aussi que vous pouvez trouver sur le net un papier à l'endroit où +je mets des choses c'est-à-dire http://moglen.law.columbia.edu, un papier +appelé <a +href="http://moglen.law.columbia.edu/publications/maine-speech.html"><cite>Freeing +the Mind</cite></a> (Libérer l'esprit), qui répond à cette question, +j'espère de façon complète, ou du moins à peu près. Maintenant, +permettez-moi de vous donner une réponse. +</p> + +<p> +Pour commencer, il est utile d'avoir une perspective historique. Avant +Thomas Edison, il n'y avait pas moyen que la culture soit un bien de +consommation de masse. Chaque musicien, chaque artiste, chaque créateur de +n'importe quoi avant Thomas Edison faisait essentiellement ce que nous en +sommes maintenant revenus à faire, excepté ceux qui vivaient dans un monde +de biens qui pouvaient être distribués sous forme imprimée, pour qui il vous +suffit de remonter avant Gutenberg. N'est-ce pas ? +</p> + +<p> +L'évolution de la culture en consommation de masse est un phénomène récent, +par rapport à l'ancienneté de l'histoire de la créativité humaine. Quoi que +nous croyions d'autre, et les problèmes sont graves, nous devons garder à +l'esprit que la musique n'aurait aucune chance de disparaître si elle +cessait d'être un produit de masse. La musique est toujours présente. Elle +l'a toujours été. +</p> + +<p> +Ce sur quoi vous vous interrogez est : pourquoi les gens payent-ils pour les +choses auxquelles ils s'intéressent, d'une manière qui permette aux +créateurs de continuer à les faire ? Et la réponse que je dois vous donner +est que les gens payent pour la relation personnelle qu'ils ont avec le +concept de réalisation d'une œuvre. +</p> + +<p> +Les musiciens étaient payés par les gens qui écoutaient de la musique, parce +que ces derniers avaient une relation personnelle avec eux. C'est ce que +vous voulez dire par « faire des tournées » ; « The Grateful Dead », ou +n'importe qui d'autre, utilise le coût marginal non nul des sièges de salle +de concert pour se rembourser, de la même manière que des gens font du +commerce pour se rembourser. +</p> + +<p> +Pensez un instant au chanteur-compositeur de musique folklorique du monde +des <cite>coffee house</cite>. Le cas le plus simple, d'une certaine façon, +de la transformation de l'industrie musicale. Voilà des gens qui +actuellement sont en tournée 40, 45, 50 semaines par an. Ce qui se passe est +qu'à l'endroit où ils jouent, leurs CD sont en vente au fond de la salle, +mais les gens n'achètent pas ces CD genre, vous savez, « sinon je volerais +la musique » ; ils les achètent de la même manière qu'ils achètent des +produits au marché ou à une foire d'artisans, à cause de leur relation +personnelle avec l'artiste. +</p> + +<p> +Donc laissez-moi vous dire ce que je pense que les propriétaires de la +culture faisaient au XXe siècle. Ça leur a pris deux générations à partir +d'Edison pour se rendre compte de ce qu'était leur affaire, et ce n'était ni +la musique ni les films. C'était la célébrité. Ils créaient de grandes +personnes artificielles, vous savez, avec des nombrils à 3 m du sol. Et +ensuite nous avions ces relations personnelles imaginaires avec ces grandes +personnes artificielles. Ces relations personnelles étaient manipulées pour +nous vendre des tonnes de choses, de la musique et des films et des T-shirts +et des jouets et, vous savez, de la gratification sexuelle et dieu sait quoi +d'autre. Tout cela basé sur l'économie réelle sous-jacente de la culture, +qui est que nous payons pour ce avec quoi nous avons des relations. Nous +sommes des êtres humains, des animaux sociaux. Nous avons été socialisés et +avons évolué pour vivre en groupe depuis très longtemps. Et quand on nous +donne des choses belles et utiles dans lesquelles nous croyons, nous les +soutenons réellement. +</p> + +<p> +Vous pensez que ce n'est pas vrai, parce que le gratin actuel de la vie +sociale dit que ce n'est pas un mécanisme assez robuste pour maintenir la +création, et que le seul mécanisme qui maintiendra la création est +l'exclusion coercitive – vous ne pouvez pas l'avoir si vous ne payez pas. +</p> + +<p> +Mais ils ne peuvent avoir raison historiquement, parce que la possibilité de +contraindre efficacement est quelque chose de passé. La longue, riche +histoire de la culture est l'histoire de mécanismes non coercitifs assurant +l'indemnisation des artistes, et nous sommes maintenant en position +d'améliorer immensément certains d'entre eux. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> Mais qu'en est-il de l'auteur de logiciel ? +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Ah, le logiciel… +</p> + +<p> +<b>Q :</b> C'est plus de ce genre de chose que je voulais parler avec ma +question. Donc vous avez quelqu'un qui crée quelque chose d'utile mais qui a +un coût de distribution nul, et c'est utile d'une manière qui n'est pas, pas +utile comme la célébrité, bien que je n'en sois pas sûr, je ne pense pas que +ce soit utile de cette manière, mais c'est utile dans le sens où cela prend +beaucoup de temps pour bien le créer. +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Voyez-vous, les programmeurs avec qui j'ai travaillé toute +ma vie se considéraient comme des artisans, et c'était extrêmement difficile +de les organiser. Ils se considéraient comme des créateurs individuels. Les +auteurs de logiciel commencent en ce moment à perdre ce sentiment, car le +monde les prolétarise beaucoup plus durement que par le passé. Ils +commencent à remarquer qu'ils sont ouvriers, et pas seulement cela ; si vous +faites attention à la campagne présidentielle qui a lieu actuellement autour +de nous, ils se rendent compte du fait qu'avec les échanges internationaux, +leurs emplois d'ouvriers sont délocalisables . +</p> + +<p> +Nous faisons vraiment plus pour protéger le gagne-pain des programmeurs que +les gens du système privateur. M. Gates a seulement un certain nombre +d'emplois, et il les déplacera vers l'endroit où la programmation est +meilleur marché. Regardez donc ce qui se passe. Nous, au contraire, +permettons aux gens d'acquérir un savoir technique qu'ils peuvent adapter et +négocier dans le monde où ils vivent. Nous fabriquons des programmeurs, +n'est-ce pas ? Et nous leur donnons une base avec laquelle ils peuvent +exercer leur activité de service à tous les niveaux de l'économie, du plus +bas au plus élevé. +</p> + +<p> +Il y a maintenant du travail de programmation pour des gamins de quatorze +ans partout dans le monde, parce qu'ils ont l'intégralité de GNU sur +laquelle bâtir tout ce qu'une personne de leur voisinage désire acheter, et +la valeur que nous produisons pour IBM justifie un investissement de +plusieurs milliards de dollars. +</p> + +<p> +Si j'étais employé par IBM en ce moment, je considérerais mon emploi comme +plus stable grâce au logiciel libre que si le logiciel libre disparaissait +de la surface de la terre ; je pense que la plupart des personnes qui +travaillent chez IBM seraient d'accord avec moi. +</p> + +<p> +De toutes les personnes qui participent à l'économie de coût marginal nul, +je pense que les programmeurs sont ceux qui peuvent voir le mieux où se +situe leur avantage, et si vous attendez simplement que partent vers +Bangalore quelques dizaines de milliers d'emplois supplémentaires, ils le +verront encore plus clairement. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> Donc, l'auteur écrit un logiciel. Au moment où le logiciel est +fixé dans un support tangible, le copyright s'y attache ; personne d'autre +ne peut l'utiliser sans autre action de l'auteur. L'auteur choisit d'adopter +la <cite>General Public License</cite> pour gérer ce que les autres peuvent +faire avec le logiciel, et vous avez dit alors cette chose intrigante que la +GPL donne [des permissions], dans certaines limites, et c'est pourquoi vous +avez fait remarquer que personne ne veut vraiment la défier car ce serait un +défi à la Pyrrhus. Si vous gagnez et que la licence s'évapore, alors cela +revient automatiquement à l'auteur. +Cela semble convaincant et prouve presque trop, n'est-ce pas ? Parce que, +supposons qu'un autre auteur écrive du logiciel, qu'il l'écrive pour le +moment avec l'auteur et choisisse de le placer sous la <cite>Grand Old Party +License,</cite><a id="TransNote12-rev" href="#TransNote12"><sup>12</sup></a> +selon laquelle seuls les Républicains peuvent en tirer des travaux dérivés +et d'autre choses qui, sinon, seraient des infractions au copyright du +logiciel. Premièrement, pensez-vous que les tribunaux devraient faire +appliquer une licence de ce type ? Et en deuxième lieu, ne pourrait-on pas +dire que la même logique s'appliquerait, que personne n'oserait la défier +car un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ? Au moins, laissons les +Républicains utiliser le logiciel. +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Fondamentalement vous posez, je crois, la question +suivante : est-ce que l'abus de la loi sur le copyright a entièrement +disparu ? Et je pense que la réponse, malgré la déférence actuelle de la +Cour suprême envers ce que le Congrès choisit de dire, est non. Je pense que +l'habitude de dépasser les bornes existe toujours, et en tant qu'avocat +travaillant pour des gens qui sont plutôt militants pour le partage, je les +entends en permanence proposer des choses que, d'après eux, il serait +vraiment bien de faire, et que, d'après moi, la loi sur le copyright ne leur +permettra pas de faire sans la modifier par des contrats additionnels. +</p> + +<p> +Je pense que le panel d'outils actuels de la loi sur le copyright harmonisée +par les accords de Berne pose certaines limites au pouvoir du donneur de +licence, et je crois que ces limites sont suffisamment larges pour nous +autoriser à créer la sorte de biens communs auto-réparables que nous avons +créés, mais je ne suis pas sûr qu'elles seraient assez fortes pour permettre +l'importation de beaucoup de restrictions contractuelles supplémentaires en +tant que partie intégrante de la loi sur le copyright. +</p> + +<p> +De plus je suis à peu près sûr que si vous essayiez et réussissiez dans une +juridiction, vous vous rendriez compte que la Convention de Berne n'a pas +exporté toutes ces propositions dans le monde pour vous, et que donc vous +auriez des difficultés à ériger un empire mondial autour de la GPL. +</p> + +<p> +Mais je pense que vous avez raison quand vous dites autre chose, à savoir +que s'il y avait dans le monde beaucoup de biens communs capables +d'autodéfense, bâtis selon différents principes, cela créerait des procès +poids-morts indésirables ; c'est pour cela que je passe une bonne partie de +mon temps à essayer d'aider les gens à voir pourquoi la GPL est bonne et n'a +pas besoin d'être transformée en XPL ou YPL et ZPL ailleurs dans le +monde. En fait je pense que, dans les prochaines années, nous allons avoir +une réduction du nombre des licences plutôt qu'une multiplication +croissante. Mais c'est un problème conceptuel d'importance ; il repose sur +la croyance que la loi sur le copyright, en soi, autorise certaines choses +et pas d'autres, et que la seule manière de boucher ces trous est avec le +type de loi du contrat que nous essayons de ne pas utiliser. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> Pouvez-vous recommander un économiste qui ait étudié l'économie à +coût marginal nul ? +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Eh bien, voyez-vous, je dis parfois en plaisantant à mon +cher collègue, Yochai Benkler de la <cite>Yale Law School</cite>, que Yochai +est maintenant bien placé pour gagner la finale du prix Nobel en +économie. Mais je crains que ce ne soit pas tout à fait vrai et qu'une foule +d'autres gens commencent à arriver. J'ai un peu le sentiment que tôt ou tard +je vais me réveiller pour découvrir qu'à Stockholm ils ont décidé +d'attribuer un prix pour l'enseignement de l'économie à des personnes que +nous connaissons depuis vingt-cinq ans. +</p> + +<p> +Eric von Hippel réalise un travail très important à ce sujet, si vous voulez +ne vous intéresser qu'aux personnes du voisinage. Nous commençons à avoir +dans nos écoles de commerce un tas de gens qui essayent réellement de +réfléchir à ces questions, parce qu'ils voient des paris de plusieurs +milliards de dollars et que, dans la bonne tradition des écoles de commerce, +ils découvrent qu'ils devraient s'intéresser aux préoccupations des riches +hommes d'affaire et de leurs investisseurs. +</p> + +<p> +Dans les départements d'économie pure, malheureusement nous restons encore +un phénomène trop dérangeant pour être consultés. Mais bien sûr, les +étudiants en doctorat ne font pas toujours ce que font leurs professeurs, et +j'ai l'intuition que nous sommes à quelques années seulement du début d'une +grande avancée sur ces sujets. +</p> + +<p> +C'est une énorme et magnifique occasion de revoir tout le domaine. Même dans +une discipline comme l'économie, on ne peut empêcher les gens de travailler +sur un problème vraiment intéressant que pendant un temps limité. Et ce +temps est écoulé. +</p> + +<p> +<b>Q :</b> Juste une question générale sur les forces de marché et +l'économie du logiciel libre. Même dans un monde idéal, ne diriez-vous pas +que, vous savez, à cause des forces de marché et ensuite nous, vous savez, +un groupe de joueurs devient spécialement puissant, et en fait ils – même si +c'est un monde idéal – ils deviennent vraiment assez puissants et créent une +nouvelle fois des monopoles basés sur des standards, et nous revenons au +système que nous avons aujourd'hui. Donc finalement ma question est : notre +système économique, basé sur le produit, est-il juste une conséquence de la +structure que nous avons, ou est-ce le résultat des forces de marché ? +</p> + +<p> +<b>Moglen :</b> Eh bien, la structure que nous avons constitue ce que nous +appelons une force de marché. Je ne voudrais pas affirmer que le marché est +un mécanisme newtonien qui existait dans l'univers indépendamment de +l'interaction sociale humaine. +</p> + +<p> +Voyez-vous, ce que nous essayons de faire, à travers des institutions +juridiques dédiées à la protection des biens communs, est d'éviter que ces +biens communs ne subissent une tragédie. Du fait que le contenu de ces biens +communs est capable de renouvellement et a un coût marginal nul, la tragédie +que nous essayons d'éviter n'est pas celle de Garrett Hardin,<a +id="TransNote13-rev" href="#TransNote13"><sup>13</sup></a> qui était basée +sur le caractère épuisable des ressources naturelles d'un certain type. Mais +il est certain que les biens communs que nous fabriquons sont susceptibles +d'être accaparés et détruits de la manière que vous suggérez. +</p> + +<p> +Ceux d'entre nous qui croient que la GNU GPL est une licence +particulièrement importante le croient parce qu'ils pensent que d'autres +licences protègent trop faiblement les biens communs et pourraient être +sujettes à une forme d'appropriation, destructrice à terme. C'est notre +souci avec les libertés offertes, par exemple, par la licence BSD. Bien que +les libertés à court terme semblent plus grandes, nous avons peur que les +résultats à long terme ne se rapprochent de ceux que vous montrez : des +participants au marché, libres de s'approprier le contenu des biens communs, +pourraient avoir suffisamment de succès dans leur appropriation pour les +rendre complètement inutilisables, tuant ainsi la poule ayant pondu l'œuf +d'or initial. +</p> + +<p> +Donc, d'une certaine manière, je dirais qu'éviter la tragédie des biens +communs dans notre monde dépend de leur structure. Cependant, comme ce ne +sont que des institutions, ainsi que je l'ai signalé précédemment dans cette +conversation, les biens communs nécessitent une gestion active. +</p> + +<p> +Vous, en tant qu'avocat, soit vous aiderez à protéger les biens communs, +soit à ne pas les protéger. C'est une forme de loi sur les ressources +naturelles du XXIe siècle. C'est prendre conscience qu'aucune machine ne +peut se lancer elle-même, qu'elle nécessitera de l'aide pour pouvoir +atteindre ses buts de la manière précise que vous avez en tête. +</p> + +<p> +La meilleure loi au monde sur les parcs nationaux n'empêchera par le +braconnage s'il n'y a pas des personnes engagées désireuses de la +défendre. Donc vous présentez une théorie générale de la possibilité de +destruction des biens communs et je suis d'accord avec vous. Je dirai deux +choses. Nous pouvons établir de meilleurs biens communs, et nous pouvons +nous démener pour garder ces biens communs vigoureux et en bonne +santé. C'est ce à quoi je m'emploie. C'est ce à quoi, j'espère, vous vous +emploierez également. +</p> + +<div class="translators-notes"> + +<!--TRANSLATORS: Use space (SPC) as msgstr if you don't have notes.--> +<hr /><b>Notes de traduction</b><ol> +<li id="TransNote1"><cite>Free as in freedom, not free as in beer</cite> +signifie : libre, pas gratuit. <a href="#TransNote1-rev" +class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote2">Allusion à la théorie de l'évolution de Darwin. <a +href="#TransNote2-rev" class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote3">Il s'agit de l'article 1, section 8, de la Constitution +des États-Unis : « Le Congrès aura le pouvoir… de favoriser le +progrès de la science et des arts utiles en assurant, pour un temps limité, +aux auteurs et inventeurs le droit exclusif à leurs écrits et découvertes +respectifs. » <a href="#TransNote3-rev" class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote4"><cite>Court watching</cite> : les <cite>court +watchers</cite> sont des personnes qui assistent aux procès pour observer le +comportement des juges et le déroulement de la procédure ; l'information +recueillie peut servir, par exemple, à faire des recommandations pour +améliorer le fonctionnement des tribunaux, ou à demander le renvoi d'un +juge. <a href="#TransNote4-rev" class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote5">En droit américain, le <cite>holding</cite> d'une +affaire est l'ensemble des faits qui sont assez généraux pour éventuellement +donner lieu à jurisprudence ; le <cite>dicta</cite> est l'ensemble des faits +qui sont particuliers à cette affaire. <a href="#TransNote5-rev" +class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote6">Allusion probable à la clé permettant de déverrouiller +un programme. Sans cette clé, le programme s'arrête instantanément. <a +href="#TransNote6-rev" class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote7">Au douzième coup de minuit le soir de la +Saint-Sylvestre, une énorme boule de cristal descend traditionnellement sur +Times Square, à New York. <a href="#TransNote7-rev" +class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote8">Autre traduction de <cite>proprietary</cite> : +propriétaire. <a href="#TransNote8-rev" class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote9">Association des industries de l'enregistrement +d'Amérique. <a href="#TransNote9-rev" class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote10">En français dans le texte. <a href="#TransNote10-rev" +class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote11"><cite>Free Speech Movement</cite> : mouvement de +contestation qui se manifesta pendant l'année scolaire 1964-1965 à +l'université de Californie, sur le campus de Berkeley. <a +href="#TransNote11-rev" class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote12"><cite>The Great Old Party</cite> désigne +traditionnellement le parti républicain des États-Unis. <a +href="#TransNote12-rev" class="nounderline">↑</a></li> +<li id="TransNote13">Garrett Harding est l'auteur de <cite>The Tragedy of +the Commons</cite> (La tragédie des biens communs), essai écrit en 1968, qui +souligne les dommages que peuvent causer les individus à l'environnement par +leurs actions innocentes. <a href="#TransNote13-rev" +class="nounderline">↑</a></li> +</ol></div> +</div> + +<!-- for id="content", starts in the include above --> +<!--#include virtual="/server/footer.fr.html" --> +<div id="footer"> +<div class="unprintable"> + +<p>Veuillez envoyer les requêtes concernant la FSF et GNU à <a +href="mailto:gnu@gnu.org"><gnu@gnu.org></a>. Il existe aussi <a +href="/contact/">d'autres moyens de contacter</a> la FSF. Les liens +orphelins et autres corrections ou suggestions peuvent être signalés à <a +href="mailto:webmasters@gnu.org"><webmasters@gnu.org></a>.</p> + +<p> +<!-- TRANSLATORS: Ignore the original text in this paragraph, + replace it with the translation of these two: + + We work hard and do our best to provide accurate, good quality + translations. However, we are not exempt from imperfection. + Please send your comments and general suggestions in this regard + to <a href="mailto:web-translators@gnu.org"> + + <web-translators@gnu.org></a>.</p> + + <p>For information on coordinating and submitting translations of + our web pages, see <a + href="/server/standards/README.translations.html">Translations + README</a>. --> +Nous faisons le maximum pour proposer des traductions fidèles et de bonne +qualité, mais nous ne sommes pas parfaits. 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