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+<title>Le danger des brevets logiciels - Projet GNU - Free Software Foundation</title>
+
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+<h2>Le danger des brevets logiciels</h2>
+<p>par <a href="http://www.stallman.org/">Richard Stallman</a></p>
+
+<p>Retranscription de la conférence donnée par Richard M. Stallman le
+8 octobre 2009 à l'Université Victoria de Wellington</p>
+
+<dl>
+<dt>SF :</dt>
+<dd><p>Je m'appelle Susy Frankel, et je tiens à vous souhaiter la bienvenue, en mon
+nom et en celui de Meredith Kolsky Lewis, à cette conférence organisée par
+le Centre de droit international des affaires de Nouvelle-Zélande. C'est à
+Brenda Chawner, membre de l'École de gestion de l'information de
+l'Université de Wellington (plutôt que du Centre que je viens de nommer, qui
+fait partie de la Faculté de droit) que revient le mérite d'avoir fait
+revenir Richard Stallman en Nouvelle-Zélande et d'avoir organisé son
+programme, notamment son étape de ce soir, ici à
+Wellington. Malheureusement, retenue par ses activités d'enseignement
+universitaire, elle n'a pu se joindre à nous.</p>
+
+<p>C'est donc à moi que revient le plaisir de vous accueillir à cette
+conférence sur « Le danger des brevets logiciels ». Richard Stallman propose
+une série d'interventions sur différents sujets, et si nous avons choisi
+celui-ci, avec Brenda, c'est parce que pour la première fois dans l'histoire
+de la Nouvelle-Zélande, nous avons un débat qui tire un peu en longueur,
+mais qui est important, sur la réforme du droit des brevets, et vous êtes
+nombreux dans la salle à y participer. Cela nous a donc semblé
+particulièrement de circonstance. Merci, Richard, de nous avoir fait cette
+proposition.</p>
+
+<p>On ne présente plus Richard Stallman. Néanmoins, pour ceux d'entre vous qui
+n'ont jamais entendu parler de lui, il a lancé le développement du système
+d'exploitation GNU. Je ne savais pas comment prononcer GNU, alors je suis
+allé sur Youtube (que ferions-nous sans Youtube)&hellip;</p></dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Oh, vous ne devriez pas promouvoir YouTube, ils diffusent leurs vidéos dans
+un format breveté.</dd>
+
+<dt>SF :</dt>
+<dd>C'est vrai. Je l'évoquais seulement pour aborder ce point : doit-on
+prononcer G N U ou GNU ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>C'est sur Wikipédia. [GNU se prononce comme « gnou » en français]</dd>
+
+<dt>SF :</dt>
+<dd>Oui, mais sur YouTube j'ai pu vous entendre le prononcer en direct. Le plus
+important néanmoins, c'est qu'il n'est pas propriétaire. Mais ce qui nous
+intéresse le plus, c'est que Richard a reçu de nombreuses distinctions pour
+son travail. Celle que je préfère, et par conséquent la seule que je
+mentionnerai, est le prix Takeda pour le progrès social et économique, et
+j'imagine que c'est bien de cela que nous allons parler ce soir. Je vous
+demande donc de vous joindre à moi pour accueillir Richard.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd><p>Avant tout, je voudrais préciser que l'une des raisons qui me poussent à
+boire ceci [une canette ou une bouteille de cola qui n'est pas du Coca-Cola]
+est qu'il y a un boycott mondial de la société Coca-Cola pour avoir
+assassiné des représentants syndicaux en Colombie. Consultez le site <a
+href="http://killercoke.org">killercoke.org</a>. Il ne s'agit pas des
+conséquences de la consommation du produit ; après tout, il en va de même
+pour beaucoup d'autres produits. Il s'agit de meurtre pur et simple. C'est
+pourquoi, avant d'acheter une boisson, lisez le texte en petits caractères
+pour vérifier si elle est fabriquée par Coca-Cola.</p>
+
+<p>Je suis connu avant tout pour avoir initié le mouvement du logiciel libre et
+dirigé le développement du système d'exploitation GNU – bien que la plupart
+des personnes qui utilisent ce système croient à tort qu'il s'agit de Linux
+et pensent qu'il a été inventé par quelqu'un d'autre dix ans plus tard. Mais
+ce n'est pas de cela que je vais parler aujourd'hui. Je suis ici pour vous
+parler d'une menace juridique qui plane sur tous les développeurs, les
+utilisateurs et les éditeurs de logiciels : la menace des brevets – sur des
+idées informatiques, ou des techniques informatiques, c'est-à-dire des idées
+portant sur quelque chose de réalisable par un ordinateur.</p>
+
+<p>Pour comprendre le problème, il faut tout d'abord prendre conscience du fait
+que le droit des brevets n'a rien à voir avec le copyright ; ce sont deux
+champs complètement différents. Vous pouvez être sûr que rien de ce que vous
+savez sur l'un ne s'applique à l'autre.</p>
+
+<p>Par exemple, chaque fois que quelqu'un utilise le terme « propriété
+intellectuelle », il renforce la confusion, car ce terme mélange non
+seulement ces deux branches du droit, mais également une douzaine
+d'autres. Ces branches sont toutes différentes, et il en résulte que tout
+énoncé qui porte sur la « propriété intellectuelle » est parfaitement confus
+– soit parce que l'auteur de l'énoncé est lui-même confus, soit parce qu'il
+souhaite embrouiller les autres. Mais au final, que ce soit accidentel ou
+malveillant, cela accroît la confusion.</p>
+
+<p>Vous pouvez échapper à cette confusion en refusant toute affirmation qui
+utilise ce terme. Pour porter le moindre jugement utile sur ces lois, il
+faut commencer par bien les distinguer, et les aborder <em>séparément</em>
+afin de comprendre quels sont réellement les effets de chacune, puis en
+tirer les conclusions. Je vais donc parler de brevets logiciels et de ce qui
+se passe dans les pays qui ont autorisé le droit des brevets à restreindre
+les logiciels.</p>
+
+<p>A quoi sert un brevet ? Un brevet est un monopole explicite sur
+l'utilisation d'une idée, attribué par un État. Tout brevet contient une
+partie intitulée les revendications, qui décrit précisément ce que vous
+n'avez pas le droit de faire (bien qu'elles soient généralement rédigées en
+des termes que vous ne pouvez probablement pas comprendre). Il faut lutter
+pour trouver ce que signifient exactement ces interdictions, et il peut y en
+avoir plusieurs pages en petits caractères.</p>
+
+<p>Un brevet dure habituellement 20 ans, ce qui représente une durée
+relativement longue dans notre domaine. Il y a 20 ans, le World Wide Web
+n'existait pas – le secteur qui concentre aujourd'hui l'essentiel des usages
+de l'ordinateur n'existait pas il y a 20 ans. Et évidemment, si l'on compare
+avec l'informatique d'il y a 20 ans, tout ce que les gens y font est
+nouveau, au moins partiellement. Si des brevets avaient été déposés à
+l'époque, nous n'aurions pas le droit de faire toutes ces choses que nous
+faisons aujourd'hui ; elles pourraient toutes nous être interdites, dans les
+pays qui ont été suffisamment stupides pour mettre en place ce système.</p>
+
+<p>La plupart du temps, ceux qui décrivent le fonctionnement du système de
+brevets sont aussi ceux qui en tirent profit. Qu'il s'agisse d'avocats
+spécialisés dans le droit des brevets, ou de personnes travaillant pour
+l'Office des brevets ou pour une mégacorporation, ils veulent vous
+convaincre que ce système est bon.</p>
+
+<p><cite>The Economist</cite> a un jour décrit le système de brevets comme
+« une loterie chronophage ». Si vous avez déjà vu une publicité pour une
+loterie, vous comprenez comment ça marche : ils s'attardent sur les infimes
+chances de gain, et ils passent sous silence l'immense probabilité de
+perdre. De cette manière, ils donnent systématiquement une représentation
+faussée de la réalité, sans pour autant mentir explicitement.</p>
+
+<p>Il en va de même pour le discours sur le système de brevets : on vous parle
+de ce qui se passe lorsque vous avez un brevet en poche, et que de temps en
+temps vous pouvez le mettre sous le nez de quelqu'un en lui disant :
+« File-moi ton argent. »</p>
+
+<p>Pour rectifier cette distorsion, je vais vous décrire l'envers du décor, le
+point de vue de la victime – ce qui se passe pour ceux qui veulent
+développer, publier ou utiliser un logiciel. Vous vivez dans la crainte
+qu'un jour quelqu'un vienne vous brandir un brevet sous le nez en disant :
+« File-moi ton argent. »</p>
+
+<p>Si vous voulez développer des logiciels dans un pays qui reconnaît les
+brevets logiciels et que vous souhaitez respecter le droit des brevets, que
+devez-vous faire ?</p>
+
+<p>Vous pourriez tenter de faire une liste de toutes les idées qu'on peut
+trouver dans le programme que vous allez écrire. Mais évidemment, lorsque
+vous commencez juste à écrire le programme, vous n'avez aucune idée de ce
+qui va y figurer. Et même après avoir terminé le programme, vous seriez bien
+incapable de dresser une telle liste.</p>
+
+<p>Cela tient au fait que vous avez conçu le programme avec une approche bien
+spécifique. Votre approche est déterminée par votre structure mentale, et de
+ce fait vous n'êtes pas capable de percevoir les structures mentales qui
+permettraient à d'autres personnes de comprendre le même programme ; il vous
+manque un œil neuf. Vous avez conçu le programme avec une structure
+spécifique à l'esprit ; quelqu'un d'autre qui découvre le programme pourrait
+l'aborder avec une structure différente, reposant sur d'autres idées, et
+vous n'êtes pas en mesure de dire quelles pourraient être ces idées. Il n'en
+reste pas moins que ces idées sont mises en œuvre dans votre programme, et
+que si l'une d'entre elles est brevetée, votre programme peut être interdit.</p>
+
+<p>Imaginons par exemple qu'il existe des brevets sur les idées graphiques et
+que vous vouliez dessiner un carré. Il est facile de comprendre que s'il
+existe un brevet sur les traits horizontaux, vous ne pouvez pas dessiner un
+carré. Le trait horizontal fait partie des idées mises en œuvre dans votre
+dessin. Mais vous n'avez peut-être pas pensé au fait que quelqu'un avec un
+brevet sur les coins pointant vers le bas peut aussi vous poursuivre, parce
+qu'il peut prendre votre dessin et le tourner de 45 degrés. Et maintenant,
+votre carré a un coin vers le bas.</p>
+
+<p>Vous ne pourrez donc jamais faire une liste de toutes les idées qui, si
+elles étaient brevetées, vous empêcheraient de réaliser votre programme.</p>
+
+<p>Ce que vous pouvez faire, c'est tenter de lister toutes les idées déjà
+brevetées qui pourraient figurer dans votre programme. En fait non, vous ne
+pouvez pas, car les demandes de brevets sont gardées secrètes pendant au
+moins 18 mois, il est donc possible qu'un brevet ait été déposé à l'Office
+des brevets sans que personne n'en sache rien. Et il ne s'agit pas d'une
+hypothèse théorique.</p>
+
+<p>Par exemple, en 1984 a été écrit <cite>compress</cite>, un programme
+permettant de compresser des fichiers en utilisant l'algorithme de
+compression de données <abbr title="Lempel-Ziv-Welch">LZW</abbr>. À
+l'époque, il n'y avait pas de brevet sur cet algorithme de
+compression. L'auteur du programme avait récupéré l'algorithme dans un
+article de revue. C'était l'époque où nous pensions encore que les revues de
+recherche informatique servaient à publier des algorithmes pour que tout le
+monde puisse les utiliser.</p>
+
+<p>Il a écrit ce programme, l'a publié, et en 1985 un brevet a été accordé pour
+cet algorithme. Le titulaire du brevet a été malin, il n'est pas allé tout
+de suite voir les gens pour leur dire de cesser d'utiliser le brevet. Il
+s'est dit : « Laissons-les creuser leur tombe un peu plus. » Quelques années
+plus tard, il a commencé à menacer les gens. Il est devenu évident que nous
+ne pouvions plus utiliser <cite>compress</cite>, j'ai donc demandé à tout le
+monde de proposer d'autres algorithmes que nous pourrions utiliser pour
+compresser des fichiers.</p>
+
+<p>Quelqu'un m'a écrit pour me dire : « J'ai conçu un autre algorithme de
+compression qui marche encore mieux, j'ai écrit un programme, j'aimerais
+t'en faire cadeau. » Une semaine avant de le publier, je tombe sur la
+rubrique « brevets » du <cite>New York Times</cite>, que je consulte
+rarement – je ne la regarde pas plus de deux fois par an – et je peux y lire
+que quelqu'un a obtenu un brevet pour une « nouvelle méthode de compression
+des données ». Je me suis donc dit qu'il valait mieux vérifier, et en effet
+le brevet prohibait le programme que nous nous apprêtions à publier. Mais
+cela aurait pu être pire : le brevet aurait pu être accordé un an plus tard,
+ou deux, ou trois, ou cinq.</p>
+
+<p>Toujours est-il que quelqu'un a fini par trouver un algorithme de
+compression encore meilleur, qui a servi pour le programme
+<cite>gzip</cite>, et tous ceux qui avaient besoin de compresser des
+fichiers sont passés à <cite>gzip</cite>. Ça pourrait ressembler à un happy
+end, mais comme je vous l'expliquerai tout à l'heure, tout n'est pas si
+parfait.</p>
+
+<p>Il n'est donc pas possible de savoir quels sont les brevets en cours
+d'examen, même si l'un d'eux peut entraîner l'interdiction de votre travail
+lorsqu'il sera publié. Mais il est toutefois possible de connaître les
+brevets déjà attribués. Ils sont tous publiés par l'Office des brevets. Le
+seul problème, c'est que vous ne pourrez jamais les lire tous, il y en a
+beaucoup trop.</p>
+
+<p>Il doit y avoir des centaines de milliers de brevets logiciels aux
+États-Unis, les suivre tous constituerait une tâche écrasante. Vous allez
+donc devoir vous restreindre aux brevets pertinents. Et vous allez sans
+doute trouver de très nombreux brevets pertinents. Mais rien ne dit que vous
+allez les trouver tous.</p>
+
+<p>Par exemple, dans les années 80 et 90, il existait un brevet sur le
+« recalcul dans l'ordre naturel » dans les tableurs. Quelqu'un m'en a
+demandé une copie un jour, j'ai donc regardé dans notre fichier qui liste
+les numéros de brevets. Puis j'ai ouvert le tiroir correspondant, j'ai
+récupéré la version papier du brevet, et je l'ai photocopiée pour la lui
+envoyer. Quand il l'a reçue, il m'a dit : « Je pense que tu t'es trompé de
+brevet, tu m'as envoyé un truc concernant les compilateurs. » Je me suis dit
+que peut-être le numéro de brevet était faux. J'ai vérifié, et de manière
+surprenante il faisait référence à une « méthode pour compiler des formules
+en code objet ». J'ai commencé à lire, pour voir s'il s'agissait du bon
+brevet. J'ai lu les revendications, et il s'agissait bien du brevet sur le
+recalcul dans l'ordre naturel, mais il n'utilisait jamais ce terme. Il
+n'utilisait jamais le mot « tableur ». En fait, ce que le brevet
+interdisait, c'était une douzaine de manières différentes d'implémenter un
+tri topologique – toutes les manières auxquelles ils avaient pu penser. Mais
+le terme « tri topologique » n'était pas utilisé.</p>
+
+<p>Donc, si vous étiez par exemple en train de développer un tableur et que
+vous ayez recherché les brevets pertinents, vous en auriez sans doute trouvé
+un certain nombre, mais pas celui-ci. Jusqu'à ce qu'un jour, au cours d'une
+conversation, vous disiez « Oh, je travaille sur un tableur », et que la
+personne vous réponde « Ah bon ? Tu es au courant que plusieurs autres
+entreprises qui font des tableurs sont en procès ? » C'est à ce moment-là
+que vous l'auriez découvert.</p>
+
+<p>Certes, il est impossible de trouver tous les brevets en cherchant, mais on
+peut en trouver un bon nombre. Encore faut-il comprendre ce qu'ils veulent
+dire, ce qui n'a rien d'évident, car les brevets sont écrits dans un langage
+obscur dont il est difficile de saisir le véritable sens. Il va donc falloir
+passer beaucoup de temps à discuter avec un avocat hors de prix, à expliquer
+ce que vous voulez faire, afin que l'avocat puisse vous dire si vous avez le
+droit ou non.</p>
+
+<p>Les détenteurs de brevets eux-mêmes sont bien souvent incapables de savoir
+ce que recouvrent leurs brevets. Par exemple, un certain Paul Heckel a conçu
+un programme pour afficher beaucoup de données sur un petit écran, et en
+s'appuyant sur une paire d'idées utilisées dans ce programme, il a obtenu
+deux brevets.</p>
+
+<p>J'ai essayé un jour de trouver une manière simple d'exprimer ce que
+recouvrait la revendication numéro 1 de l'un de ces brevets. Je me suis
+rendu compte que je ne pouvais trouver d'autre formulation que celle du
+brevet lui-même. Or, j'avais beau tenter, il m'était impossible de me mettre
+cette formulation entièrement en tête.</p>
+
+<p>Heckel non plus n'arrivait pas à suivre. Lorsqu'il a découvert HyperCard, il
+n'y a vu qu'un programme très différent du sien. Il ne s'est pas rendu
+compte que la formulation utilisée dans son propre brevet pouvait lui
+permettre d'interdire HyperCard. Mais ça n'a pas échappé à son avocat. Il a
+donc menacé Apple de poursuites. Puis il a menacé les clients d'Apple. Et
+finalement, Apple a conclu un arrangement avec lui, et comme cet arrangement
+est secret, il nous est impossible de savoir qui a vraiment gagné. Ceci est
+juste un exemple parmi d'autres de la difficulté à comprendre ce qu'un
+brevet interdit ou non.</p>
+
+<p>Lors d'une de mes précédentes conférences sur ce sujet, il se trouve
+qu'Heckel était présent dans le public. Arrivé à ce point de la conférence,
+il a bondi en s'écriant : « Tout ceci est faux ! C'est juste que j'ignorais
+l'étendue de ma protection. » Ce à quoi j'ai répondu : « Oui, c'est
+exactement ce que j'ai dit. » Il s'est rassis, mais si j'avais répondu non
+il aurait sans doute trouvé moyen de continuer la dispute.</p>
+
+<p>Toujours est-il que si vous consultez un avocat, à l'issue d'une longue et
+coûteuse conversation il vous répondra sans doute quelque chose du genre :</p>
+
+<blockquote><p>Si vous faites quelque chose dans ce domaine-ci, vous êtes presque certain
+de perdre un procès, si vous faites quelque chose dans ce domaine-là, il y a
+une chance considérable de perdre un procès, et si vous voulez vraiment vous
+mettre à l'abri, ne touchez pas à tel et tel domaine. Ceci dit, en cas de
+procès, l'issue est largement aléatoire.</p></blockquote>
+
+<p>Alors, maintenant que vous avez des règles claires et prévisibles pour
+conduire vos affaires, que pouvez-vous vraiment faire ? En définitive, face
+à un brevet, il n'y a que trois actions possibles : soit vous l'évitez, soit
+vous obtenez une licence, soit vous le faites annuler. Je vais aborder ces
+points un par un.</p>
+
+<p>Tout d'abord, il y a la possibilité d'éviter le brevet, ce qui signifie en
+clair : ne pas mettre en œuvre ce qu'il interdit. Bien sûr, comme il est
+difficile de dire ce qu'il interdit, il sera presque impossible de
+déterminer ce qu'il faut faire pour l'éviter.</p>
+
+<p>Il y a quelques années, Kodak poursuivit Sun pour infraction à l'un de ses
+brevets relatifs à la programmation orientée objet, et Sun contesta cette
+infraction. Le tribunal finit par trancher qu'il y avait bel et bien
+infraction. Mais lorsqu'on examine le brevet, il est totalement impossible
+de dire si cette décision est fondée ou non. Personne ne peut vraiment dire
+ce que le brevet recouvre, mais Sun a quand même dû payer des centaines de
+millions de dollars pour avoir enfreint une règle complètement
+incompréhensible.</p>
+
+<p>Parfois, cependant, il est possible de déterminer ce qui est interdit. Et il
+peut d'agir d'un algorithme.</p>
+
+<p>J'ai ainsi vu un brevet sur quelque chose ressemblant à la « transformée de
+Fourier rapide », mais deux fois plus rapide. Si la TFR classique est
+suffisamment rapide pour vos besoins, vous pouvez facilement vous passer de
+ce brevet. La plupart du temps il n'y aura donc pas de problème. Mais il se
+peut qu'à l'occasion, vous souhaitiez faire un programme qui utilise
+constamment des TFR et qui ne peut fonctionner qu'en utilisant l'algorithme
+le plus rapide. Là, vous ne pouvez pas l'éviter, ou alors vous pourriez
+attendre quelques années que les ordinateurs soient plus puissants. Mais
+bon, l'hypothèse reste exceptionnelle. La plupart du temps il est facile
+d'esquiver ce type de brevet.</p>
+
+<p>Parfois, en revanche, il est impossible de contourner un brevet sur un
+algorithme. Prenez par exemple l'algorithme de compression de données
+LZW. Comme je vous l'ai dit, nous avons fini par trouver un meilleur
+algorithme de compression, et tous ceux qui veulent compresser des fichiers
+se sont mis à utiliser le programme <cite>gzip</cite> qui repose sur ce
+meilleur algorithme. Si vous voulez juste compresser un fichier et le
+décompresser plus tard, vous pouvez indiquer aux gens qu'ils doivent
+utiliser tel ou tel programme pour le décompresser ; au final vous pouvez
+utiliser n'importe quel programme basé sur n'importe quel algorithme, la
+seule chose qui vous importe c'est qu'il soit efficace</p>
+
+<p>Mais LZW sert aussi à d'autres choses. Par exemple, le langage PostScript
+fait appel à des opérateurs de compression et de décompression LZW. Il
+serait inutile de faire appel à un autre algorithme, même plus efficace, car
+le format de données ne serait plus le même. Ces algorithmes ne sont pas
+interopérables. Si vous compressez avec l'algorithme utilisé dans
+<cite>gzip</cite>, vous ne pouvez pas décompresser avec LZW. En définitive,
+quel que soit votre algorithme et quelle que soit son efficacité, si ce
+n'est pas LZW, vous ne pourrez pas implémenter PostScript conformément aux
+spécifications.</p>
+
+<p>Mais j'ai remarqué que les utilisateurs demandent rarement à leur imprimante
+de compresser des choses. En général, ils veulent seulement que leur
+imprimante soit capable de décompresser. Et j'ai aussi remarqué que les deux
+brevets sur l'algorithme LZW sont écrits de telle manière que si votre
+système ne fait que décompresser, alors ce n'est pas interdit. Ces brevets
+ont été formulés de manière à couvrir la compression et ils contiennent des
+revendications portant sur la compression et la décompression, mais aucune
+revendication ne couvre la seule décompression. Je me suis donc rendu compte
+que si nous implémentions juste la décompression LZW, nous serions à
+l'abri. Et, bien que cela ne corresponde pas aux spécifications, cela
+répondrait largement aux besoins des utilisateurs. C'est ainsi que nous nous
+sommes faufilés entre les deux brevets.</p>
+
+<p>Il y a aussi le format GIF, pour les images. Il fait également appel à
+l'algorithme LZW. Il n'a pas fallu longtemps pour que les gens élaborent un
+autre format de fichier, du nom de PNG, ce qui signifie « PNG N'est pas
+GIF ». Je crois qu'il utilise l'algorithme <cite>gzip</cite>. Et nous avons
+commencé à dire à tout le monde : « N'utilisez pas le format GIF, c'est
+dangereux. Passez à PNG. » Et les utilisateurs nous ont dit : « D'accord, on
+y pensera, mais pour l'instant les navigateurs ne l'implémentent pas. » Ce à
+quoi les développeurs de navigateurs ont répondu : « On l'implémentera un
+jour, mais pour l'instant il n'y a pas de demande forte de la part des
+utilisateurs. »</p>
+
+<p>Il est facile de comprendre ce qui s'était passé : GIF était devenu un
+standard de fait. En pratique, demander aux gens d'abandonner leur standard
+de fait en faveur d'un autre format revient à demander à tout le monde en
+Nouvelle-Zélande de parler hongrois. Les gens vont vous dire : « Pas de
+problème, je m'y mets dès que tout le monde le parle. » Et au final nous ne
+sommes jamais parvenus à convaincre les gens d'arrêter d'utiliser GIF, en
+dépit du fait que l'un des détenteurs de brevets passe son temps à faire le
+tour des administrateurs de sites web en les menaçant de poursuites s'ils ne
+peuvent prouver que tous les GIF du site ont été réalisés avec un programme
+sous licence.</p>
+
+<p>GIF était donc un piège dangereux menaçant une large part de notre
+communauté. Nous pensions avoir trouvé une alternative au format GIF, à
+savoir JPEG, mais quelqu'un – je crois qu'il s'agissait d'une personne ayant
+tout juste acheté des brevets dans le but d'exercer des menaces – nous a
+dit : « En regardant mon portefeuille de brevets, j'en ai trouvé un qui
+couvre le format JPEG. »</p>
+
+<p>JPEG n'était pas un standard de fait. Il s'agissait d'un standard officiel,
+élaboré par un organisme de standardisation. Et cet organisme avait lui
+aussi un avocat, qui a dit qu'il ne pensait pas que le brevet couvre le
+format JPEG.</p>
+
+<p>Alors, qui a raison ? Eh bien, le titulaire du brevet a poursuivi un groupe
+de sociétés, et s'il y avait eu une décision, on aurait pu savoir ce qu'il
+en était. Mais je n'ai jamais entendu parler de décision et je ne suis pas
+sûr qu'il y en ait jamais eu. Je pense qu'ils ont conclu un règlement
+amiable, et ce règlement est probablement secret, ce qui signifie que nous
+ne saurons jamais qui avait raison.</p>
+
+<p>Les cas dont j'ai parlé ici sont relativement modestes : un seul brevet en
+ce qui concerne JPEG, deux pour l'algorithme LZW utilisé pour GIF. Vous vous
+demandez peut-être pourquoi il y avait deux brevets sur le même
+algorithme. Normalement, cela n'est pas possible, pourtant c'est
+arrivé. Cela tient au fait que les examinateurs de brevets n'ont pas le
+temps d'étudier et de comparer tout ce qui devrait l'être, parce que les
+délais sont très courts. Et comme les algorithmes ne sont au final que des
+mathématiques, il est impossible de limiter le choix de brevets et de
+demandes de brevets à comparer.</p>
+
+<p>Vous voyez, dans le domaine industriel, ils peuvent se référer à ce qui se
+passe réellement dans le monde physique pour circonscrire les choses. Par
+exemple dans le domaine de l'ingénierie chimique, on peut se demander :
+« Quelles sont les substances utilisées ? Quels sont les produits
+obtenus ? » Si deux demandes de brevets diffèrent sur ce point, il s'agit
+donc de deux inventions différentes et il n'y a pas de problème. Mais en
+mathématiques, des choses identiques peuvent être présentées de manières
+très différentes, et à moins de les comparer en détail vous ne vous rendrez
+jamais compte qu'il s'agit d'une seule et même chose. Et, de ce fait, il
+n'est pas rare de voir la même chose être brevetée à plusieurs reprises dans
+le domaine du logiciel.</p>
+
+<p>Vous vous souvenez de l'histoire de ce programme qui a été tué par un brevet
+avant même que nous ne l'ayons publié ? Eh bien, cet algorithme était
+également breveté deux fois. Donc, dans un domaine extrêmement réduit, nous
+avons déjà vu ce phénomène se produire à plusieurs reprises. Je pense vous
+avoir expliqué pourquoi.</p>
+
+<p>Mais un ou deux brevets constituent une situation plutôt simple. Prenons
+MPEG-2, le format vidéo. J'ai vu une liste de plus de 70 brevets couvrant ce
+format, et les négociations pour permettre à quelqu'un d'obtenir une licence
+ont pris plus de temps que le développement du standard lui-même. Le comité
+JPEG voulait développer un nouveau standard plus moderne, ils ont fini par
+abandonner. Ce n'est pas faisable, ont-ils dit. Il y a trop de brevets.</p>
+
+<p>Parfois, c'est carrément une fonctionnalité qui est brevetée, et la seule
+façon d'éviter le brevet consiste à ne pas implémenter cette
+fonctionnalité. Ainsi, les utilisateurs du logiciel de traitement de texte
+XyWrite ont une fois reçu par la poste une mise à jour supprimant une
+fonctionnalité. Il s'agissait de la possibilité de définir une liste
+d'abréviations. Par exemple, si vous définissiez qu'« exp » était
+l'abréviation d'« expérience », il suffisait de taper « exp-espace », ou
+« exp-virgule », pour qu'« exp » soit automatiquement remplacé par
+« expérience ».</p>
+
+<p>Mais quelqu'un disposant d'un brevet sur cette fonctionnalité les a menacés,
+et ils ont conclu que la seule solution consistait à retirer cette
+fonctionnalité. Et ils ont envoyé à tous les utilisateurs une mise à jour la
+retirant.</p>
+
+<p>Mais ils m'ont également contacté, car mon éditeur de texte Emacs proposait
+ce type de fonctionnalité depuis la fin des années 70. Et comme elle était
+décrite dans le manuel d'Emacs, ils espéraient que je pourrais les aider à
+faire tomber ce brevet. Je suis heureux de savoir que j'ai eu au moins une
+fois dans ma vie une idée qui soit brevetable, je regrette juste que ce soit
+quelqu'un d'autre qui l'ait brevetée.</p>
+
+<p>Par chance, ce brevet fut finalement invalidé, en partie grâce au fait que
+j'avais publiquement annoncé un usage antérieur de cette
+fonctionnalité. Mais en attendant, ils ont dû retirer la fonctionnalité.</p>
+
+<p>Retirer une ou deux fonctionnalités, ce n'est pas une catastrophe. Mais
+quand il s'agit de 50 fonctionnalités, les gens vont finir par dire : « Ce
+programme n'est pas bon, il lui manque toutes les fonctionnalités qui
+m'intéressent. » Ce n'est donc pas une solution viable. Et parfois un brevet
+est si général qu'il balaie un champ entier, comme le brevet sur le
+chiffrement à clé publique, qui interdit de fait tout chiffrement à clé
+publique pendant 10 ans.</p>
+
+<p>Voilà pour la possibilité d'esquiver un brevet. C'est souvent possible, mais
+pas toujours, et il y a une limite au nombre de brevets qu'il est possible
+d'éviter.</p>
+
+<p>Qu'en est-il de la deuxième solution, obtenir une licence pour le brevet ?</p>
+
+<p>Le titulaire du brevet n'est pas tenu de vous accorder une licence. Cela ne
+dépend que de lui. Il peut très bien dire : « Je veux juste vous couler. »
+Une fois, j'ai reçu une lettre de quelqu'un dont l'entreprise familiale
+avait pour activité la création de jeux de casino, qui étaient bien sûr
+informatisés, et il avait été menacé par un titulaire de brevet qui voulait
+lui faire mettre la clé sous la porte. Il m'a envoyé le brevet. La
+revendication numéro 1 ressemblait à quelque chose du genre « un réseau de
+plusieurs ordinateurs contenant chacun plusieurs jeux et qui permet
+plusieurs parties simultanément ».</p>
+
+<p>Je suis à peu près sûr que dans les années 80, il existait une université
+avec des stations de travail en réseau, dotées d'un quelconque système de
+fenêtrage. Il aurait suffi qu'ils installent plusieurs jeux pour qu'il soit
+possible d'afficher plusieurs parties simultanément. Il s'agit de quelque
+chose de tellement trivial et inintéressant que jamais personne ne se serait
+donné la peine d'écrire un article à ce sujet. Ce n'était pas assez
+intéressant pour constituer un article, mais ça l'était suffisamment pour
+constituer un brevet. Si vous avez compris que vous pouvez obtenir un
+monopole sur cette opération triviale, vous pouvez faire fermer vos
+concurrents.</p>
+
+<p>Mais pourquoi est-ce que l'Office des brevets accorde tant de brevets qui
+nous semblent absurdes et triviaux ?</p>
+
+<p>Ce n'est pas parce que les examinateurs de brevets sont stupides. C'est
+parce qu'ils suivent un processus, que ce processus est régi par des règles,
+et que ces règles aboutissent à ce résultat.</p>
+
+<p>Vous voyez, si quelqu'un a construit une machine qui fait quelque chose une
+seule fois et que quelqu'un d'autre construit une machine qui fait la même
+chose, mais N fois, pour nous il s'agit juste d'une boucle <code>for</code>,
+mais pour l'Office des brevets il s'agit d'une invention. S'il y a des
+machines qui peuvent faire A et des machines qui peuvent faire B, et que
+quelqu'un conçoit une machine qui peut faire A ou B, pour nous il s'agit
+d'une condition <code>if-then-else</code> (si-alors-sinon), mais pour
+l'Office des brevets, il s'agit d'une invention. Ils ont des conditions très
+peu restrictives et ils s'en tiennent à ces conditions, et il en découle des
+brevets qui, pour nous, semblent absurdes et triviaux. Qu'ils soient
+juridiquement valides, je n'en sais rien. Mais n'importe quel programmeur
+rigole en les voyant.</p>
+
+<p>Toujours est-il que je n'ai rien pu lui proposer pour se défendre, il a donc
+dû fermer boutique. Mais la plupart des détenteurs de brevets vous
+proposeront une licence, qui est susceptible de vous coûter très cher.</p>
+
+<p>Cependant certains développeurs de logiciels n'ont pas grand mal à obtenir
+des licences, la plupart du temps. Il s'agit des mégacorporations. Quel que
+soit le domaine, elles possèdent en général la moitié des brevets,
+s'accordent entre elles des licences croisées et peuvent contraindre qui que
+ce soit d'autre à leur accorder des licences croisées. Au final, elles
+obtiennent sans trop de mal des licences pour quasiment tous les brevets.</p>
+
+<p>IBM a écrit un article à ce sujet dans son magazine interne,
+<cite>Think</cite> – dans le numéro 5 de 1990, je crois – décrivant les
+avantages qu'IBM tirait de son portefeuille de près de 9 000 brevets
+américains (c'était à l'époque, maintenant ils en ont plus de 45 000). L'un
+de ces avantages, disaient-ils, est qu'ils en tiraient des revenus, mais ils
+soulignaient que le principal avantage – d'un ordre de grandeur supérieur –
+était « l'accès aux brevets des autres », par le biais des licences
+croisées.</p>
+
+<p>Cela veut dire que puisque qu'IBM, avec sa pléthore de brevets, peut
+contraindre n'importe qui à lui accorder des licences croisées, cette
+entreprise échappe à tous les problèmes que le système de brevets cause à
+toutes les autres. Et c'est pour cela qu'IBM est favorable aux brevets
+logiciels. C'est pour cela que les mégacorporations sont dans leur ensemble
+favorables aux brevets logiciels : parce qu'elles savent que, par le jeu des
+licences croisées, elles feront partie d'un petit club très fermé assis au
+sommet de la montagne. Et nous, nous serons tout en bas et il n'y aura aucun
+moyen de grimper. Vous savez, si vous êtes un génie, vous pouvez fonder
+votre petite entreprise et obtenir quelques brevets, mais vous ne jouerez
+jamais dans la même catégorie qu'IBM, quels que soient vos efforts.</p>
+
+<p>Beaucoup d'entreprises disent à leurs salariés : « Décrochez-nous des
+brevets, c'est juste pour que nous puissions nous défendre. » Et ce qu'elles
+veulent dire, c'est : « Nous les utiliserons pour obtenir des licences
+croisées. » Mais en fait ça ne marche pas. Ce n'est pas une stratégie
+efficace si vous n'avez qu'un petit nombre de brevets.</p>
+
+<p>Imaginons par exemple que vous ayez trois brevets. L'un concerne ceci,
+l'autre concerne cela et le dernier cela, et soudain quelqu'un vous brandit
+son brevet sous le nez. Vos trois brevets ne vont servir à rien, car aucun
+d'entre eux ne concerne cette personne. En revanche, tôt ou tard, quelqu'un
+dans votre entreprise va se rendre compte que votre brevet concerne d'autres
+entreprises, et va l'utiliser pour les menacer et leur extorquer de
+l'argent, quand bien même ces entreprises n'ont pas attaqué la vôtre.</p>
+
+<p>Donc, si votre employeur vous dit « Nous avons besoin de brevets pour nous
+défendre, aidez-nous à en obtenir », je vous conseille de répondre ceci :</p>
+
+<blockquote><p>Chef, je vous fais confiance et je suis certain que vous n'utiliserez ces
+brevets que pour défendre l'entreprise en cas d'attaque. Mais je ne sais pas
+qui sera à la tête de l'entreprise dans 5 ans. Pour autant que je sache,
+elle peut se faire racheter par Microsoft. Je ne peux donc pas compter sur
+la promesse de l'entreprise de n'utiliser ces brevets que de manière
+défensive, sauf si elle s'engage par écrit. Commencez par vous engager par
+écrit à ce que tout brevet que je fournis à l'entreprise ne soit utilisé
+qu'en cas de légitime défense et jamais de manière agressive, et alors je
+serai en mesure d'apporter des brevets à l'entreprise en ayant la conscience
+tranquille.</p></blockquote>
+
+<p>Il serait intéressant d'aborder ce problème sur la liste de diffusion de
+l'entreprise, et pas seulement en privé avec votre patron.</p>
+
+<p>L'autre chose qui peut arriver, c'est que la société fasse faillite, que ses
+actifs soient liquidés, brevets compris, et que ces brevets soient rachetés
+par quelqu'un qui les utilise à des fins peu scrupuleuses.</p>
+
+<p>Il est fondamental de comprendre cette pratique des licences croisées, car
+c'est elle qui permet de détruire l'argument des promoteurs du brevet
+logiciel selon lequel les brevets sont nécessaires pour protéger les pauvres
+petits génies. Ils vous présentent une histoire cousue d’invraisemblances.</p>
+
+<p>Jetons-y un œil. Dans leur histoire, un brillant concepteur de
+ce-que-vous-voulez, qui a travaillé des années tout seul dans son grenier, a
+découvert une meilleure technique pour faire un-truc-important. Et
+maintenant que cette technique est au point, il veut se lancer dans les
+affaires et produire ce-truc-important en série, et comme son idée est
+géniale, son entreprise va forcément réussir. Problème : les grandes
+entreprises vont lui faire une concurrence acharnée et lui voler tout son
+marché. Et du coup, son entreprise va couler et il se retrouvera sur la
+paille.</p>
+
+<p>Examinons les hypothèses fantaisistes que l'on trouve ici.</p>
+
+<p>Tout d'abord, il est peu probable qu'il ait eu son idée géniale tout
+seul. Dans le domaine des hautes technologies, la plupart des innovations
+reposent sur une équipe travaillant dans un même domaine et échangeant avec
+des gens de ce domaine. Mais pour autant, ce n'est pas impossible en soi.</p>
+
+<p>L'hypothèse suivante est qu'il va se lancer dans les affaires et qu'elles
+vont bien marcher. Le fait qu'il soit un ingénieur brillant n'implique en
+rien que ce soit un bon homme d'affaire. La plupart des entreprises – 95%,
+je crois – font faillite au cours des premières années. Donc peu importe le
+reste, c'est ce qui risque de lui arriver.</p>
+
+<p>Bon, mais imaginons qu'en plus d'être un ingénieur brillant, qui a découvert
+quelque chose de génial tout seul dans son coin, ce soit aussi un homme
+d'affaire de génie. S'il est doué pour les affaires, son entreprise s'en
+sortira peut-être. Après tout, toutes les nouvelles entreprises ne coulent
+pas, un certain nombre prospèrent. S'il a le sens des affaires, peut-être
+qu'au lieu d'affronter les grandes entreprises sur leur terrain, il tentera
+de se placer là où les petites entreprises sont plus performantes et peuvent
+réussir. Il y parviendra peut-être. Mais supposons qu'il finisse par
+échouer. S'il est vraiment brillant et qu'il est doué pour les affaires, je
+suis certain qu'il ne mourra pas de faim, parce que quelqu'un voudra
+l'embaucher.</p>
+
+<p>Tout ceci ne tient pas debout. Mais poursuivons.</p>
+
+<p>On arrive au moment où le système de brevets va « protéger » notre pauvre
+petit génie, parce qu'il va pouvoir breveter sa technique. Et quand IBM va
+venir lui faire concurrence, il va dire : « IBM, vous n'avez pas le droit de
+me faire concurrence, j'ai un brevet. » Et IBM va dire : « Oh non, encore un
+brevet ! »</p>
+
+<p>Voilà ce qui va vraiment se passer :</p>
+
+<p>IBM va dire : « Oh, comme c'est mignon, vous avez un brevet. Eh bien nous,
+nous avons celui-ci, et celui-ci, et celui-ci, et celui-ci, et ils couvrent
+tous d'autres idées implémentées dans votre produit, et si vous pensez que
+vous pouvez vous battre avec nous sur tous ceux-là, nous en sortirons
+d'autres. Donc, nous allons signer un accord de licences croisées et
+personne ne sera lésé. » Comme notre génie est doué pour les affaires, il va
+vite se rendre compte qu'il n'a pas le choix. Il va signer un accord de
+licences croisées, comme le font tous ceux de qui IBM l'exige. Ce qui veut
+dire qu'IBM va avoir « accès » à son brevet et pourra donc lui faire
+librement concurrence comme si le brevet n'existait pas, ce qui signifie au
+final que l'hypothétique protection dont il bénéficie au travers de son
+brevet n'est qu'un leurre. Il ne pourra jamais en bénéficier.</p>
+
+<p>Le brevet le « protégera » peut-être de concurrents comme vous et moi, mais
+pas d'IBM, pas des mégacorporations qui, dans la fable, sont justement
+celles qui le menacent. De toute façon, lorsque des mégacorporations
+envoient leurs lobbyistes défendre une législation qui est censée protéger
+leurs petits concurrents contre leur influence, on peut être sûr que
+l'argumentation va être biaisée. Si c'était vraiment ce qui allait se
+passer, elles seraient contre. Mais ça permet de comprendre pourquoi les
+brevets logiciels ne marchent pas.</p>
+
+<p>Même IBM ne peut pas toujours se comporter ainsi. Certaines entreprises, que
+l'on appelle parfois des « trolls des brevets », ont pour seul modèle
+économique d'utiliser les brevets pour soutirer de l'argent à ceux qui
+produisent réellement quelque chose.</p>
+
+<p>Les avocats spécialisés en droit des brevets nous expliquent à quel point il
+est merveilleux que notre domaine ait des brevets. Mais il n'y a pas de
+brevet dans le leur. Il n'y a pas de brevet sur la manière d'envoyer ou de
+rédiger une lettre de menaces, pas de brevet sur comment intenter un procès,
+pas de brevet sur comment convaincre un juge ou un jury. Ainsi donc, même
+IBM ne peut contraindre un troll des brevets à accepter des licences
+croisées. Mais IBM se dit : « Nos concurrents vont devoir payer eux aussi,
+cela fait partie des charges incompressibles, on peut s'en accommoder. » IBM
+et les autres mégacorporations considèrent que la suprématie qu'elles
+retirent de leurs brevets sur l'ensemble de leur activité vaut bien d'avoir
+à payer quelques parasites. C'est pour cela qu'elles défendent les brevets
+logiciels.</p>
+
+<p>Il existe aussi certains développeurs de logiciels qui ont beaucoup de mal à
+obtenir des licences, ce sont les développeurs de logiciels libres. Cela
+tient au fait que les licences contiennent généralement des conditions que
+nous sommes dans l'impossibilité de remplir, comme le paiement pour chaque
+exemplaire distribué. Lorsque les utilisateurs sont libres de copier le
+logiciel et de distribuer les copies, personne ne peut connaître le nombre
+de copies en circulation.</p>
+
+<p>Si quelqu'un me propose une licence pour un brevet au prix d'un millionième
+de dollar par exemplaire distribué, il se peut que j'aie de quoi payer. Mais
+je n'ai aucun moyen de savoir si cela représente 50 dollars, ou 49, ou un
+autre montant, car je n'ai aucun moyen de compter le nombre de copies que
+les gens ont faites.</p>
+
+<p>Un titulaire de brevet n'est pas obligé de demander le paiement en fonction
+du nombre d'exemplaires distribués. Il peut très bien proposer une licence
+pour un montant fixe, mais ce montant a tendance à être très élevé, du type
+100 000 $.</p>
+
+<p>Or, si nous avons pu développer tant de logiciels respectueux des libertés,
+c'est parce que nous pouvons développer des logiciels sans argent. Mais nous
+ne pouvons pas payer sans argent. Si nous sommes obligés de payer pour avoir
+le privilège d'écrire des logiciels pour le public, nous risquons de ne pas
+en faire beaucoup.</p>
+
+<p>Voilà pour la possibilité d'obtenir une licence pour un brevet. La dernière
+solution consiste à faire annuler le brevet. Si le pays reconnaît les
+brevets logiciels et les autorise, la seule question est de savoir si tel ou
+tel brevet respecte bien les conditions de validité. Aller devant les juges
+ne sert à rien si vous n'avez pas un argument solide qui vous permettra de
+l'emporter.</p>
+
+<p>De quel argument peut-il s'agir ? Il faut apporter la preuve que, bien avant
+que le brevet ne soit déposé, d'autres personnes avaient eu la même idée. Et
+il faut trouver des preuves aujourd'hui qui montrent que l'idée était
+publique à l'époque. Ainsi, les dés ont été jetés des années plus tôt ;
+s'ils vous sont favorables et que vous êtes en mesure d'apporter cette
+preuve aujourd'hui, alors vous disposez d'un argument qui peut vous
+permettre de contester le brevet et d'obtenir son annulation. Ça peut
+marcher.</p>
+
+<p>Ce genre d'affaire peut coûter cher. De ce fait, un brevet probablement
+invalide constitue malgré tout un moyen de pression très efficace si vous
+n'avez pas beaucoup d'argent. Beaucoup de gens n'ont pas les moyens de
+défendre leurs droits. Ceux qui peuvent se le permettre constituent
+l'exception.</p>
+
+<p>Voilà les trois possibilités qui peuvent se présenter à vous, chaque fois
+qu'un brevet interdit quelque chose dans votre programme. Toutes ne sont pas
+toujours ouvertes, cela dépend de chaque cas particulier, et parfois aucune
+d'entre elles n'est envisageable. Lorsque cela se produit, votre projet est
+condamné.</p>
+
+<p>Mais dans la plupart des pays les avocats nous conseillent de « ne pas
+rechercher d'avance les brevets », la raison étant que les sanctions pour
+infraction à un brevet sont plus importantes s'il est établi que l'on avait
+connaissance de l'existence du brevet. Ce qu'ils nous disent, c'est :
+« Gardez les yeux fermés. N'essayez pas de vous renseigner sur les brevets,
+décidez de la conception de votre programme en aveugle, et priez. »</p>
+
+<p>Évidemment, vous ne marchez pas sur un brevet à chaque étape de la
+conception. Il ne va probablement rien vous arriver. Mais il y a tellement
+de pas à faire pour traverser le champ de mines qu'au final il est peu
+probable que vous y arriviez sans encombre. Et bien sûr, les titulaires de
+brevets ne se présentent pas tous au même moment, de sorte que vous ne
+pouvez jamais savoir combien il y en aura.</p>
+
+<p>Le titulaire du brevet sur le recalcul dans l'ordre naturel demandait 5% du
+montant brut de chaque tableur vendu. Il n'est pas inconcevable de payer
+quelques licences de ce type, mais que faire quand le titulaire de brevet
+n° 20 se présente et vous demande les 5 derniers pourcent ? Ou le titulaire
+du brevet n° 21 ?</p>
+
+<p>Les professionnels du secteur trouvent cette histoire amusante, mais
+absurde, car dans la réalité votre activité s'écroule bien avant d'en
+arriver là. Il suffit de deux ou trois licences de ce type pour couler votre
+entreprise. Vous n'arriveriez jamais à 20. Mais comme ils se présentent un
+par un, vous ne pourrez jamais savoir combien il y en aura.</p>
+
+<p>Les brevets logiciels sont un immense gâchis. Non seulement ils constituent
+une jungle pour les développeurs de logiciels, mais en plus ils restreignent
+la liberté de chaque utilisateur d'ordinateur, car chaque brevet logiciel
+restreint ce que vous pouvez faire avec un ordinateur.</p>
+
+<p>La situation est très différente de celle des brevets sur les moteurs de
+voiture, par exemple. Ces brevets n'affectent que les entreprises qui
+fabriquent des voitures, ils ne restreignent pas votre liberté ni la
+mienne. Mais les brevets logiciels touchent tous ceux qui utilisent un
+ordinateur. Il est donc impossible de les examiner sous un angle purement
+économique. Cette question ne peut pas être tranchée en termes purement
+économiques. Quelque chose de plus fondamental est en jeu.</p>
+
+<p>Mais même sur le plan purement économique, le système est contre-performant,
+car sa raison d'être originelle est de promouvoir l'innovation. L'idée était
+qu'en créant une incitation artificielle à rendre une idée publique, cela
+stimulerait l'innovation. Au final c'est exactement l'inverse qui se
+produit, car l'essentiel du travail de fabrication d'un logiciel n'est pas
+d'inventer des idées nouvelles, mais de mettre en œuvre, conjointement dans
+un seul programme, des milliers d'idées différentes. Et c'est ce que les
+brevets logiciels empêchent de faire, et en cela ils sont économiquement
+contre-performants.</p>
+
+<p>Il existe même des études économiques qui le prouvent, et qui montrent
+comment, dans un domaine où la plupart des innovations sont incrémentales,
+un système de brevets peut en réalité diminuer les investissements en
+recherche et développement. Et ils entravent l'innovation de bien d'autres
+manières. Donc, même si on laisse de côté le fait que les brevets logiciels
+sont injustes, même si l'on s'en tient à une approche purement économique,
+les brevets restent néfastes.</p>
+
+<p>Parfois, les gens nous répondent : « Les autres disciplines vivent avec les
+brevets depuis des décennies et elles s'y sont faites, pourquoi faudrait-il
+faire une exception pour vous ? »</p>
+
+<p>Cette question repose sur un présupposé absurde. Cela revient à dire
+« D'autres personnes ont un cancer, pourquoi pas vous ? » De mon point de
+vue, chaque fois qu'une personne évite un cancer, c'est une bonne chose,
+quel que soit le sort des autres. Cette question est absurde, parce qu'elle
+sous-entend qu'il faudrait que nous souffrions tous des dommages causés par
+les brevets.</p>
+
+<p>Mais elle contient implicitement une question qui, elle, est pertinente :
+« Existe-t-il des différences entre les disciplines telles qu'un bon système
+de brevets pour l'une peut être mauvais pour l'autre ? »</p>
+
+<p>Or il existe une différence fondamentale entre disciplines, quant au nombre
+de brevets nécessaires pour bloquer ou couvrir un produit donné.</p>
+
+<p>Je suis en train d'essayer de nous débarrasser d'une représentation
+simpliste mais fréquente, qui voudrait qu'à chaque produit corresponde un
+brevet et que ce brevet couvre la structure générale du produit. Selon cette
+idée, si vous concevez un nouveau produit, il est impossible qu'il soit déjà
+breveté, et vous pourrez tenter d'obtenir « le brevet » pour ce produit.</p>
+
+<p>Ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent. Ou peut-être au XIXe siècle,
+mais plus aujourd'hui. En fait, chaque discipline peut être placée sur une
+échelle représentant le nombre de brevets par produit. Tout en bas de
+l'échelle, il suffit d'un brevet pour couvrir un produit, mais il n'existe
+plus de discipline qui fonctionne ainsi aujourd'hui ; les disciplines sont à
+divers niveaux de l'échelle.</p>
+
+<p>Le secteur qui serait le plus bas sur l'échelle serait l'industrie
+pharmaceutique. Il y a quelques dizaines d'années, il y avait réellement un
+brevet par médicament, à un instant donné tout du moins, car le brevet
+portait sur l'ensemble de la formule chimique correspondant à une substance
+donnée. À l'époque, si vous aviez développé un nouveau médicament, vous
+pouviez être certain qu'il n'était pas déjà breveté par quelqu'un d'autre,
+et vous pouviez obtenir un brevet correspondant à ce médicament particulier.</p>
+
+<p>Mais ce n'est plus comme ça que ça marche. Il y a désormais des brevets très
+généraux, de sorte que même si vous mettez au point une nouvelle molécule,
+il se peut qu'elle soit interdite parce qu'elle est couverte par un brevet
+plus large.</p>
+
+<p>Il se peut qu'il y ait deux ou trois brevets de ce type qui couvrent votre
+molécule, mais il n'y en aura pas des centaines. Cela tient au fait que nos
+capacités dans le domaine du génie biochimique sont si limitées que personne
+n'est capable de combiner autant d'idées différentes dans une seule molécule
+qui serait utilisable en médecine. Si vous parvenez à en combiner deux,
+c'est déjà très bien, pour notre niveau de connaissances. Mais dans les
+autres disciplines il faut combiner un plus grand nombre d'idées pour chaque
+chose qu'on réalise.</p>
+
+<p>Les logiciels se situent tout en haut de l'échelle. Un logiciel repose sur
+la combinaison de plus d'idées que n'importe quel autre produit, du fait
+essentiellement que notre discipline est plus simple que les autres. Je
+prends pour hypothèse que l'intelligence des gens est la même dans notre
+discipline et dans celles de l'ingénierie physique. Nous ne sommes pas
+meilleurs qu'eux, c'est juste que notre discipline est fondamentalement plus
+simple que les leurs, car nous travaillons avec les mathématiques.</p>
+
+<p>Un programme est fait d'éléments mathématiques, qui ont tous une définition,
+alors que les objets physiques n'ont pas de définition. La matière se
+comporte comme elle se comporte ; parfois elle est perverse et votre
+invention ne fonctionne pas comme elle était « censée » fonctionner. Pas de
+chance. Vous ne pouvez pas prétendre que c'est parce que la matière est
+boguée et qu'il faudrait patcher l'univers physique. Alors que nous, les
+programmeurs, nous pouvons construire un édifice qui repose sur une ligne
+mathématique d'épaisseur nulle, et il tiendra debout car rien ne pèse rien.</p>
+
+<p>Nous n'avons pas à affronter toutes les complications du monde physique.</p>
+
+<p>Par exemple, quand je mets une condition <code>if</code> (si) à l'intérieur
+d'une boucle <code>while</code> (tant que),
+</p>
+
+<ul>
+<li>je n'ai pas à craindre que si cette boucle <code>while</code> se répète à la
+mauvaise fréquence, la condition <code>if</code> entre en résonance et se
+brise ;</li>
+
+<li>je n'ai pas à me préoccuper du fait que si elle boucle trop rapidement
+(disons des millions de fois par seconde), elle est susceptible de générer
+des signaux électromagnétiques qui pourraient fausser les valeurs ailleurs
+dans le programme ;</li>
+
+<li>je n'ai pas à craindre que des fluides corrosifs présents dans
+l'environnement s'infiltrent entre le <code>if</code> et le
+<code>while</code>, et commencent à les ronger jusqu'à ce que le signal ne
+passe plus.</li>
+
+<li>je n'ai pas à me demander comment la chaleur générée par mon <code>if</code>
+va pouvoir s'évacuer via mon <code>while</code> pour ne pas qu'il grille ;
+et</li>
+
+<li>je n'ai pas à me demander comment je vais pouvoir démonter et remplacer le
+<code>if</code>, s'il finit par se briser, par griller ou par se corroder,
+afin de remettre le programme en état de marche.</li>
+</ul>
+
+<p>Je n'ai même pas à me demander comment je vais pouvoir insérer le
+<code>if</code> dans le <code>while</code> pour chaque exemplaire du
+programme. Je n'ai pas besoin de concevoir une usine pour fabriquer des
+copies de mon programme, car il existe un certain nombre de commandes
+générales qui permettent de copier tout et n'importe quoi.</p>
+
+<p>Si je veux graver des copies sur CD, il me suffit de préparer une image, et
+il existe pour ce faire un programme qui me permet de réaliser une image à
+partir de n'importe quelles données. Je peux graver un CD et l'envoyer à une
+usine qui se chargera de dupliquer ce que je lui envoie. Je n'ai pas besoin
+de concevoir une usine différente pour chaque chose que je veux reproduire.</p>
+
+<p>Or, dans l'ingénierie physique, c'est bien souvent ce que vous devez
+faire. Vous devez concevoir vos produits de sorte qu'ils puissent être
+fabriqués. Il est encore plus compliqué de concevoir l'usine que de
+concevoir le produit, et il faut ensuite dépenser des millions de dollars
+pour construire l'usine. Avec toutes ces contraintes, vous n'allez pas
+pouvoir concevoir un produit qui réunisse beaucoup d'idées différentes et
+qui fonctionne.</p>
+
+<p>Un objet physique composé d'un million d'éléments uniques représente un
+projet titanesque. Un programme composé d'un million d'éléments différents,
+ce n'est rien. Cela représente quelques centaines de milliers de lignes de
+code, soit quelques années de travail pour un petit groupe de personnes,
+donc ce n'est pas énorme. En conséquence, le système de brevets pèse
+beaucoup plus lourdement sur notre discipline que sur toutes celles qui sont
+freinées par la perversité de la matière.</p>
+
+<p>Un avocat a réalisé une étude portant sur un programme particulièrement
+volumineux, à savoir le noyau Linux, qui est utilisé conjointement au
+système d'exploitation GNU que j'ai lancé. C'était il y a 5 ans ; il a
+trouvé 283 brevets américains qui apparemment interdisent chacun un type de
+calcul présent quelque part dans le code de Linux. À l'époque, j'ai lu
+quelque part que Linux représentait 0,25% de l'ensemble du système. Donc, si
+vous multipliez ce chiffre par 300 ou 400, vous obtenez une estimation du
+nombre de brevets qui sont susceptibles d'interdire quelque chose dans
+l'ensemble du système, soit à peu près 100 000. Il s'agit d'une estimation
+très approximative, mais nous n'avons aucune information plus précise, car
+le seul fait de chercher à savoir représenterait une tâche titanesque.</p>
+
+<p>Cet avocat n'a pas publié la liste des brevets, de peur que cela n'expose
+les développeurs du noyau Linux à des sanctions plus importantes en cas de
+litige. Il ne cherchait pas à les mettre en difficulté, il voulait juste
+démontrer la gravité du problème, la gravité de l'impasse créée par les
+brevets.</p>
+
+<p>Les programmeurs comprennent tout de suite de quoi il s'agit, mais les
+politiciens ne comprennent pas grand-chose à l'informatique. Ils s'imaginent
+que les brevets ressemblent à une version renforcée du droit d'auteur. Ils
+s'imaginent que puisque les développeurs ne sont pas menacés par les droits
+d'auteur sur leur travail, ils ne seront pas menacés non plus par les
+brevets. Ils s'imaginent que puisque vous possédez les droits d'auteur sur
+le programme que vous écrivez, vous en possédez aussi les brevets. C'est
+complètement faux. Comment leur faire comprendre l'effet qu'auraient les
+brevets ? L'effet qu'ils ont, dans des pays comme les États-Unis ?</p>
+
+<p>J'ai souvent recours à une analogie entre les programmes et les
+symphonies. Voici pourquoi :</p>
+
+<p>Une symphonie, comme un programme, combine de nombreuses idées. Une
+symphonie combine de nombreuses idées musicales. Mais il ne suffit pas de
+choisir une série d'idées et de dire : « Voilà ma combinaison d'idées, ça
+vous plaît ? » Pour que cela fonctionne, il faut les implémenter. Vous ne
+pouvez pas juste dresser une liste d'idées musicales et demander « Ça vous
+plaît ? », car on ne peut pas entendre cette liste. Il faut écrire des
+notes, qui représentent la conjonction de ces idées.</p>
+
+<p>Le plus difficile est de choisir des notes qui donnent un résultat final
+harmonieux ; la plupart d'entre nous en est incapable. Bien sûr, nous sommes
+tous capables de choisir des idées musicales dans une liste, mais nous
+serions bien en peine d'écrire une symphonie qui rassemble harmonieusement
+ces idées. Seuls quelques-uns d'entre nous ont ce talent. C'est cela qui
+nous limite. Je pourrais probablement inventer quelques idées musicales,
+mais je ne saurais pas comment en tirer quoi que ce soit.</p>
+
+<p>Imaginez que nous sommes au XVIIIe siècle, et que les gouvernements
+européens décident de mettre en place un système de brevets sur les idées
+musicales pour promouvoir l'innovation dans le domaine de la musique
+symphonique, de sorte que n'importe quelle idée musicale décrite sous forme
+de mots puisse être brevetée.</p>
+
+<p>Par exemple, le fait d'utiliser comme motif une suite de notes donnée pourra
+être breveté, de même qu'une progression d'accords, ou une trame rythmique,
+ou l'utilisation de certains instruments, ou un format de répétitions dans
+un mouvement. N'importe quelle idée musicale qui pourrait être traduite en
+mots serait brevetable.</p>
+
+<p>Imaginez maintenant que nous sommes en 1800, vous êtes Beethoven et vous
+voulez écrire une symphonie. Vous allez vous rendre compte qu'il est
+beaucoup plus difficile d'écrire une symphonie pour laquelle vous n'aurez
+pas de procès que d'écrire une symphonie qui soit belle, car il faudra vous
+tailler un chemin dans la jungle des brevets existants. Et si vous vous
+plaignez de cet état de fait, les titulaires de brevets vous répondront :
+« Oh Beethoven, tu es jaloux parce que c'est nous qui avons eu ces idées en
+premier. Tu n'as qu'à chercher un peu et trouver des idées originales. »</p>
+
+<p>Beethoven avait beaucoup d'idées originales. La raison pour laquelle il est
+considéré comme un grand compositeur, c'est justement parce qu'il a eu
+beaucoup d'idées originales et qu'il a su les mettre en musique de manière
+efficace, c'est-à-dire en les combinant avec beaucoup d'autres idées très
+répandues. En introduisant dans une composition quelques idées nouvelles, au
+milieu de beaucoup d'idées plus anciennes et plus classiques, il obtenait
+des morceaux novateurs, mais pas au point que les gens ne puissent plus les
+comprendre.</p>
+
+<p>À nos oreilles, la musique de Beethoven n'a rien de
+révolutionnaire. Apparemment c'était le cas au XIXe, mais comme il a su
+mêler ses idées nouvelles à d'autres mieux acceptées, il a pu donner aux
+gens une chance de s'y adapter. Et c'est ce qu'ils ont fait, c'est pourquoi
+aujourd'hui cette musique ne nous pose aucun problème. Mais personne, pas
+même un génie comme Beethoven, n'est capable de réinventer la musique à
+partir de rien, sans faire appel à aucune des idées de son temps, tout en
+aboutissant à quelque chose que les gens ont envie d'écouter. Et personne
+n'est assez génial pour réinventer l'informatique à partir de zéro, sans
+faire appel à aucune idée de son temps, tout en obtenant quelque chose que
+les gens ont envie d'utiliser.</p>
+
+<p>Quand le contexte technologique change très rapidement, vous finissez par
+vous retrouver dans une situation où ce qui a été fait il y a vingt ans ne
+correspond plus à rien. Il y a vingt ans le World Wide Web n'existait
+pas. Bien sûr, on pouvait faire plein de choses avec un ordinateur, à
+l'époque, mais ce que les gens veulent aujourd'hui, ce sont des choses qui
+fonctionnent avec le World Wide Web. Et il n'est pas possible de faire cela
+en utilisant seulement des idées qui datent d'il y a vingt ans. Et j'imagine
+que le contexte technologique va continuer à évoluer, offrant de nouvelles
+occasions à certains d'obtenir des brevets qui nuisent à l'ensemble de la
+discipline.</p>
+
+<p>Les grandes entreprises elles-mêmes le font. Par exemple, il y a quelques
+années, Microsoft a décidé de créer un faux standard ouvert pour les
+documents, et a obtenu son approbation en corrompant l'<abbr
+title="International Standards Organization">ISO</abbr> (Organisation
+internationale de normalisation). Le format était conçu à partir d'un brevet
+que Microsoft avait déposé. Microsoft est suffisamment puissante pour
+pouvoir partir d'un brevet et concevoir un format ou un protocole qui
+utilise ce brevet (que ce soit utile ou non), de telle manière qu'il
+n'existe aucun moyen d'être compatible, sauf à utiliser la même
+idée. Ensuite, avec ou sans l'aide d'organismes de normalisation corrompus,
+Microsoft peut en faire un standard de fait. Par son seul poids, elle peut
+inciter les utilisateurs à recourir à ce format, ce qui lui donne une
+mainmise au niveau mondial. Il faut montrer aux hommes politiques ce qui se
+passe réellement dans ces domaines. Il faut leur expliquer pourquoi cela
+n'est pas bon.</p>
+
+<p>J'ai entendu dire que la raison pour laquelle la Nouvelle-Zélande veut
+mettre en place des brevets logiciels est qu'une grande entreprise cherche à
+obtenir des monopoles. Limiter les libertés de chacun afin qu'une seule
+entreprise puisse augmenter ses profits, c'est être l'antithèse absolue d'un
+homme d'Etat.</p>
+
+<p>J'aimerais maintenant passer aux questions-réponses.</p></dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Quelle est l'alternative ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Pas de brevets logiciels. Je sais que cela fonctionne bien. Je travaillais
+dans cette discipline avant l'apparition des brevets logiciels. Les gens
+développaient des logiciels et les distribuaient de différentes manières,
+sans avoir à craindre un procès de la part d'un titulaire de brevet. Les
+brevets logiciels sont une réponse à un faux problème, il n'y a donc pas à
+rechercher d'autres solutions.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Comment les développeurs sont-ils récompensés ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd><p>Il existe de nombreux moyens. Mais les brevets logiciels n'ont rien à voir
+avec cela. N'oubliez pas que si vous développez des logiciels, les brevets
+logiciels ne vous aideront pas à obtenir ce que vous cherchez à obtenir.</p>
+
+<p>Il existe différents types de développeurs de logiciels, qui recherchent des
+choses différentes. Dans les années 80, j'ai développé certains logiciels
+importants, et la récompense que je recherchais était de voir plus de gens
+utiliser un ordinateur en toute liberté. J'ai obtenu cette récompense, au
+moins partiellement – tout le monde ne dispose pas de cette liberté. Mais
+les brevets logiciels n'auraient fait que m'en empêcher.</p>
+
+<p>D'autres personnes développent des programmes parce qu'ils veulent gagner de
+l'argent. Pour eux aussi, les brevets logiciels sont une menace, car vous
+n'allez rien gagner si le titulaire d'un brevet vous oblige à tout lui
+donner ou vous fait fermer.</p></dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Comment faire pour lutter contre le plagiat et&hellip;</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd><p>Le plagiat n'a rien à voir là-dedans. Absolument rien à voir.</p>
+
+<p>Le plagiat représente le fait de copier le texte d'une œuvre en prétendant
+l'avoir écrit soi-même. Mais les brevets ne concernent en rien le texte
+d'une œuvre. Ils n'ont aucun lien avec le plagiat.</p>
+
+<p>Si vous écrivez une œuvre et que cette œuvre s'appuie sur certaines idées
+(ce qui est toujours le cas), il n'y a aucune raison de supposer que les
+brevets concernant ces idées vous appartiennent. Plus vraisemblablement, ils
+appartiennent à beaucoup d'autres personnes, la plupart étant des
+mégacorporations, et elles sont toutes en position de vous poursuivre. Vous
+n'avez même pas à vous soucier [du risque de plagiat]. Avant même d'en être
+arrivé au point où quelqu'un d'autre pourrait vous copier, vous vous serez
+fait plumer.</p>
+
+<p>Vous confondez droit des brevets et droit d'auteur, j'en ai peur. Les deux
+n'ont rien à voir. Je vous ai expliqué ce que le système de brevets faisait
+au logiciel, mais je pense que vous ne me croyez pas, parce que vous avez
+entendu parler de ce que fait le droit d'auteur et vous confondez les
+deux. Vous supposez que ce que fait l'un, l'autre le fait aussi ; or ce
+n'est pas le cas. Si vous écrivez du code, les droits d'auteur sur ce code
+vous appartiennent, mais si ce code met en œuvre des idées, et que certaines
+d'entre elles sont brevetées par d'autres, ces derniers peuvent vous
+poursuivre.</p>
+
+<p>Avec le droit d'auteur, lorsque vous écrivez le code vous-même, vous n'avez
+pas à craindre que quelqu'un d'autre vienne vous poursuivre, car le droit
+d'auteur n'interdit que la copie. En fait, même si vous écrivez du code
+totalement identique au code de quelqu'un d'autre, si vous prouvez que vous
+ne l'avez pas recopié, ce sera un moyen de défense, car le droit d'auteur ne
+restreint que le fait de recopier. Il ne s'intéresse qu'à la paternité d'une
+œuvre [et non aux idées qui y sont développées], donc son objet est
+fondamentalement distinct de celui des brevets, et ses conséquences sont
+radicalement différentes.</p>
+
+<p>Je ne suis pas toujours d'accord avec la manière dont les gens utilisent le
+droit d'auteur et je me suis exprimé à ce sujet. Mais c'est une question
+totalement différente, sans aucun lien avec celle d'aujourd'hui. Si vous
+pensez que le droit des brevets aide ceux qui développent des logiciels,
+cela veut dire que vous avez une image complètement fausse de ce que fait le
+droit des brevets.</p></dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Ne vous méprenez pas. Je suis de votre côté.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>OK, mais vous avez quand même une image faussée. Je ne vous le reproche pas,
+car vous avez été victime de désinformation.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>J'écris des logiciels à des fins commerciales ; suis-je protégé si je les
+considère comme des boites noires et que je les garde secrets ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Je ne veux pas discuter de ce problème, car je suis contre ces pratiques, je
+pense qu'elles sont contraires à l'éthique, mais il s'agit d'un problème
+distinct.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Je comprends.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Je ne veux pas changer de sujet et faire l'éloge de quelque chose que je
+désapprouve. Mais comme il s'agit d'un sujet différent, je préfère ne pas
+l'aborder.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Notre Fondation pour la recherche, la science et la technologie, qui doit
+probablement être l'équivalent de votre Fondation nationale pour la science,
+offre des bourses de recherche et développement, et l'un des points sur
+lesquels elle insiste particulièrement est que les idées qu'elle a contribué
+à financer soient si possible protégées par des brevets.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Cela ne devrait pas être le cas dans le domaine des logiciels, car les idées
+informatiques ne devraient pas pouvoir être brevetées par qui que ce
+soit. Mais ce que vous voyez ici, plus généralement, n'est qu'un exemple de
+plus de la corruption généralisée de notre société, qui place les fins
+commerciales au-dessus de toutes les autres. Je ne suis pas communiste et je
+ne souhaite pas abolir le commerce, mais lorsqu'on en arrive au commerce
+par-dessus tout, dans tous les domaines de l'existence, cela me semble
+dangereux.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Richard, si vous vous adressiez à la Fondation, peut-être pourriez-vous leur
+proposer d'autres solutions pour qu'un petit pays comme la Nouvelle-Zélande
+puisse gagner de l'argent au travers des logiciels ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Les brevets logiciels n'aident personne à gagner de l'argent avec des
+logiciels. Ce qu'ils signifient, c'est que vous risquez un procès si vous
+essayez.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Et cela empêche la Nouvelle-Zélande de construire son économie en s'appuyant
+sur les logiciels.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Désolé, mais quand vous dites « cela », je ne comprends pas bien à quoi vous
+faites référence. Avec les brevets logiciels, ce que vous décrivez devient
+compliqué pour tout le monde. Si la Nouvelle-Zélande autorise les brevets
+logiciels, il sera difficile pour qui que ce soit dans le pays de développer
+des programmes et de les distribuer, à cause du risque de procès. Les
+brevets logiciels n'ont rien à voir avec le fait de développer un logiciel
+et de s'en servir.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Donc, en termes de développement économique, la Nouvelle-Zélande serait
+mieux protégée en n'ayant pas de droit des brevets.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd><p>Oui. Vous voyez, chaque pays a son propre système de brevets et ils
+fonctionnent tous de manière indépendante, sauf entre les pays qui ont signé
+des traités disant : « Si vous avez un brevet dans tel pays, vous pouvez
+venir chez nous avec votre demande de brevet et nous la prendront en compte
+à la date à laquelle vous l'avez faite là-bas. » Mais à part ça, chaque pays
+a ses propres critères concernant ce qui est brevetable et possède ses
+propres séries de brevets.</p>
+
+<p>Il en découle que, dans la mesure où les États-Unis autorisent les brevets
+logiciels et pas la Nouvelle-Zélande, n'importe qui dans le monde, y compris
+des Néo-Zélandais, peut obtenir des brevets américains et poursuivre de
+pauvres Américains chez eux. Mais personne ne peut obtenir de brevet
+permettant de poursuivre un Néo-Zélandais chez lui. Vous pouvez être certain
+que [si la Nouvelle-Zélande les autorise] presque tous les brevets logiciels
+appartiendront à des étrangers qui les utiliseront pour matraquer n'importe
+quel développeur néo-zélandais dès que l'occasion se présentera.</p></dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Depuis l'affaire Hughes Aircraft, je crois que c'était dans les
+années 1990...</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Je ne connais pas cette affaire.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Eh bien en fait la Nouvelle-Zélande autorise les brevets logiciels. Ce n'est
+pas comme si nous entrions en territoire vierge, cela existe déjà.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd><p>Je ne sais pas, mais j'avais cru comprendre qu'il allait y avoir une
+décision au niveau législatif sur l'opportunité ou non d'autoriser les
+brevets logiciels. Ceci dit, les offices de brevets se montrent souvent
+réceptifs au lobbying que les mégacorporations exercent au travers de
+l'<abbr title="Organisation mondiale de la propriété
+intellectuelle">OMPI</abbr>.</p>
+
+<p>L'OMPI, comme le nom le laisse supposer, œuvre dans le mauvais sens, car
+l'usage du terme « propriété intellectuelle » ne fait qu’accroître la
+confusion. L'OMPI tire une grande partie de ses ressources des
+mégacorporations et utilise ces ressources pour inviter les responsables des
+offices de brevets à des séminaires dans des destinations paradisiaques. Ce
+qu'on leur apprend dans ces séminaires, c'est à contourner la loi pour
+accorder des brevets dans des domaines où ils sont normalement interdits.</p>
+
+<p>Dans de nombreux pays, il existe des lois et une jurisprudence qui posent
+que les logiciels en tant que tels ne peuvent être brevetés, que les
+algorithmes ne peuvent être brevetés, ou que les algorithmes
+« mathématiques » (personne ne sait exactement ce qui rend un algorithme
+mathématique ou non) ne peuvent être brevetés, et il existe divers autres
+critères qui, interprétés normalement, devraient exclure les logiciels du
+champ des brevets. Mais les offices de brevets tordent la loi pour les
+autoriser malgré tout.</p>
+
+<p>Par exemple, de nombreuses inventions sont en réalité des brevets logiciels,
+mais sont décrites comme un système incluant un processeur, de la mémoire,
+des interfaces d'entrée/sortie et d'acquisition des instructions, ainsi que
+des moyens d'effectuer un calcul particulier. Au final, ce qui est décrit
+dans le brevet, ce sont les différents éléments d'un ordinateur classique,
+mais cela leur permet de dire : « C'est un système physique que nous
+souhaitons breveter. » En réalité, cela revient à breveter un logiciel
+installé sur un ordinateur. Les subterfuges utilisés sont légion.</p>
+
+<p>Les offices de brevets cherchent généralement à détourner la loi pour
+accorder plus de brevets. Aux États-Unis, les brevets logiciels ont été
+créés en 1982 par une décision de la Cour d'appel compétente pour les
+affaires de brevets, qui a mal interprété une décision de la Cour suprême
+rendue l'année précédente et l'a appliquée à mauvais escient. Dans une
+décision récente, il semble que la Cour d'appel ait enfin admis qu'elle
+s'est trompée depuis le début, et il est possible que cette décision nous
+débarrasse de tous les brevets logiciels, à moins qu'elle ne soit renversée
+par la Cour suprême. La Cour suprême est en train de l'examiner, et nous
+devrions savoir dans moins d'un an si nous avons gagné ou perdu.</p></dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Dans l'hypothèse où cette affaire se terminerait en faveur des brevets,
+existe-t-il aux États-Unis un mouvement pour promouvoir une solution
+législative ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Oui, et cela fait à peu près 19 ans que je milite en faveur de cette
+solution. C'est un combat que nous menons dans de nombreux pays.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Où placeriez-vous dans votre univers le cas de I4i ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Je n'ai aucune idée de ce dont il s'agit.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Il s'agit de l'affaire dans laquelle Microsoft a presque dû cesser de
+commercialiser Word, parce que le logiciel enfreignait un brevet canadien.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Ah oui, ça. C'est juste un exemple qui illustre le danger que représentent
+les brevets logiciels pour tous les développeurs. Je n'aime pas ce que fait
+Microsoft, mais c'est un autre problème. Il n'est pas bon que quelqu'un
+puisse poursuivre un développeur de logiciels et dire : « Vous ne pouvez pas
+distribuer tel logiciel. »</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Le monde dans lequel nous vivons n'est évidemment pas parfait, et nous nous
+heurtons quelquefois aux brevets logiciels. Pensez-vous qu'il faudrait
+accorder un privilège aux chercheurs, leur permettant d'ignorer les brevets
+logiciels de la même manière que la législation sur le droit d'auteur leur
+permet d'effectuer des recherches sur des œuvres protégées par ce dernier ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Non, chercher une solution partielle est une erreur, car nos chances de
+mettre en place une solution complète sont bien plus élevées. Toutes les
+personnes impliquées dans le développement et la distribution de logiciel, à
+l'exception de celles qui travaillent dans les mégacorporations, vont se
+rallier au rejet total des brevets logiciels lorsqu'elles verront à quel
+point ils sont dangereux. En revanche, proposer une exception pour une
+catégorie particulière ne ralliera que les membres de cette catégorie. Ces
+solutions partielles sont des leurres. Les gens disent : « Bon, on ne peut
+pas résoudre le problème une bonne fois pour toutes, j'abandonne. Je propose
+une solution partielle. » Mais ces solutions partielles ne mettront pas les
+développeurs de logiciels à l'abri.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Cependant vous ne vous opposeriez pas à une solution partielle, pas
+nécessairement limitée aux brevets logiciels, comme l'utilisation à des fins
+d'expérimentation qui pourrait être une bonne solution pour les brevets
+pharmaceutiques ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Je ne m'y opposerais pas.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Mais ce que vous dites, juste pour être bien clair, c'est que vous ne pensez
+pas que ce soit applicable au logiciel.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Une solution qui ne sauve que certains d'entre nous, ou seulement certaines
+activités, ou élimine seulement la moitié des brevets logiciels, cela
+revient à dire : « On pourrait peut-être enlever la moitié des mines du
+champ de mines. » C'est un progrès, mais ça n'élimine pas le danger pour
+autant.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Vous avez parlé de ce sujet aux quatre coins de la planète. Quel a été
+l'impact ? Certains gouvernements ont-ils apporté des changements, ou
+renoncé aux brevets logiciels ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Certains. En Inde, il y a quelques années, il y a eu une tentative pour
+autoriser explicitement les brevets logiciels dans la loi. Le projet a été
+abandonné. Il y a quelques années, les États-Unis ont proposé un traité
+commercial, un traité de « libre-exploitation » à l'Amérique Latine. Ce
+traité a été bloqué par le président du Brésil, qui s'est opposé aux brevets
+logiciels et à d'autres dispositions insidieuses concernant l'informatique,
+et cela a fait capoter l'ensemble du traité. Il semble que c'était le seul
+point que les États-Unis tenaient à imposer au reste du continent. Mais on
+ne peut tuer ces projets pour de bon. Certaines entreprises ont des équipes
+à plein temps qui recherchent des moyens de subvertir tel ou tel pays.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Dispose-t-on de données chiffrées sur ce qui se passe au plan économique
+dans les communautés innovantes des pays dénués de droit des brevets ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd><p>Il n'y en a pas. Il est presque impossible de mesurer ce genre de choses. En
+réalité, je ne devrais pas dire qu'il n'y en a pas. Il y en a un peu. Il est
+très difficile de mesurer l'effet du système de brevets, car vous allez
+comparer la réalité avec un monde fictif, sans aucun moyen de savoir ce qui
+se passerait vraiment.</p>
+
+<p>Ce que je peux dire, c'est qu'avant l'apparition des brevets logiciels, il y
+avait beaucoup de développement logiciel. Pas autant qu'aujourd'hui, bien
+sûr, car il n'y avait pas autant d'utilisateurs d'ordinateurs.</p>
+
+<p>Combien d'utilisateurs d'ordinateurs y avait-il en 1982, même aux
+États-Unis ? C'était une toute petite partie de la population. Mais il y
+avait des développeurs de logiciels. Ils ne disaient pas : « Nous avons
+absolument besoin de brevets. » Ils ne se retrouvaient pas poursuivis pour
+infraction à un brevet après avoir développé un programme. Mais le peu de
+recherche économique que j'aie pu voir montre qu'apparemment les brevets
+logiciels ont entraîné non pas un accroissement de la recherche, mais un
+transfert de ressources de la recherche vers les brevets.</p></dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Pensez-vous qu'il puisse y avoir un regain d'intérêt pour les secrets de
+fabrication ?</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Non. Avant l'apparition des brevets logiciels, de nombreux développeurs
+gardaient les détails de leurs programmes secrets. Mais habituellement, ils
+ne gardaient pas secrètes les idées générales, parce qu'ils se rendaient
+compte que la majeure partie du travail de développement d'un bon logiciel
+résidait, non pas dans l'élaboration d'idées générales, mais dans la mise en
+œuvre conjointe de nombreuses idées. Ils publiaient donc – ou laissaient
+leurs salariés publier – les nouvelles idées intéressantes qu'ils avaient
+eues dans des revues universitaires. Maintenant, ils brevètent ces idées
+nouvelles. Cela n'a rien à voir avec le fait de développer des programmes
+utiles, et partager certaines idées avec d'autres ne leur donne pas un
+programme. Par ailleurs, les milliers d'idées que vous avez combinées dans
+votre programme sont de toute façon bien connues, pour la plupart.</dd>
+
+<dt>Q :</dt>
+<dd>Pour renforcer ce que vous venez de dire, j'ai entendu récemment une
+interview de l'un des fondateurs de PayPal, qui disait que son succès
+reposait à 5% sur des idées et à 95% sur leur mise en œuvre, ce qui confirme
+votre point.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Je suis d'accord.</dd>
+
+<dt>SF :</dt>
+<dd>Très bien. Richard a ici des autocollants qui sont gratuits
+<cite>[free]</cite>, je crois.</dd>
+
+<dt>RMS :</dt>
+<dd>Gratis.<a id="TransNote1-rev" href="#TransNote1"><sup>1</sup></a> Et ceux-là
+sont à vendre.</dd>
+
+<dt>SF :</dt>
+<dd>Vous êtes les bienvenus si vous souhaitez nous rejoindre. Ce fut un débat
+très constructif. Merci Richard.</dd>
+
+</dl>
+
+<hr />
+<blockquote id="fsfs"><p class="big">Cette conférence est publiée dans <a
+href="http://shop.fsf.org/product/free-software-free-society/"><cite>Free
+Software, Free Society: The Selected Essays of Richard
+M. Stallman</cite></a> [en].</p></blockquote>
+
+<div class="translators-notes">
+
+<!--TRANSLATORS: Use space (SPC) as msgstr if you don't have notes.-->
+<hr /><b>Note de traduction</b><ol>
+<li id="TransNote1">Le mot anglais <cite>free</cite> peut signifier
+« libre » (comme dans « libre expression » ou « logiciel libre »), ou bien
+« gratuit ». Cela pose problème dans l'interprétation de <cite>free
+software</cite>, c'est pourquoi RMS utilise le mot <cite>gratis</cite> quand
+il s'agit de gratuité. <a href="#TransNote1-rev"
+class="nounderline">&#8593;</a></li>
+</ol></div>
+</div>
+
+<!-- for id="content", starts in the include above -->
+<!--#include virtual="/server/footer.fr.html" -->
+<div id="footer">
+<div class="unprintable">
+
+<p>Veuillez envoyer les requêtes concernant la FSF et GNU à <a
+href="mailto:gnu@gnu.org">&lt;gnu@gnu.org&gt;</a>. Il existe aussi <a
+href="/contact/">d'autres moyens de contacter</a> la FSF. Les liens
+orphelins et autres corrections ou suggestions peuvent être signalés à <a
+href="mailto:webmasters@gnu.org">&lt;webmasters@gnu.org&gt;</a>.</p>
+
+<p>
+<!-- TRANSLATORS: Ignore the original text in this paragraph,
+ replace it with the translation of these two:
+
+ We work hard and do our best to provide accurate, good quality
+ translations. However, we are not exempt from imperfection.
+ Please send your comments and general suggestions in this regard
+ to <a href="mailto:web-translators@gnu.org">
+
+ &lt;web-translators@gnu.org&gt;</a>.</p>
+
+ <p>For information on coordinating and submitting translations of
+ our web pages, see <a
+ href="/server/standards/README.translations.html">Translations
+ README</a>. -->
+Nous faisons le maximum pour proposer des traductions fidèles et de bonne
+qualité, mais nous ne sommes pas parfaits. Merci d'adresser vos commentaires
+sur cette page, ainsi que vos suggestions d'ordre général sur les
+traductions, à <a href="mailto:web-translators@gnu.org">
+&lt;web-translators@gnu.org&gt;</a>.</p>
+<p>Pour tout renseignement sur la coordination et la soumission des
+traductions de nos pages web, reportez-vous au <a
+href="/server/standards/README.translations.html">guide de traduction</a>.</p>
+</div>
+
+<!-- Regarding copyright, in general, standalone pages (as opposed to
+ files generated as part of manuals) on the GNU web server should
+ be under CC BY-ND 4.0. Please do NOT change or remove this
+ without talking with the webmasters or licensing team first.
+ Please make sure the copyright date is consistent with the
+ document. For web pages, it is ok to list just the latest year the
+ document was modified, or published.
+
+ If you wish to list earlier years, that is ok too.
+ Either "2001, 2002, 2003" or "2001-2003" are ok for specifying
+ years, as long as each year in the range is in fact a copyrightable
+ year, i.e., a year in which the document was published (including
+ being publicly visible on the web or in a revision control system).
+
+ There is more detail about copyright years in the GNU Maintainers
+ Information document, www.gnu.org/prep/maintain. -->
+<p>Copyright &copy; 2009, 2010, 2014, 2020 Richard Stallman</p>
+
+<p>Cette page peut être utilisée suivant les conditions de la licence <a
+rel="license"
+href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/deed.fr">Creative
+Commons attribution, pas de modification, 4.0 internationale (CC BY-ND
+4.0)</a>.</p>
+
+<!--#include virtual="/server/bottom-notes.fr.html" -->
+<div class="translators-credits">
+
+<!--TRANSLATORS: Use space (SPC) as msgstr if you don't want credits.-->
+Traduction : Mathieu Adoutte en collaboration avec Framalang.<br />
+Révision : <a
+href="mailto:trad-gnu&#64;april.org">trad-gnu&#64;april.org</a></div>
+
+<p class="unprintable"><!-- timestamp start -->
+Dernière mise à jour :
+
+$Date: 2020/07/07 13:00:03 $
+
+<!-- timestamp end -->
+</p>
+</div>
+</div>
+</body>
+</html>